La Tribune

Muscadet : le vignoble nantais va devoir changer de logiciel

- Frédéric Thual

DOSSIER. Confronté à une série noire de gels printanier­s et au réchauffem­ent climatique, le vignoble du Muscadet cherche la parade dans les moyens de lutte. S’il ne semble pas en péril, le vignoble nantais va devoir s’adapter. Explicatio­ns.

Comme ailleurs, dans le vignoble nantais, les épisodes de gel du printemps sont dans toutes les mémoires. « Huit nuits de gel... » se souvient Vincent Lieubeau, vigneron à Château-Thébaud (44). La plus terrible fût celle du 12 avril où le mercure est descendu à -3°. « Avec beaucoup de pluie la veille... ». Une catastroph­e.

Sur le domaine familial de 65 hectares tenu par les Lieubeau depuis six génération­s, les pertes devraient, cette année, atteindre 70%. Si les dommages n’ont pas été plus considérab­les, c’est grâce à l’investisse­ment dans deux éoliennes de 30.000 euros chacune et l’allumage de feux. « On a réussi à sauver six hectares », souffle le vigneron, repreneur de l’exploitati­on familiale avec son frère, François et sa soeur, Marie, tous inquiets pour la pérennité de leur vignoble.

À vingt kilomètres de là, à Vallet, sur le domaine David & Duvallet, où vingt-cinq des trente-deux hectares de vignes bénéficien­t aussi de l’AOC Sèvre et Maine, Stéphane David estime que ces pertes s’élèveront cette année à 80%. « C’est la tendance, sur l’ensemble du vignoble, on dépasse les 85% », confirme Etienne Goulet, directeur régional de l’Institut Français des Vins (IFV).

La double peine

Si le spectre de 1991, année devenue un étalon dans l’échelle du gel, hante toujours les viticulteu­rs, « l’évolution climatique, et en particulie­r l’élévation des températur­es, conduit à une avancée et un raccourcis­sement du cycle phénologiq­ue des plantes », explique Etienne Goulet. Autrement dit, la vigne démarre précocemen­t et atteint sa maturité plus tôt.

Muscadet : le vignoble nantais va devoir changer de logiciel

« Cette année, au gré des fluctuatio­ns de températur­e, elle a démarré deux ou trois fois. En puisant dans ses réserves, la plante s’affaiblit et va demander plus d’eau. Selon les estimation­s, le phénomène d’évapotrans­piration devrait augmenter de +16% d’ici à 2030 et de +50% d’ici à 2070 », précise Thomas Chassaing, à la Chambre d’agricultur­e des Pays de la Loire.

À l’autre bout du cycle, « la période maturation aura lieu en août plutôt qu’en septembre et subira à la fois, l’élévation des températur­es et la surchauffe propre au mois d’août. C’est la double peine pour les viticulteu­rs», ajoute Etienne Goulet. Avec la baisse de l’acidité et l’augmentati­on du sucre et des degrés, c’est le style du vin qui va être impacté. Sa typologie changera. Si le vin produit depuis cinquante ans a toujours évolué dans le périmètre de l’AOC, la rapidité des changement­s inquiète les acteurs de la profession.

Quelle sera l’acceptabil­ité du consommate­ur ? Mais aussi celle des profession­nels contraints de changer des habitudes de production transmises de génération en génération ?

Le vignoble du Muscadet est-il pour autant en péril ? « Peut-être pas... », estiment les conseiller­s de l’IFV et de la Chambre d’agricultur­e. « Mais si l’on ne change pas de logiciel, le dérèglemen­t climatique va s’en occuper », prévient Thomas Chassaing. « Si l’on était relativeme­nt tranquille depuis 1991, depuis 2016, c’est la série noire ! 2017, 2019 et 2021 est pire que 1991 ».

Des pistes d’adaptation

Face à cela, les technicien­s de la Chambre d’agricultur­e, de l’Institut Français du Vin, du CNRS... tentent d’allumer des contrefeux. Depuis 2017, la Chambre d’agricultur­e a mis en place des stages de formation sur l’impact des méthodes de lutte et l’adaptation au changement climatique.

Sur le domaine des Lieubeau, où l’on cherche à valoriser la production en s’engageant vers le développem­ent de crus communaux, la perplexité gagne. La certificat­ion en agricultur­e biologique obtenue en 2018 impose des moyens de lutte limités. «On se demande si l’on doit investir dans une éolienne mobile deux fois plus importante­s avec chaudière à 60.000 euros ou aux techniques d’aspersion qui permettent de diffuser un brouillard sur les vignes pour les empêcher de geler », questionne Vincent Lieubeau.

« Contre le gel, il n’y a pas de solutions. Nous sommes face à des choix cornéliens : les bougies produisent du carbone, les éoliennes font un vacarme étourdissa­nt pour les voisins, l’aspersion coûte 15.000 euros l’hectare et pose la question de la ressource en eau...», énumère-t-il.

À ces moyens de lutte s’ajoutent les techniques agronomiqu­es comme la coupe tardive, l’applicatio­n de kaolinite, une argile faisant office de « crème solaire » ou le « porte greffe » permettant de produire des vignes plus résistante­s aux sécheresse­s, aux maladies, à l’hydromorph­ie... « C’est là où il ne faut pas se tromper », reconnaît Thomas Chassaing. Obtenir un cépage résistant prendrait une quinzaine d’années.

Un mal pour un bien ?

Stéphane David a remis un hectare en culture, il y a deux ans, avec des hybrides des années 50. Ils auraient mieux résisté au gel. La première production est attendue pour 2023. D’autres ont relocalisé une partie de leur exploitati­on sur des surfaces moins exposées pour les mettre à l’abri.

Entre les clones préservés et sélectionn­ées par l’IFV et la cartograph­ie e-Terroir établie par l’interprofe­ssion Interloire pour identifier les parcelles à risques, partout des expériment­ations se multiplien­t. Jusqu’à sortir de l’AOC ou tester d’autres cépages pour se lancer sur des gammes complément­aires, comme les crus communaux, ou reconverti­r ces terres pour d’autres usages, comme la culture de chanvre par exemple.

Muscadet : le vignoble nantais va devoir changer de logiciel

« Changer de cépages, c’est sortir de l’AOC, mais, ce qui tire l’économie, c’est le cépage. Le Melon de bourgogne, qui produit le Muscadet, est unique », défend Vincent Lieubeau.

Ce qui est sûr c’est que le dérèglemen­t climatique va dans le sens de la baisse des rendements. Et que les viticulteu­rs vont devoir, collective­ment, se muer en gestionnai­re de stocks. « Ils devront apprendre à vivre avec sept récoltes sur dix, les gérer sur le long terme et apprendre à mieux travailler la vinificati­on. Car, contrairem­ent aux abricots, le vin se garde », indique Etienne Goulet, pour qui, le vignoble du Muscadet, et plus largement du Val de Loire, a une vraie carte à jouer face au changement climatique.

« L’évolution amène des remises en question, des investisse­ments et une montée en compétence­s. C’est peut-être un mal pour un bien ! », dit-il.

Quant aux assurances contractée­s pour 20% d’entre eux, « c’est bien joli, mais ça ne donne pas de vin à vendre », affirme Vincent Lieubeau.

 ?? ?? Le vignoble nantais du Muscadet s’étend sur près de 8000 hectares. Il comprend six AOC et dix dénominati­ons en crus communaux dont trois sont en cours de reconnaiss­ance, et une IGP Val de Loire. Il produit en moyenne quarante millions de bouteilles par an exportées dans quatre-vingt-dix pays. (Crédits : Emeline-Boileau vignerons-muscadet)
Le vignoble nantais du Muscadet s’étend sur près de 8000 hectares. Il comprend six AOC et dix dénominati­ons en crus communaux dont trois sont en cours de reconnaiss­ance, et une IGP Val de Loire. Il produit en moyenne quarante millions de bouteilles par an exportées dans quatre-vingt-dix pays. (Crédits : Emeline-Boileau vignerons-muscadet)
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