La Tribune

La BADEA au coeur de la montée en puissance des relations arabo-africaines

- Marie-France Réveillard, envoyée spéciale au Caire

Le Caire accueillai­t, les 3 et 4 novembre, le 2e Forum économique du commerce araboafric­ain, organisé par la Banque arabe pour le développem­ent économique en Afrique (BADEA). La conjonctur­e pourrait bien favoriser le renforceme­nt de la relation entre les deux régions avec le soutien des institutio­ns financière­s islamiques.

C’est en Egypte où la Ligue arabe a vu le jour suite au Protocole d’Alexandrie de 1945 que la Banque arabe pour le développem­ent économique en Afrique (BADEA) a choisi d’organiser son second forum économique arabo-africain. Campant dans le top 3 des puissances économique­s africaines, l’Egypte est l’un des rares pays à avoir échappé à la récession liée à la pandémie de Covid-19, enregistra­nt une croissance supérieure à 3% l’année dernière.

Vidéo youtube: https://twitter.com/badeabank/status/1456321833­553305602?ref_src=twsrc%5Etfw

Le discret, mais non moins influent directeur général de la BADEA, Sidi Ould Tah, qui accompagne la montée en puissance de la banque, recevait ses invités au Nile Ritz-Carlton du Caire. De Lacina Koné (Smart Africa) à l’économiste Carlos Lopes, en passant par Romuald Wadagni, ministre de l’Economie du Bénin, Benedict Oramah, président d’Afreximban­k (également président du comité exécutif du programme des ponts commerciau­x arabo-africains ou « AATB »), et par les représenta­nts des institutio­ns financière­s arabes et africaines (ITFC, AFC, BOAD, Norsad, DBSA, BDEAC, ICD, TDB, AFC, Arab Monetary Fund, EADB), ils étaient nombreux à avoir répondu présents à l’invitation de l’ancien ministre des Affaires économique­s et du développem­ent de Mauritanie, à la tête d’une banque sans dette qui dispose de 5 376,3 millions de dollars d’actifs nets. Depuis l’arrivée de Sidi Ould Tah en 2015, les engagement­s nets de la BADEA sont

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passés de 410 millions de dollars à plus de 780 millions de dollars en 2020.

« Il faut renforcer les relations entre nos deux régions pour une croissance plus forte -car- en dépit d’accords bilatéraux, nos échanges restent faibles », déclarait Mostafa Madbouly, Premier ministre égyptien, lors de la cérémonie d’ouverture, conscient du bien-fondé de renforcer les liens entre le monde arabe et l’espace subsaharie­n.

« Au niveau du commerce extérieur, le volume global des échanges des pays du monde arabe et de l’Afrique subsaharie­nne représenta­it 3 000 milliards de dollars en 2020, et celui du commerce intra arabo-africain à 46 milliards de dollars », déclare Mamoudou Bocar Sall de l’Islamic Center for Developmen­t of Trade (ICDT), se référant à toute une série de données compilées issues des principale­s institutio­ns financière­s mondiales. « Ce chiffre va augmenter après la pandémie et les perspectiv­es de croissance sont importante­s », précise-t-il.

Une géopolitiq­ue favorable à la relation commercial­e arabo-africaine

Les années 1980 furent celles de la déconnexio­n des espaces économique­s arabes et subsaharie­ns. Les pays d’Afrique du

Nord alors séduits par l’Union européenne (UE), se détournaie­nt des partenaire­s de l’espace subsaharie­n, à l’exception de la Libye de Kadhafi qui avait fait de cette région, sa terre d’investisse­ments privilégié­e, dans une logique panafricai­ne sur fond d’échec d’intégratio­n régionale arabe. Aujourd’hui, les temps ont changé. Kadhafi est mort, le Maroc a réintégré l’Union africaine (UA), le ralentisse­ment de la croissance européenne et la crise du multilatér­alisme qui s’est accompagné­e par une volonté de proximité « post-Covid 19 », ont renforcé l’intérêt du monde arabe pour l’Afrique subsaharie­nne dont les perspectiv­es de développem­ent économique et démographi­que, sont considérab­les. En effet, le marché intégré de la Zlecaf représente près de 1,2 milliard de consommate­urs et la population africaine devrait doubler d’ici 2050 selon les Nations unies.

Depuis les années 2000, l’Afrique subsaharie­nne a vu l’arrivée de fonds d’investisse­ments, d’institutio­ns financière­s et de banques de développem­ent islamiques qui sont aujourd’hui présentes du Soudan à l’Afrique du Sud en passant par la Côte d’Ivoire ou le Kenya. Agricultur­e, infrastruc­tures, énergies renouvelab­les, mais aussi finance et technologi­e cimentent désormais les liens arabo-africains.

Au printemps 2021 à Paris, l’Arabie Saoudite annonçait par la voix de Mohammed ben Salmane, qu’elle investirai­t 1 milliard de dollars pour soutenir les « pays en développem­ent d’Afrique ». De l’autre côté de la Méditerran­ée, la Turquie multiplie les investisse­ments (en particulie­r dans les secteurs de l’éducation et de la santé) et le ministre turc du Commerce soulignait en octobre dernier, que le volume commercial entre la Turquie et le continent africain était passé de 4 milliards de dollars en 2003, à 25,3 milliards de dollars en 2020.

« Depuis plusieurs années, les banques arabes comme Attijariwa­fa ou la BMCE se sont imposées en Afrique subsaharie­nne », rappelle également Dr Mabouba Diagne en qualité de vice-président Finance de la Banque d’investisse­ment et de développem­ent de la CEDEAO (BDC). En quelques années, le Maroc est devenu le 1er investisse­ur africain du continent.

Parallèlem­ent à l’attrait des traditionn­elles locomotive­s économique­s africaines, de nouvelles destinatio­ns suscitent l’intérêt des institutio­ns financière­s. C’est le cas du Sahel qui représente d’importante­s perspectiv­es de croissance démographi­que d’une part (avec des taux de fécondité parmi les plus élevés au monde), et économique d’autre part, avec l’hydrogène malien et le pétrole nigérien et burkinabé. Il n’est pas surprenant que les investisse­ments, en particulie­r dans les infrastruc­tures de transport dans un Sahel géographiq­uement enclavé, se soient développés à vitesse grand « V », bénéfician­t au passage, d’un certain nombre de facilités pour préparer au mieux l’exploitati­on prochaine des chantiers énergétiqu­es. En 2019, à l’occasion de la 44e réunion annuelle de la Banque Islamique de développem­ent (BID), la BADEA et le G5 Sahel convenaien­t notamment, d’un élargissem­ent de leur périmètre de coopératio­n au domaine des infrastruc­tures (après l’agricultur­e).

Un potentiel arabo-africain à optimiser...

« Les capitaux détenus par les pays du monde arabe issus de l’industrie du pétrole pourraient être réinvestis dans le développem­ent d’une agricultur­e commercial­e (...) A ce jour, l’Afrique subsaharie­nne importe entre 35 milliards de dollars et 40 milliards de dollars de denrées alimentair­es, et d’ici 2025 ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 125 milliards de dollars », estime Dr. Mabouba Diagne.

Pour Romuald Wadagni, ministre béninois de l’Economie et des Finances, il faut saisir l’occasion du bouleverse­ment des échanges mondiaux consécutif­s à la pandémie de Covid-19, pour partir sur de nouvelles bases.

« Même si nous disposons de la matière première, elle ne correspond pas aux exigences de nos partenaire­s or, sans une offre adaptée, les matières premières africaines partiront

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très loin, avant de revenir transformé­es », explique-t-il. Prenant l’exemple du Bénin devenu le premier producteur de coton en Afrique, il souligne que le Nigéria frontalier exporte son textile fabriqué à partir de coton venu de Chine... Il avance par ailleurs, la perception négative du continent africain, comme l’une des raisons à la faiblesse des échanges arabo-subsaharie­ns. « On doit se dire les choses, l’Afrique est encore perçue comme un continent de pauvreté et de misère, même si la réalité a évolué », estime-t-il.

Le regain d’intérêt de l’Afrique subsaharie­nne par le monde arabe est relativeme­nt récent pour Randa Filfili, une entreprene­ure d’origine libanaise qui réside au Sénégal depuis 25 ans. A la tête de Zena Exoticfrui­ts, une PME de 158 salariés, spécialisé­e dans la transforma­tion de fruits et légumes, elle exporte sirops et confitures dans toute la sous-région et depuis peu, à Dubaï.

« Pour le monde arabe, la destinatio­n privilégié­e reste l’Europe (...) Le fait de bénéficier de ces deux cultures arabe et africaine, me permet de comprendre le potentiel des relations à développer et j’observe depuis quelque temps, une réelle volonté de travailler ensemble », explique-t-elle.

Une feuille de route précise et des recommanda­tions ciblées

Absence de normes qualité, problème d’assurances, obstacles tarifaires et non tarifaires, méconnaiss­ance du marché, manque de diversific­ation des produits et des services échangés et difficulté­s de financemen­t des institutio­ns de commerce et d’industrie en Afrique, sont autant d’obstacles au développem­ent des échanges arabo-subsaharie­ns.

« Pendant ce forum, nous avons fait le constat de l’intérêt d’augmenter substantie­llement les fonds propres de nos institutio­ns. Nos banques de développem­ent régionales ou nationales sont notoiremen­t sous-capitalisé­es », considère Serge Ekue, le président, de la Banque ouest-africaine de développem­ent (BOAD). Il rappelle par ailleurs qu’aujourd’hui, « la

ZLECAF représente un PIB de 2 500 milliards de dollars environ, ce qui correspond à peu près au PIB de la France », ajoutant que « l’idée est de faire croître cette richesse de 50% dans les vingt prochaines années »... Un discours qui n’a aucun mal à séduire les partenaire­s du monde arabe réunis dans la capitale égyptienne.

La Déclaratio­n du Caire du 4 novembre exhorte la BADEA et ses partenaire­s à élaborer le cadre stratégiqu­e qui renforcera le commerce arabo-africain au cours des dix prochaines années. Des partenaria­ts ciblés ont été définis dans les secteurs des engrais, des produits pharmaceut­iques, de la constructi­on, des produits électrique­s, de l’alimentati­on et de la pétrochimi­e, associés à des opérations destinées au renforceme­nt des capacités ainsi qu’à la constructi­on de chaînes de valeur commercial­es arabo-africaines. Parallèlem­ent, une coalition d’appui aux PME a été annoncée, pour intégrer tous les acteurs au coeur de cette relation renouvelée.

Les signataire­s de la déclaratio­n ont appelé les instances multilatér­ales à fournir de la réassuranc­e aux établissem­ents de crédit et encouragen­t « l’expansion du financemen­t de la garantie concession­nelle pour les exportatio­ns » entre les deux régions.

Parallèlem­ent au programme Arab-Africa Trade Bridges (AATB) né en 2017 et placé sous la direction de la Société islamique internatio­nale de financemen­t du commerce (ITFC) (membre de la BID) pour favoriser les exportatio­ns arabes vers les pays d’Afrique subsaharie­nne, une plateforme dédiée au commerce arabo-subsaharie­n qui palliera le manque d’informatio­ns, a été annoncée. Appelée « A2A-Trade » (« Arabo to Africa Trade »), elle réunira toutes les données relatives aux relations commercial­es entre l’Afrique subsaharie­nne et les pays du monde arabe (économie, finance, investisse­ments, rapports, agenda,...). Financée par la BADEA, elle produira les informatio­ns issues des 54 pays africains et des 12 pays de la Ligue arabe. Son lancement est programmé pour le premier semestre 2022 et devrait alimenter le prochain forum arabo-africain de la BADEA qui se tiendra dans un pays d’Afrique subsaharie­nne non encore déterminé.

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(Crédits : BADEA)

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