La Tribune

La Normandie, une nouvelle terre de conquête pour la vigne

- Nathalie Jourdan

Depuis la libéralisa­tion des plantation­s de 2016, la Normandie est (re)devenue une terre de conquête pour la vigne. Mais les projets d’installati­ons, de plus en plus nombreux, restent risqués. Gare aux chimères, préviennen­t les pionniers à l’intention des vignerons en herbe que les supposées vertus du changement climatique précipiten­t vers le bocage. Il serait dommage que des vins de piètre qualité viennent saper ce qui n’est encore qu’un (petit) embryon de filière, expliquent-ils.

Commençons par battre en brèche une idée reçue. La Normandie, le pays de la pomme à cidre, n’a pas toujours été une terra incognita du vin. Les premières traces datent remontent à l’époque romaine. Entre le Moyen-âge et la du fin du 19ème siècle, du raisin poussait en abondance aux abords des abbayes où les moines levaient facilement le coude. Mais le phylloxera et la concurrenc­e des crus du bordelais, moins chers et de meilleure qualité, ont eu raison de la viticultur­e normande. Depuis quelques années pourtant, une petite dizaine de défricheur­s tentent d’y implanter à nouveau des vignobles.

Quand le sol donne le La

Gérard Samson a été le premier. Installé dans le village de

Grisy (Calvados), au milieu des haras et des vergers qui font la réputation du pays d’Auge, cet ancien notaire formé aux finesses de la vinificati­on règne sur Les Arpents du Soleil: un vignoble bio de neuf hectares planté sur un paléosol de 65 millions d’années, « sur le même étage géologique que la Côte deNuits».

Lui n’a pas attendu que le soleil y brille davantage pour se lancer. « Mon choix n’est en aucune façon lié au changement climatique mais à la qualité exceptionn­elle d’un terrain à ses racines viticoles historique­s », insiste t-il. Pas plus qu’il n’a attendu 2016, date à laquelle la France a assoupli la réglementa­tion en matière de plantation­s. Ses premiers ceps ont été mis en terre en 1995 au terme d’un bras de fer homérique avec les pouvoirs publics. « Le ministère m’a accordé une autorisati­on du bout des lèvres à titre expériment­al, après trois ans de vifs débats», se souvient-il, un peu amer.

Un quart de siècle plus tard, le vigneron -également converti à l’oenotouris­me- ne roule pas carrosse, loin de là. « Heureuse

La Normandie, une nouvelle terre de conquête pour la vigne

ment que j’ai été notaire dans une autre vie», s’amuse t-il. Mais le pari est gagné. Au prix de multiples tâtonnemen­ts et de « très gros investisse­ments», sa production -l’une des rares sous ces latitudes- s’offre régulièrem­ent les honneurs du guide Hachette des vins. Pour autant, Gérard Samson observe avec circonspec­tion le nouvel engouement que suscite la viticultur­e dans les régions septentrio­nales.

« Il s’agit ni plus ni moins d’un effet de mode, une sorte de fantasme latin qui oublie le fait que le vin est d’abord une affaire de terroir et de savoir-faire » s’agace t-il.

Mode ou pas, les projets d’installati­on tendent effectivem­ent à se multiplier dans ce grenier à blé qu’est la Normandie. « Nous sommes de plus en plus souvent approchés par des porteurs de projets viticoles» confirme t-on à la Chambre d’agricultur­e.

Vignerons sans prétention

Dans l’Eure, Delphine Prévost et Matt Angwin ont franchi le pas. Le couple revendique un solide bagage. Elle est ingénieure agronome formée à l’oenologie, lui dirigeait en Cornouaill­es le seul vignoble britanniqu­e (Camel Valley) frappé du sceau de la Reine. Implanté dans le riant village de Ferrières-Haut-Clocher sur la propriété des parents agriculteu­rs de Madame, leur vignoble (8.400 pieds), en pente douce comme il se doit, donnera ses premières grappes en 2024. Comme Gérard Samson, eux tablent très peu sur les effets du changement climatique, préférant s’inspirer du modèle d’Outre Manche où ils rappellent que Taittinger s’est offert 200 hectares au Sud de Londres.

« Nous n’avons pas la prétention de faire un vin rouge rond et équilibré, ce serait trop risqué, détaille Delphine Prévost. Nous allons opter pour une méthode traditionn­elle de vins effervesce­nts avec un nouveau cépage avec lequel nous sommes sûrs de ne pas aller dans le mur ».

Le Conseil régional est néanmoins disposé à accompagne­r les porteurs de projets pour peu que ceux-ci soient formés et « s’inscrivent dans une démarche mûrement réfléchie». Comprendre : pas question de soutenir les tocades de quelques doux rêveurs qui viendraien­t saper les efforts des plus exigeants. Delphine Prevost souscrit à ce point de vue. « Une qualité médiocre serait préjudicia­ble à toute cette filièrenai­ssante» prévient-elle.

Son confrère des Arpents du Soleil invite pour sa part à se méfier des chimères. « Avec le réchauffem­ent climatique, beaucoup croient que le rideau de fer est tombé mais il y aura peu d’appelés et beaucoup de déçus ». Les futurs viticulteu­rs sont prévenus.

 ?? ?? A la tête du vignoble des Arpents du Soleil, Gérard Samson fait figure de pionnier. Il s’est installé en 1995 dans le Pays d’Auge. (Crédits : DR)
A la tête du vignoble des Arpents du Soleil, Gérard Samson fait figure de pionnier. Il s’est installé en 1995 dans le Pays d’Auge. (Crédits : DR)

Newspapers in French

Newspapers from France