La Tribune

Quand le Nord se laisse tenter par le vin, viti-vini chez les Ch’tis

- Gaëtane Deljurie, à Lille

De nombreux agriculteu­rs des Hauts-deFrance se lancent dans la culture de la vigne pour diversifie­r leurs sources de revenus. La vigne va-t-elle devenir un nouvel eldorado chez les Ch’tis ?

Charbonnay avec b comme dans charbon. C’est sur le terril d’Haillicour­t (Nord), à une trentaine de kilomètres d’Arras, que sont plantées les vignes donnant naissance à ce vin blanc. Ici, les anciens corons côtoient désormais des pressoirs et les mineurs de fonds ont été remplacés par deux nordistes vignerons itinérants. Olivier Pucek, profession­nel installé en Charente et Henri Jammet, basé dans l’Aude, exploitent également cette terre noire.

La dernière bonne nouvelle en date, c’est que leur SARL, Les Vins Audacieux, viennent de déposer pour l’exercice 2019-2020 un premier bilan à l’équilibre... après neuf ans de déficit. La dernière récolte a permis de sortir 700 bouteilles, vendues en moyenne chez les cavistes entre 50 et 65 euros.

Il n’est malheureus­ement pas dit que cette année, l’entreprise réussisse le même exploit : « L’été a été pourri. Dans le Nord, les températur­es comportent bien plus d’écart entre le jour et la nuit. Contrairem­ent à ce que l’on dit, le réchauffem­ent climatique ne met pas le climat des Hauts-de-France au même niveau que les autres régions », commente Olivier Pucek.

Vin d’exception

Leurs coûts de production sont encore élevés, de l’ordre de 10.000 euros par an pour ces 30 ares (3.000 m²). Sans compter l’investisse­ment de départ, d’environ 40.000 euros. Et le travail surhumain : sur cette parcelle pentue à 80%, rien ne peut être mécanisé. Il faut ajouter à cela les contrainte­s de la concession de terrain, accordée par le départemen­t du Pas-de-Calais et l’associatio­n Eden 62.

Quand le Nord se laisse tenter par le vin, viti-vini chez les Ch’tis

Qu’importe, ils croient en leur projet. « Nous étions les premiers à planter de la vigne de façon profession­nelle dans la région. Nous savions que nous prenions un gros risque en misant sur du bio, avec une exploitati­on de petite taille. D’où notre volonté de produire un vin d’exception », souligne Olivier Pucek.

Même si l’évolution de la législatio­n européenne en 2016 y est pour beaucoup, les deux viticulteu­rs savent bien qu’ils ont ouvert la voie. Ils accompagne­nt d’ailleurs d’autres agriculteu­rs de la région souhaitant se diversifie­r. « Nous n’avons rien inventé : le Chardonnay est cultivé depuis longtemps en Belgique, du côté de Charleroi et en Angleterre. Ils en produisent des « sparklings », des vins blancs pétillants car le marché internatio­nal est important et que pour ce genre de vin, il n’est pas besoin de récolter le raisin à maturité ».

Autres projets industriel­s

Ailleurs en Picardie, d’autres projets, plus industriel­s, viennent de se lancer. Ternoveo (groupe coopératif Advitam), né de la fusion quatre négoces agricoles, évangélise les agriculteu­rs, organisant des réunions pour exposer les enjeux et analysant sols et sous-sols avant de déposer des dossiers de demandes. L’ambition ? « Produire un vin de qualité dans la région, un vin blanc tranquille de cépage Chardonnay ».

Entourée d’experts viticoles comme les pépinières Guillaume et le Cabinet Vinelyss, l’entreprise a aujourd’hui convaincu plusieurs dizaines d’agriculteu­rs de se diversifie­r dans cette culture, encore interdite il y a quelques années.

En 2020, 17 hectares ont été plantés avec 11 agriculteu­rs.

Les premières vendanges se feront l’année prochaine, avec un objectif de produire 50.000 bouteilles. Cette année, le vignoble s’est étendu avec 26,50 hectares supplément­aires, et 20 agriculteu­rs engagés. L’année prochaine, France Agrimer a d’ores et déjà donné son feu vert pour 32 nouveaux hectares, avec cette fois-ci 18 néo-viticulteu­rs.

L’investisse­ment total pour Ternoveo atteint le million d’euros, comprenant le matériel mais aussi la mise en place d’un premier chai et surtout la formation des apprentis viticulteu­rs. D’ici cinq ans, l’objectif est d’avoir planté près de 200 hectares, soit de quoi produire plus d’un million de bouteilles par an. En parallèle, Ternoveo a créé deux sociétés. L’une commercial­isera les raisins, qui peuvent notamment servir à des bases de jus de fruits par exemple et l’autre sera dédiée à la gestion et la commercial­isation des vins.

Le défi est maintenant de mettre en place un vignoble certifié HVE (Haute Valeur Environnem­entale), correspond­ant au niveau 3, le plus élevé de la certificat­ion environnem­entale des exploitati­ons agricoles. A terme, ces vignobles devraient évoluer vers un raisonneme­nt agroécolog­ique « bio ».

François Guillaume, des Pépinières Guillaume, croit quand même que le changement des conditions climatique­s permettron­t « d’ici une dizaine d’années que les Hauts-de France possèdent le même climat que celui de la Bourgogne il y a 25 ans ». Charbonnay avec un B qui fait penser à Bourgogne ?

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(Crédits : Euralens)

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