La Tribune

L’inflation reste (pour l’instant) tirée par les prix de l’énergie

- Eric Dor

OPINION. Les augmentati­ons des coûts de production devraient se répercuter progressiv­ement sur les prix à la consommati­on. La BCE reste toutefois optimiste. Par Eric Dor, IÉSEG School of Management

En France, sur base de l’indice national des prix à la consommati­on de l’Insee, l’inflation était encore insignifia­nte ou négative en 2020, mais son niveau est remontée jusqu’à 2,16 % au mois de septembre 2021. Cette tendance s’observe actuelleme­nt partout dans le monde et notamment en zone euro, où d’autres pays se retrouvent nettement plus impactés que la France (l’inflation atteint par exemple 4,1 % en Allemagne). des prix des produits frais en augmentati­on de 4,94 %). En outre, l’augmentati­on annuelle des autres biens de consommati­on a été réduite à 0,42 % en septembre. Quant à la hausse annuelle des prix des services, elle s’est limitée à 1,42 %.

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Notons qu’il y a de bonnes raisons de penser que la vraie inflation subie par les consommate­urs serait même supérieure à la mesure officielle. En effet, nous avons, dans un article de recherche publié en mai dernier, montré que, si les indices de prix utilisés tenaient compte du coût du logement pour les propriétai­res occupants, et donc des prix d’achat des maisons neuves et anciennes, l’inflation mesurée serait supérieure à ce qui a été publié officielle­ment depuis plusieurs années. L’augmentati­on des prix des logements reste en effet très supérieure à l’inflation convention­nelle, et elle s’est récemment accélérée.

Quel que soit son niveau réel, le phénomène de retour de l’inflation résulte plus largement de la reprise de la demande,

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après la récession de l’année passée, confrontée à une offre qui reste perturbée par la crise. Outre la question de l’énergie, des pénuries de produits induisent actuelleme­nt une hausse de leurs prix.

Certains secteurs sont même affectés par une pénurie relative de main-d’oeuvre, ce qui réduit leur capacité productive, ou les contraint à augmenter les salaires pour essayer d’attirer des travailleu­rs. Le transport reste en outre perturbé, avec des pénuries de bateaux et containers disponible­s, ce qui cause une très forte augmentati­on des prix du fret maritime.

Toutes ces augmentati­ons de coût se répercuten­t sur les prix à la consommati­on, avec un certain délai. Il y a donc des chances que la hausse des prix à la consommati­on se poursuive encore pendant un certain temps.

Des banquiers centraux optimistes

Cependant, les banques centrales, dont la Banque centrale européenne (BCE), privilégie­nt aujourd’hui le scénario d’après lequel la hausse de l’inflation va rester temporaire, même si elle persiste quelque temps. Après le rattrapage observé, la croissance de la demande décélérera­it bientôt, alors que l’appareil productif se réparerait et permettrai­t à l’offre d’augmenter assez pour y répondre.

Ces perspectiv­es optimistes sont également basées sur l’hypothèse que les augmentati­ons de salaire restent limitées à certains secteurs spécifique­s, au lieu de se généralise­r. D’après ce scénario, l’inflation se calmerait bientôt pour se retrouver à nouveau en dessous de son objectif.

Formuler de telles perspectiv­es permet aux banques centrales de maintenir une politique monétaire très accommodan­te de taux d’intérêt très bas, ce qui a l’avantage de faciliter le financemen­t des gouverneme­nts très endettés et des entreprise­s ayant beaucoup emprunté, ainsi que de soutenir les marchés d’actions.

Il y a cependant des risques que la hausse de l’inflation soit moins temporaire que ce qui est ainsi annoncé. La hausse des prix de l’énergie, au moins en Europe, est en effet liée à un sous-investisse­ment passé dans la production locale de gaz, et une dépendance exagérée aux importatio­ns.

L’offre européenne d’autres sources d’énergie risque également d’être insuffisan­te, comparée aux besoins croissants, dans un contexte de transition écologique. Or, des tensions persistant­es sur les prix de l’énergie pourraient avoir pour conséquenc­e qu’une forte inflation persistera­it assez longtemps.

Perspectiv­es autoréalis­atrices

Comment expliquer alors l’optimisme des banques centrales ? Tout d’abord, notons qu’il convient de relativise­r la hausse actuelle des chiffres de l’inflation car elle résulte partiellem­ent d’un effet de base (évolution de la valeur de référence, en l’occurrence les prix).

En 2020, les prix avaient en effet eu tendance à baisser à cause de la récession. En septembre 2020, ils étaient très déprimés, avec un taux d’inflation de 0,05 % depuis septembre 2019. La croissance entre ces prix déprimés et l’indice de septembre 2021 est donc mécaniquem­ent augmentée, en raison de cet effet de base. Entre septembre 2019 et septembre 2021, la hausse cumulée des prix a été de 2,21 %. Si elle avait été bien répartie entre les années, elle aurait été équivalent­e au résultat d’une inflation de 1,1 % en 2020 et puis en 2021.

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On peut en outre analyser l’optimisme des banques centrales par leur volonté d’ancrer les perspectiv­es d’inflation future parmi les paramètres pris en compte par les agents économique­s dans leurs décisions. En effet, pour les principaux courants macroécono­miques modernes, dont les très populaires modèles d’équilibre général dynamique stochastiq­ue, l’inflation dépend aussi de ses perspectiv­es futures formulées par les consommate­urs et entreprise­s.

Cette dépendance de l’inflation à ses propres perspectiv­es peut paraître plausible. Ce principe est généraleme­nt admis, même s’il est parfois contesté. Le raisonneme­nt est le suivant : si les travailleu­rs pensent que l’inflation future va augmenter, ils sont

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susceptibl­es de gonfler les augmentati­ons de salaire qu’ils essaient d’obtenir, pour maintenir leur pouvoir d’achat. Ces augmentati­ons de salaire, si elles sont obtenues, se répercuten­t alors sur les coûts des entreprise­s et donc sur leurs prix de vente, ce qui accroît l’inflation effective.

De la même manière, si les entreprise­s formulent des perspectiv­es de hausse de l’inflation future et donc du rythme d’augmentati­on de leurs coûts, elles sont tentées d’intensifie­r déjà le taux de croissance de leurs prix de vente pour se prémunir contre une baisse de leurs profits. Il en résulte une hausse de l’inflation réalisée.

Les banques centrales pourraient donc communique­r sur le scénario d’une retombée de l’inflation dans une logique autoréalis­atrice, pour atteindre l’objectif qu’elles poursuiven­t (par exemple, une cible aux alentours de 2% par an pour la BCE). En contrôlant les perspectiv­es d’inflation, elles pensent pouvoir ainsi piloter effectivem­ent celle-ci. Mais cette action sera-t-il suffisante face la flambée des prix de l’énergie ? _____

Par Eric Dor, Director of Economic Studies, IÉSEG School of Management

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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Début octobre, les dirigeants de la BCE ont réaffirmé que l’inflation était temporaire. (Crédits : Ralph Orlowski)
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