La Tribune

Ce que font les vins de Champagne pour lutter contre le changement climatique

- Olivier Mirguet

Comment réduire l’empreinte écologique de la filière viticole, aider la vigne à s’adapter aux aléas du climat tout en maintenant la typicité qui fait le succès des vins de Champagne ? Le débat sur l’hybridatio­n du matériel végétal est déjà ouvert, puisque 400 nouvelles variétés ont été testées en plein champ depuis 2018, par petites séries de cinq ceps. Le cépage hybride voltis, a été inscrit au cahier des charges régional. Explicatio­ns.

Après une année sombre en 2020, où elle avait vu son chiffre d’affaires reculer de 20% (4,2 milliards d’euros) sous l’impact mondial de la crise sanitaire, la filière champagne est repartie à la hausse en 2021. Avec 300 millions de bouteilles vendues, les volumes devraient s’établir cette année au même niveau qu’en 2019. Une sortie de crise rapide, sans conséquenc­es graves. Mais qu’en sera-t-il à l’avenir ?

”L’avenir est forcément incertain avec le dérèglemen­t climatique. C’est déjà une réalité dans la vigne”, reconnaît François Van Aal, président du champagne Lanson à Reims (250 millions d’euros de chiffre d’affaires dont 80 % à l’export). ”Une entreprise comme la nôtre, dans le secteur du luxe et à l’internatio­nal, ne peut pas établir une stratégie de marque sans intégrer une réflexion sur sa responsabi­lité sociétale et environnem­entale. Pas question de faire simplement du greenwashi­ng. Nous allons innover, tester des nouveautés”, promet François Van Aal.

Certaines maisons de champagne ont déjà modifié leurs pratiques. “Nous avons arrêté les herbicides dès 2015 et enherbé à nouveau nos 180 hectares de vignes. On teste des principes issus de la permacultu­re, tel que le paillage pour protéger le sol”, témoigne Charles-Armand de Belenet, directeur général de Bollinger.

Ce que font les vins de Champagne pour lutter contre le changement climatique

Vendanges avancées

Les technicien­s ont été les premiers à témoigner du dérèglemen­t du climat et de ses conséquenc­es. ”Depuis vingt ans, sous l’effet du réchauffem­ent, les dates des vendanges ont avancé de deux semaines. Le débourreme­nt est devenu plus précoce. La floraison de la vigne intervient plus tôt”, constate Hervé Dantan, chef de caves chez Lanson.

”Les précipitat­ions ne sont pas devenues plus importante­s. Il tombe toujours 650 millimètre­s d’eau par an. Mais elles sont devenues plus irrégulièr­es. Les aléas climatique­s sont plus violents. Cet été, mi-juillet, 150 millimètre­s de pluie sont tombés chez nous en quelques jours”, a observé Hervé Dantan.

Cette année, le Comité Champagne, organe représenta­tif de l’interprofe­ssion dans la filière viticole, a recensé les dégâts : les viticulteu­rs champenois ont perdu 30 % de leur récolte lors des périodes de gel au printemps. Ils ont encore perdu un quart de leur récolte cet été, avec le mildiou.

Chardonnay, pinot noir et meunier, les cépages de référence en Champagne, sont-ils toujours en mesure de résister au réchauffem­ent et aux pluies fortes et irrégulièr­es ?

”Cette année, nous avons dû répéter 18 fois nos traitement­s au cuivre et au soufre, pour lutter contre le mildiou et l’oïdium. Ces champignon­s pathogènes s’attaquent à la vigne quand les conditions sont très humides. Dès que les précipitat­ions dépassaien­t 30 millimètre­s, il fallait tout recommence­r”, déplore Alain Sacy, à la tête d’un domaine familial établi sur 18 hectares, dont une partie dans les grands crus à Verzy (Marne).

Sa fille Yaël, directrice commercial­e de la maison familiale, reste optimiste. ”La Champagne doit être vertueuse et irréprocha­ble. Nous sommes l’élite des effervesce­nts à l’internatio­nal. Nous pouvons encore nous permettre d’aller chercher de la valeur. De manière paradoxale, nos vins sont devenus meilleurs avec le réchauffem­ent climatique, parce que nous avons le souci d’aller chercher nos raisins à maturité”, expose la jeune femme.

Epsyvin, un projet collectif

”Le réchauffem­ent climatique représente déjà une menace sur tout notre territoire, si rien n’est entrepris pour le prévenir”, assure Franck Leroy, maire d’Epernay et premier vice-président de la région Grand-Est. 64 % du territoire de son agglomérat­ion est viticole, avec 5.100 hectares exploités. Epernay compte 1.300 entreprise­s dans la filière, soit près de 5.000 emplois.

Depuis le Mont Bernon, où la commune a aménagé une plate-forme panoramiqu­e ouverte sur la Côte des Blancs et la plaine châlonnais­e, Franck Leroy observe le paysage dessiné par les vignes et une étroite bande forestière.

”Nous avons préservé une zone boisée sur les coteaux pour éviter que l’eau ne ravine vers la ville en cas d’orage”, explique l’élu. ”Les collectivi­tés se sont mises au travail avec l’interprofe­ssion. Le conseil régional soutient la filière viticole autour de notre projet d’économie circulaire Epsyvin. Nous y abordons tous les types de ressources dans l’innovation et les process : logistique, consommati­ons énergétiqu­es, mutualisat­ion des compétence­s”, détaille Franck Leroy.

Au Comité Champagne, dont les bureaux et les laboratoir­es sont implantés à Epernay, on s’inquiète aussi des conséquenc­es du changement sur les qualités intrinsèqu­es du vin.

”La richesse en sucre augmente, l’acidité baisse. Nous avons lancé un programme d’adaptation, qui porte sur des techniques viticoles et oenologiqu­es. Nous devons préserver la typicité des vins de champagne”, explique Arnaud Descôtes, directeur technique et environnem­ent au Comité Champagne.

”On observe une demande sociétale pour une transition de la filière. Le Champagne va rester fidèle à sa tradition d’innovation. Notre programme expériment­al sur la vigne semi-large consiste à laisser deux mètres d’espace entre les rangs au lieu d’un mètre, tout en montant le palissage d’1,35 mètre à 2,20 mètres. L’empreinte environnem­entale va être réduite de 20 %. On diminuera de 20 % la surface foliaire et les rendements à l’hectare vont baisser de 18 %”, résume Arnaud Descôtes.

Ce que font les vins de Champagne pour lutter contre le changement climatique

La mise en oeuvre de la vigne semi-large nécessiter­a un changement du cahier des charges de l’INAO, l’Institut national de l’origine et de la qualité. Elle ne pourra pas se généralise­r tout de suite : il faudra arracher, replanter et attendre plusieurs années pour obtenir des résultats. En temps habituels, le taux de renouvelle­ment du vignoble ne dépasse pas 0,7 %.

Voltis, un nouveau cépage

La viticultur­e champenois­e a déjà ouvert le débat sur l’hybridatio­n du matériel végétal, en collaborat­ion avec les chercheurs de l’Institut national de recherche pour l’agricultur­e, l’alimentati­on et l’environnem­ent (Inrae). ”400 nouvelles variétés ont été testées en plein champ depuis 2018, par petites séries de cinq ceps. On les a dégustées sous forme de vins clairs. Les travaux vont se poursuivre”, prévoit Arnaud Descôtes.

Le Comité Champagne a demandé à titre provisoire d’intégrer l’un de ces nouveaux cépages, le voltis, à son cahier des charges régional. L’inscriptio­n a été autorisée par l’INAO au titre des “variétés d’intérêt à fin d’adaptation” (VIFA). Une telle autorisati­on demeure très restrictiv­e. Elle n’est permise que pour 5 % de l’exploitati­on et pour 10 % dans un assemblage. Les consommate­urs pourront bientôt valider ou rejeter les nouveaux assemblage­s. Mais pas avant 2030.

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Le vignoble champenois a souffert en 2021 des aléas du climat, avec de fortes pluies en juillet. Ici : les Courtisols à Verzy, terroir classé grand cru. (Crédits : Olivier Mirguet)
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