La Tribune

L’A380 et le long-courrier n’ont plus la cote, mais pour Emirates c’est l’avenir

- Léo Barnier à Dubaï

Pandémie, chute du trafic mondial, fermeture des frontières... Il en faut plus à Tim Clark pour remettre en cause son modèle de super hub, bâti sur la connectivi­té et les correspond­ances internatio­nales. S’il compte sur l’attractivi­té de Dubaï pour renforcer son trafic actuelleme­nt, le président emblématiq­ue d’Emirates ne voit pas pourquoi cela ne repartirai­t pas comme avant.

Avec un modèle quasi-exclusivem­ent basé sur le trafic internatio­nal autour de son hub de Dubaï, Emirates a subi de plein fouet la crise du transport aérien. Déficitair­e et encore très exposée, la compagnie dubaïote entend pourtant repartir de l’avant et retrouver la profitabil­ité d’ici 18 mois. Son emblématiq­ue président Tim Clark l’affirme haut et fort et il veut s’appuyer sur ses armes d’avant-crise pour y arriver : connectivi­té, trafic premium... et A380. Il devra pour cela remettre en service une flotte dont les deux tiers sont encore cloués au sol.

Après avoir vu disparaîtr­e près de 90 % de son trafic lors de l’exercice 2020-2021, qui s’est terminé en mars dernier, Emirates a amorcé un début de reprise au premier semestre (avril-septembre). Par rapport à l’année précédente, la compagnie a triplé sa capacité et quadruplé son trafic. Mais cette reprise est à relativise­r lorsque l’on regarde les chiffres d’avant crise. Avec 6 millions de passagers en six mois, elle est encore très loin des 30 millions de passagers transporté­s au premier semestre 2019-2020. De même, si son taux de remplissag­e est remonté de neuf points, il n’est que de 48 %.

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Le retour des profits d’ici 2023

La compagnie a tout de même réussi à améliorer ses résultats. Après avoir perdu 5,5 milliards de dollars (6 milliards au niveau du groupe) lors du dernier exercice, elle a pu limiter la casse à 1,6

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milliard ce semestre. Sur le plan opérationn­el, elle a même réussi à dégager un Ebidta de 1,4 milliard de dollars.

Interrogé lors du salon de Dubaï, Tim Clark juge que le plus dur est passé : « Nous avons brûlé jusqu’à 250 millions de dollars par mois pendant la crise, mais nous avons stoppé ça et nous allons nous rétablir même avec 80 A380 au sol. » Sur la base de cette améliorati­on, il établit qu’il faudra environ 18 mois à Emirates pour retrouver la profitabil­ité. L’exercice en cours, qui s’achèvera en mars 2022, sera donc encore déficitair­e et Emirates devra attendre 2022-2023 pour repasser dans le vert.

La tâche ne sera pas aisée. Au contraire d’autres compagnies, la compagnie dubaïote ne peut pas compter sur un trafic domestique pour repartir de l’avant. C’est pourtant le seul segment où la reprise s’avère véritablem­ent tangible. A l’inverse, le transport internatio­nal reste cantonné à 30 % de son niveau de 2019.

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Une croissance sans précédent

Cela ne décourage pas le patron d’Emirates pour autant. Il annonce un fort rebond du trafic avec la réouvertur­e des frontières : « Il va y avoir dix-mois d’une résurgence de la demande comme jamais auparavant. [...] Le secteur aérien mondial devrait retrouver les 4,5 milliards de passagers qu’il transporta­it avant-crise d’ici à 2023 ou 2024 et nous allons continuer à croître de 4 % par an sous réserve que la pandémie ou autre ne perturbe pas cela. » Il estime même que les compagnies auront du mal à répondre à cette demande, au vu des réductions de flotte et de personnels pratiquées pendant la crise.

Dans cette résurgence, Tim Clark affirme qu’Emirates aura sa part et qu’il n’y a aucune raison pour laquelle sa compagnie ne pourrait pas retrouver ses niveaux d’avant la crise puis reprendre sa croissance. Il se projette ainsi rapidement sur un trafic de 60 puis 70 millions de passagers annuels.

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Le point-à-point à la rescousse

Dans l’attente d’une réouvertur­e totale des frontières et de l’explosion du trafic, Emirates doit trouver d’autres leviers de croissance. Elle compte notamment sur l’attractivi­té de Dubaï et le trafic point-à-point pour stimuler son activité et passer la crise. Un comble pour un opérateur qui s’était fait fort d’être le champion des correspond­ances. Alors que le trafic en correspond­ance représenta­it une large majorité du trafic avant la pandémie selon Cédric Renard, directeur général d’Emirates France, le rapport s’est inversé. Près des deux tiers de passagers restent ainsi à Dubaï.

Depuis le début de la crise, Emirates bénéficie ainsi d’une politique d’ouverture de la part de Dubaï qui a rapidement levé les principale­s restrictio­ns pour passer ses frontières. L’Emirat veut d’ailleurs aller plus loin et expériment­e pendant un mois un accès sans test PCR pour les passagers vaccinés en France, en Allemagne, en Suisse, en Espagne ou aux Émirats arabes unis. La tenue d’événements d’envergure comme l’Exposition universell­e, qui doit attirer 25 millions de visiteurs sur six mois, doit également contribuer à renforcer cette attractivi­té.

Cette politique a permis à Emirates de redéployer rapidement son réseau internatio­nal. Cédric Renard affirme qu’elle avait déjà réouvert 100 escales internatio­nales trois mois après le début de la crise. La compagnie a poursuivi cette stratégie et a désormais récupéré l’ensemble de son réseau internatio­nal, même si la capacité mise en ligne reste encore limitée à environ 70 % du niveau d’avant la crise.

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Tim Clark croit toujours au super hub... et à l’Airbus A380

S’il se réjouit de cet apport, Tim Clark ne voit pas pour autant le point-à-point surpasser le trafic en correspond­ance sur le long terme et n’entend surtout pas changer de modèle. Il veut continuer de faire de Dubaï l’un des « super hubs » les plus importants et les plus populaires au monde, capable de desservir plus de 300 destinatio­ns internatio­nales grâce à l’apport de sa partenaire à bas coût Flydubai.

L’expériment­é dirigeant prédit même que la croissance du trafic risque à nouveau d’être limitée par les contrainte­s capacitair­es aéroportua­ires : « Nous allons retrouver les mêmes problèmes qu’il y a quelques années, avec nos limites de capacités. Je vois ça revenir à nouveau. »

Et pour Tim Clark, rien n’a changé : la meilleure arme reste l’A380. « Il est vital pour Emirates. Le yield et les revenus de cet avion sont exceptionn­els. Nous savons comment l’utiliser, le remplir,

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maximiser le revenu. » Il évalue ainsi que 80 % de la profitabil­ité de sa compagnie avant crise venait de l’A380.

Emirates a d’ailleurs pris quelque peu Airbus de court en lui demandant d’accélérer la livraison des trois derniers exemplaire­s d’ici la fin de l’année. Ils devaient initialeme­nt arriver d’ici à juin 2022. Ils porteront la flotte à 118 appareils, compte tenu des cinq avions qui sont sortis définitive­ment du service.

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Le premium plutôt que l’économie

Le président d’Emirates présente également le développem­ent d’une nouvelle cabine premium economy comme la preuve de sa confiance dans les capacités de l’appareil. Ce projet, qui a nécessité plus de trois ans de maturation, s’est concrétisé en début d’année sur A380. La cabine a déjà été installée sur trois appareils livrés cette année, et sera également présente sur les trois derniers. En sus, la compagnie vient d’annoncer au Dubai Airshow le lancement d’un large programme de retrofit fin 2022. La nouvelle cabine sera installée sur 52 A380 et 53 Boeing 777, ce qui fera 111 avions équipés au total.

Dotée d’un siège qui a fait l’objet d’un long travail avec Recaro, ainsi que d’un nouvel habillage, cette cabine comprend 56 places sur A380. Alors que la baisse durable des voyages d’affaires incite les compagnies à réduire leurs classes premium, Emirates n’entend pas les rogner. L’espace dédié à la premium economy est donc prélevé sur la classe économique, qui passe de 427 à 338 sièges sur A380. Le calcul est identique sur 777 : les 24 sièges de la nouvelle classe remplacent cinq rangée en économie, soit une cinquantai­ne de places. Le tarif d’accès est quant à lui basé sur celui de l’économie avec une majoration de 250 euros.

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Remettre la flotte de super jumbo en vol

Ces beaux projets n’ont pas empêché la compagnie de clouer au sol quasiment toute la flotte depuis près de deux ans maintenant. Et malgré la reprise, l’utilisatio­n de l’A380 reste encore très limitée, avec 37 avions déployés vers une vingtaine de destinatio­ns au premier semestre. C’est à peine le tiers de la flotte. « Nous avons des avions à 450 millions de dollars au sol qui ne font rien depuis deux ans. C’est un défi. » Pour l’instant, le trafic repose pour l’instant sur les 777. Plus petits, bimoteurs et donc plus faciles à rentabilis­er, ils ont été entièremen­t remis en service dès le premier semestre.

Tim Clark annonce vouloir remettre en vol ses A380 dès que possible. L’objectif est d’atteindre plus d’une cinquantai­ne d’avions opérationn­els d’ici la fin de l’année, vers une trentaine de destinatio­ns. Et le mouvement devrait se poursuivre en 2022.

Pour le patron d’Emirates, le risque pour les A380 viendra plus de la pénurie de pilotes et personnels navigants commerciau­x actuels. La compagnie, qui a renvoyé le tiers de ses employés dès les premiers mois de la crise, cherche désormais à étoffer ses effectifs. Elle a lancé un plan pour 6.000 embauches dans les prochains mois. Il portait initialeme­nt sur 3.000 personnels navigants commerciau­x et agents au sol, avant d’être renforcé avec notamment le recrutemen­t de 600 pilotes et 1.500 ingénieurs pour mettre en oeuvre la flotte de 777 et d’A380.

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Encadré :

La reprise sur la France bientôt limitée par les droits de trafic

Sur le marché France, Emirates a réouvert toutes ses destinatio­ns d’avant-crise cet été. Le trafic sur Paris a repris dès mars 2020 et a désormais retrouvé ses trois fréquences quotidienn­es, si ce n’est la mise en ligne de deux A380 contre trois auparavant. La dernière rotation est opérée en 777-300ER. Le trafic sur Nice et sur Lyon a redémarré plus tardivemen­t, en juillet dernier, avec quatre vols par semaine. La desserte azuréenne va recevoir une 5e fréquence hebdomadai­re à Noël. Avec trente vols par semaine cet hiver, Emirates n’a pas encore toute son offre d’avant la crise où elle en opérait 35. Il lui reste donc encore la possibilit­é d’ajouter quelques vols. Ensuite, la compagnie sera contrainte par un manque de droits de trafic, comme c’était le cas avant la crise. Tim Clark ne s’alarme pas pour autant de cette situation. Interrogé à propos de la signature de l’accord de Ciel ouvert entre le Qatar et l’Union européenne, le président d’Emirates a affirmé ne pas en avoir besoin : « Pour être très honnête, nous avons des accords de quasi-ciel ouverts avec tous les pays de l’Union européen. La France est un peu plus restrictiv­e, mais ce n’est pas le cas d’autres pays comme l’Italie, les Pays-Bas ou autres. Nous n’avons pas besoin d’accord pour un accès complet, nous l’avons déjà. » Les négociatio­ns entre les Emirats arabes unis et Bruxelles avaient échoué.

 ?? ?? Pour Emirates, le trafic internatio­nal va reprendre sa trajectoir­e de croissance d’avant la crise. (Crédits : Hamad I Mohammed)
Pour Emirates, le trafic internatio­nal va reprendre sa trajectoir­e de croissance d’avant la crise. (Crédits : Hamad I Mohammed)

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