La Normandie, une nouvelle terre de conquête pour la vigne
Depuis la libéralisation des plantations de 2016, la Normandie est (re)devenue une terre de conquête pour la vigne. Mais les projets d’installations, de plus en plus nombreux, restent risqués. Gare aux chimères, préviennent les pionniers à l’intention des vignerons en herbe que les supposées vertus du changement climatique précipitent vers le bocage. Il serait dommage que des vins de piètre qualité viennent saper ce qui n’est encore qu’un (petit) embryon de filière, expliquent-ils.
Commençons par battre en brèche une idée reçue. La Normandie, le pays de la pomme à cidre, n’a pas toujours été une terra incognita du vin. Les premières traces datent remontent à l’époque romaine. Entre le Moyen-âge et la du fin du 19ème siècle, du raisin poussait en abondance aux abords des abbayes où les moines levaient facilement le coude. Mais le phylloxera et la concurrence des crus du bordelais, moins chers et de meilleure qualité, ont eu raison de la viticulture normande. Depuis quelques années pourtant, une petite dizaine de défricheurs tentent d’y implanter à nouveau des vignobles.
Quand le sol donne le La
Gérard Samson a été le premier. Installé dans le village de
Grisy (Calvados), au milieu des haras et des vergers qui font la réputation du pays d’Auge, cet ancien notaire formé aux finesses de la vinification règne sur Les Arpents du Soleil: un vignoble bio de neuf hectares planté sur un paléosol de 65 millions d’années, « sur le même étage géologique que la Côte deNuits».
Lui n’a pas attendu que le soleil y brille davantage pour se lancer. « Mon choix n’est en aucune façon lié au changement climatique mais à la qualité exceptionnelle d’un terrain à ses racines viticoles historiques », insiste t-il. Pas plus qu’il n’a attendu 2016, date à laquelle la France a assoupli la réglementation en matière de plantations. Ses premiers ceps ont été mis en terre en 1995 au terme d’un bras de fer homérique avec les pouvoirs publics. « Le ministère m’a accordé une autorisation du bout des lèvres à titre expérimental, après trois ans de vifs débats», se souvient-il, un peu amer.
Un quart de siècle plus tard, le vigneron -également converti à l’oenotourisme- ne roule pas carrosse, loin de là. « Heureuse
La Normandie, une nouvelle terre de conquête pour la vigne
ment que j’ai été notaire dans une autre vie», s’amuse t-il. Mais le pari est gagné. Au prix de multiples tâtonnements et de « très gros investissements», sa production -l’une des rares sous ces latitudes- s’offre régulièrement les honneurs du guide Hachette des vins. Pour autant, Gérard Samson observe avec circonspection le nouvel engouement que suscite la viticulture dans les régions septentrionales.
« Il s’agit ni plus ni moins d’un effet de mode, une sorte de fantasme latin qui oublie le fait que le vin est d’abord une affaire de terroir et de savoir-faire » s’agace t-il.
Mode ou pas, les projets d’installation tendent effectivement à se multiplier dans ce grenier à blé qu’est la Normandie. « Nous sommes de plus en plus souvent approchés par des porteurs de projets viticoles» confirme t-on à la Chambre d’agriculture.
Vignerons sans prétention
Dans l’Eure, Delphine Prévost et Matt Angwin ont franchi le pas. Le couple revendique un solide bagage. Elle est ingénieure agronome formée à l’oenologie, lui dirigeait en Cornouailles le seul vignoble britannique (Camel Valley) frappé du sceau de la Reine. Implanté dans le riant village de Ferrières-Haut-Clocher sur la propriété des parents agriculteurs de Madame, leur vignoble (8.400 pieds), en pente douce comme il se doit, donnera ses premières grappes en 2024. Comme Gérard Samson, eux tablent très peu sur les effets du changement climatique, préférant s’inspirer du modèle d’Outre Manche où ils rappellent que Taittinger s’est offert 200 hectares au Sud de Londres.
« Nous n’avons pas la prétention de faire un vin rouge rond et équilibré, ce serait trop risqué, détaille Delphine Prévost. Nous allons opter pour une méthode traditionnelle de vins effervescents avec un nouveau cépage avec lequel nous sommes sûrs de ne pas aller dans le mur ».
Le Conseil régional est néanmoins disposé à accompagner les porteurs de projets pour peu que ceux-ci soient formés et « s’inscrivent dans une démarche mûrement réfléchie». Comprendre : pas question de soutenir les tocades de quelques doux rêveurs qui viendraient saper les efforts des plus exigeants. Delphine Prevost souscrit à ce point de vue. « Une qualité médiocre serait préjudiciable à toute cette filièrenaissante» prévient-elle.
Son confrère des Arpents du Soleil invite pour sa part à se méfier des chimères. « Avec le réchauffement climatique, beaucoup croient que le rideau de fer est tombé mais il y aura peu d’appelés et beaucoup de déçus ». Les futurs viticulteurs sont prévenus.