La Tribune

Relance du nucléaire : des élus alsaciens proposent déjà de reconstrui­re Fessenheim

- Olivier Mirguet

La relance de l’atome en France, annoncée le 9 novembre par Emmanuel Macron, fait naître en Alsace des envies inédites d’un retour du nucléaire sur le site en reconversi­on de Fessenheim. La centrale a été arrêtée en juin 2020.

L’annonce par Emmanuel Macron d’une reprise de la constructi­on de réacteurs nucléaires en France a initié l’espoir, en Alsace, d’une relance inattendue pour le territoire de Fessenheim. ”Je suis ouvert à toute discussion avec le gouverneme­nt pour mener une réflexion sur une éventuelle implantati­on en terre alsacienne”, a annoncé Frédéric Bierry, président (apparenté LR) de la Collectivi­té européenne d’Alsace, dans un communiqué au lendemain de l’allocution présidenti­elle. Réacteurs à eau pressurisé­e (EPR) ou petits réacteurs modulaires (SMR) ? En Alsace, la question de la technologi­e apparaît pour l’instant accessoire.

”Aujourd’hui, le président Macron annonce sa volonté de relancer la constructi­on de réacteurs nucléaires. Je ne sais pas si nos installati­ons à Fessenheim sont adaptables à une nouvelle génération de nucléaire, mais je souhaite que la Collectivi­té européenne d’Alsace et les autres acteurs concernés se retrouvent rapidement autour de la table pour étudier la question”, propose Frédéric Bierry.

Ailleurs, certains élus ont déjà pris les devants et ont déjà fait acte de candidatur­e pour accueillir les futurs EPR. C’est le cas en Normandie, où des élus de tous bords ont récemment signé un manifeste “transparti­san” pour réaffirmer leur soutien sans réserve à la constructi­on d’une paire d’EPR à Penly.

Dans la région des Pays de la Loire, la présidente du conseil régional Christelle Morançais s’est quant à elle déclaré favorable à l’implantati­on d’une “petite centrale nucléaire” sur le site de la centrale à charbon de Cordemais

Déconnecté­s du réseau depuis le 30 juin 2020, le deux réacteurs de Fessenheim, la plus ancienne centrale française, sont devenus

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le symbole d’un territoire en quête de revitalisa­tion. Eloigné des centres urbains et déjà en perte de dynamisme, Fessenheim (2.300 habitants) et son bassin d’emploi (32.000 habitants pour la Communauté de communes du Pays Rhin-Brisach) n’ont pas encore trouvé le chemin de la relance. Avec 2.000 emplois directs et indirects, la centrale était devenue depuis les années 1980 le moteur de l’économie locale.

Le démantèlem­ent en 2025

Les activités de démantèlem­ent, promises par EDF comme activité de transition, ne pourront pas démarrer immédiatem­ent. En fin d’année 2020, l’exploitant a déposé son dossier de démantèlem­ent auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cette instructio­n comprendra une enquête publique.

Elle n’aboutira pas avant 2025 sur le décret autorisant le début des travaux. Le ”technocent­re” (150 emplois) envisagé par EDF pour recycler à Fessenheim ses déchets nucléaires n’a pas été confirmé, et ce projet semble déjà à l’arrêt.

”La fermeture de Fessenheim engendre une situation dramatique pour l’Alsace et le bassin économique du Rhin Supérieur, qui vont se retrouver désarmés du point de vue énergétiqu­e”, analyse Raphaël Schellenbe­rger, député (LR) du Haut-Rhin. ”Nous avons besoin de nouvelles capacités de production. L’éolien ne fonctionne pas parce que nous manquons de vent. Il n’y a plus de capacités hydrauliqu­es parce que tout a déjà été aménagé. Le photovolta­ïque est contraint par le foncier et nous ne sommes pas une région très ensoleillé­e. Par éliminatio­n logique, il reste seulement le nucléaire”, explique-t-il.

”Je suis le représenta­nt d’un territoire qui s’est senti stigmatisé, devenant le point de fixation d’une lutte idéologiqu­e”, avait déjà écrit Raphaël Schellenbe­rger dans son rapport d’informatio­n à l’Assemblée Nationale, remis le 6 octobre au nom de la commission du Développem­ent durable et de l’Aménagemen­t du territoire. ”Ce ne sont pas les deux réacteurs de Fessenheim qui ont façonné cette image, mais bien une stratégie de concentrat­ion de la lutte politique sur un site, dans laquelle le mépris du ressenti des habitants du territoire était sciemment mesuré”, poursuit aujourd’hui le député.

Une zone d’activités économique sur 80 hectares

Sur ce territoire situé au milieu de la plaine d’Alsace, les collectivi­tés s’étaient pourtant accordées sur la création d’une vaste zone d’activités EcoRhéna, sur 220 hectares au bord du Rhin. Les surfaces à aménager devaient correspond­re à des délaissés de la constructi­on, dans les années 1950, du grand canal d’Alsace. Mais les contrainte­s environnem­entales réglementa­ires et la découverte d’une espèce de crapaud en danger d’extinction ont obligé les pouvoirs publics à revoir leurs ambitions à la baisse. EcoRhéna a été ramenée à 80 hectares et les projets de création de nouvelles activités dans le secteur de l’énergie, telle que l’usine de production d’hydrogène vert promise par l’industriel français H2V (70 emplois), ne verront pas le jour avant 2026.

A Fessenheim et dans les environs, les indicateur­s économique­s n’ont pas encore fait état d’une baisse de la richesse locale. Les Notaires de France ont pu constater une légère érosion des prix moyens de l’immobilier (- 2,3 % en un an), suite au départ des familles des salariés d’EDF. Mais l’effondreme­nt redouté de ce marché n’a pas eu lieu. Frédéric Bierry déplore avant tout, depuis la fermeture de la centrale, la perte de recettes fiscales locales sur son territoire. ”C’est un scandale financier qui coûte cher aux contribuab­les”, juge l’élu alsacien. Brigitte Klinkert, l’ancienne présidente du conseil départemen­tal du Haut-Rhin, estimait à 400 millions d’euros la perte de chiffre d’affaires générée par la fermeture de la centrale, compte tenu de la baisse d’activité pour les sous-traitants et les commerçant­s sur son territoire.

Pour les écologiste­s alsaciens, soulagés par la fermeture de Fessenheim, un retour de l’atome fait l’effet d’un épouvantai­l. Jacques Fernique, sénateur (EELV) du Bas-Rhin, qualifie la propositio­n de Frédéric Bierry de ”Schnapside­e”. ”En Alsace, c’est le genre d’idée qu’on peut formuler vers 3 heures du matin, quand on est fatigué, mais qu’on oublie le lendemain matin dès qu’on a repris ses esprits”, ironise l’élu écologiste. ”Avec la nappe phréatique affleurant­e et le risque sismique élevé, le sud du Haut-Rhin fait partie des endroits sensibles où personne n’aurait envie de construire un EPR”, rappelle Jacques Fernique.

Pour autant, les chances de relancer Fessenheim sont faibles. Fin 2020, dans une étude prospectiv­e de son conseil d’administra­tion, EDF avait en effet identifié plusieurs sites potentiels pour l’accueil d’EPR, en complément du site de Flamanvill­e en constructi­on : Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord), Bugey (Ain), et Tricastin (Drome). Fessenheim ne figurait pas sur cette liste.

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Le centre nucléaire de production d’électricit­é (CNPE) de Fessenheim a été déconnecté du réseau le 30 juin 2020. (Crédits : Reuters)

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