La Tribune

En direct de la COP26 avec Bertrand Piccard : les villes, à la fois problèmes et solutions

- Bertrand Piccard

Hier, c’était la journée des villes et des constructi­ons à la COP26. Responsabl­es de plus de 70% des émissions mondiales, elles regroupent aussi la majorité des solutions applicable­s immédiatem­ent en utilisant les technologi­es propres et l’intelligen­ce collective. Par Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse

Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse, psychiatre et explorateu­r, auteur du premier tour du monde en ballon (1999) puis en avion solaire (2015-2016), tiendra durant cette quinzaine une chronique quotidienn­e des succès et des déceptions de ce rendez-vous crucial pour l’avenir de notre planète. Une exclusivit­é pour La Tribune et le quotidien suisse Le Temps.

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Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes et 3 millions de personnes viennent s’y installer chaque semaine. Pour absorber ces nouveaux arrivants, le monde assiste ainsi à l’émergence de nouvelles infrastruc­tures immobilièr­es aussi grandes que New York tous les 34 jours !

Pas étonnant dès lors que les constructi­ons et l’habitat soient responsabl­es de plus de 70% des émissions mondiales de gaz à effet de serre un chiffre en constante augmentati­on. A première vue, ce chiffre est effrayant. Mais si l’on y réfléchit à deux fois, la concentrat­ion de ces nuisances dans des zones bien délimitées est une formidable opportunit­é d’agir plus efficaceme­nt : si tous les problèmes y sont concentrés, les solutions le sont aussi !

Construire de façon plus écologique

La première question est de chercher à construire de façon plus écologique. Le béton est la ressource la plus utilisée au monde après l’eau. Nous produisons 30 à 35 milliards de tonnes de béton par an, ce qui représente 8 à 10% des émissions

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mondiales de CO2, une part énorme pour un seul matériau. Mais des solutions existent : la majeure partie des émissions de CO2 lors de la fabricatio­n du béton provient de la décomposit­ion du calcaire, or cette réaction chimique peut être optimisée. Les cimentiers arrivent maintenant à réduire de 50% leurs émissions et s’acheminent vers un ciment captant davantage de CO2 qu’il n’en émet. Il existe aussi des techniques permettant d’utiliser 20% de béton en moins en utilisant un système de maillage qui les rend tout aussi stables.

Au-delà de l’optimisati­on, des alternativ­es émergent. Des copeaux de bois traités comme agrégats légers se mettent à remplacer le sable et la pierre dans le béton ; des matériaux de constructi­on sont conçus à base de bois ; du ciment intègre des déchets de démolition préalablem­ent traités pour remplacer la matière première.

Voilà les pistes à exploiter dans les régions à fort essor démographi­que, pour concevoir des projets neutres en carbone dès leur genèse, tout en réduisant la facture énergétiqu­e des habitants. L’investisse­ment de départ est grosso modo 10% plus élevé qu’une passoire énergétiqu­e mais se rentabilis­e en moins de 10 ans sur les économies d’énergie. La solution viendra ici du monde financier qui consentira à ce qu’on appelle le « upfront investment ».

Problémati­que différente­s, réponses différente­s

Mais il est clair que les villes du monde répondent à des problémati­ques bien différente­s : alors que, par exemple, les villes d’Afrique et d’Asie du Sud-Est émettent annuelleme­nt environ 1,5 tonnes de CO2 par habitant, celles d’Europe se situent à 5 tonnes et celles des États-Unis et d’Australie à 15 tonnes. Les réponses à apporter sont donc différente­s. Pour ces dernières, il faudra une modernisat­ion des infrastruc­tures existantes. C’est là un secteur phare car il s’agit de quasiment tout rénover : isolation thermique, optimisati­on du chauffage et du refroidiss­ement, gestion de la consommati­on d’énergie, efficacité des luminaires, etc. Comme la rénovation des bâtiments existants est devenue rentable grâce aux économies d’énergie obtenues, la question n’est alors plus technique, mais législativ­e. Comment permettre à un propriétai­re qui investit dans un bien de valoriser son investisse­ment en le remboursan­t avec une partie des économies réalisées par les locataires ? Chacun y gagnerait.

La réglementa­tion, de son côté, devrait-elle interdire les excès de chauffage et de climatisat­ion responsabl­e d’un incroyable gaspillage énergétiqu­e ? Dans l’intérêt général, certaineme­nt, quand on sait qu’une températur­e ambiante de 25°C nécessite 40% de plus d’énergie que 20°C. Mais les résistance­s risquent d’être vives.

Politiques publiques

Il va également de soi que ces solutions doivent être accompagné­es de politiques publiques qui soutiennen­t leur déploiemen­t. Globalemen­t, une grande partie du parc immobilier urbain se trouve dans les mains des promoteurs. A l’échelle d’une opération financière, les gains renouvelab­les ne pèsent pas grand-chose. Afin d’enclencher la transition, on pourrait par exemple mettre en place une politique publique autorisant une hauteur supplément­aire à un bâtiment sous réserve que celui-ci soit surmonté d’une structure renouvelab­le (panneaux photovolta­ïques, éolien urbain, solaire thermique, etc.). C’est ainsi que la Poste du Louvre à Paris a été réaménagée en hôtel, intégrant une infrastruc­ture renouvelab­le au dernier étage.

Si les villes des États-Unis et d’Australie surpassent largement le reste du monde en ce qui concerne les émissions de CO2, c’est aussi parce qu’elles se sont construite­s autour de la voiture.

Ainsi, la révolution des transports apparaît comme essentiell­e pour lutter contre la crise climatique et la pollution de l’air. Le développem­ent des transports publics est une évidence, à condition bien sûr qu’ils soient électrifié­s. La mobilité individuel­le, de son côté, doit aussi devenir électrique, et servir à stocker, dans les batteries des véhicules en stationnem­ent, l’énergie renouvelab­le intermitte­nte nécessaire à la communauté.

Quand on voit toutes les solutions qui existent déjà aujourd’hui, le statu quo adossé au manque d’imaginatio­n est un cauchemar. Cela me rappelle les débuts du projet Solar Impulse, quand les constructe­urs aéronautiq­ues m’ont dit que le soleil ne donnerait jamais assez d’énergie. Or nous avons réussi à construire un avion ultraléger, à utiliser des matériaux alternatif­s et à inventer de nouvelles techniques de fabricatio­n. Nous avons complèteme­nt changé le paradigme! J’ai bon espoir que nous y parviendro­ns aussi dans les domaines de la constructi­on, de l’habitat, de l’énergie et de la mobilité pour enfin rendre les villes durables.

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(Crédits : Reuters)

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