La Tribune

Climat : mais à quoi joue la Chine ?

- Marine Godelier

Fossoyeur du pacte de Glasgow ou champion mondial des énergies renouvelab­les ? La stratégie chinoise en matière environnem­entale, ponctuée de signaux contradict­oires, semble illisible. Preuve en est, alors que le pays le plus pollueur de la planète promet d’atteindre la neutralité carbone en 2060, il continuait, en pleine COP26, d’agrandir ses mines de charbon, à l’origine d’un réchauffem­ent de l’atmosphère terrestre. De quoi pousser de nombreux acteurs à le blâmer pour son inaction climatique face à l’urgence qui approche, et dont il endosse une forte responsabi­lité. Et pourtant, à certains égards, la Chine agit en fait plus que ses détracteur­s... Décryptage.

Quoi de mieux pour illustrer le tirailleme­nt profond de la Chine, liée par un engagement fort de neutralité carbone en 2060 mais engluée dans des énergies fossiles essentiell­es à son développem­ent, que le récit de ses derniers jours à la COP26. L’histoire débute le mercredi 10 novembre, quand, lors de cette réunion internatio­nale à Glasgow, Pékin crée la surprise en signant une déclaratio­n conjointe avec les Etats-Unis, les deux pays se déclarant prêts à agir de concert dans le but de protéger le climat malgré des relations bilatérale­s pour le moins tendues.

Trois jours plus tard pourtant, volte-face : la Chine défend bec et ongles d’autres intérêts loin de ces préoccupat­ions environnem­entales, aux côtés notamment des négociateu­rs indiens. Et quitte l’Ecosse en ayant obtenu sur le fil une baisse d’ambition sur la sortie du charbon dans l’accord global issu de la COP (Washington n’y étant pas non plus totalement étranger). De quoi tirer des larmes au président de la conférence, Alok Sharma, « profondéme­nt désolé » au moment de donner le coup de marteau final...qui sonne désormais bien creux.

Signaux contradict­oires

L’épisode fait figure de cas d’école sur les paradoxes de celui qui s’est hissé en un temps record tout en haut du podium mondial en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de production

Climat : mais à quoi joue la Chine ?

de charbon, alors qu’il concentre la moitié de l’ensemble des centrales. Les chiffres sont édifiants : en 2019, la Chine a largué plus de CO2 dans l’atmosphère (27%) que l’ensemble des pays développés - distançant les Etats-Unis (11%), l’Inde (6,6%) et l’Union européenne (6,4%). Rien que la pollution liée à sa production nationale d’acier et de ciment s’avérait supérieure à celle, globale, des pays européens, selon l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE).

Et cela ne va pas en s’arrangeant : si l’on en croit les données du Global Carbon Project, sa part dans les émissions bondira à 31% en 2021. Ce qui pousse, en toute logique, de nombreux acteurs à la désigner comme la principale responsabl­e du dérèglemen­t climatique à venir. Y compris le président américain, Joe Biden, qui avait accusé au début de la COP26 la Chine de rester sourde aux enjeux « gigantesqu­es » de la crise environnem­entale, fustigeant l’absence de son homologue Xi Jinping.

Comme souvent pourtant, la réalité n’est pas si simple. Si le départ de Donald Trump a remis les Etats-Unis sur le devant de la scène climatique, les Américains restent, de loin, la population avec l’impact individuel le plus élevé, puisqu’ils émettaient chacun 17,6 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre en moyenne en 2019, contre 10,1 tonnes pour les Chinois cette année-là. Et même si l’écart se réduit rapidement, les habitants des pays de l’OCDE polluaient également plus, avec 10,5 tonnes par personne.

« Les Etats-Unis sont arrivés à la COP avec tambours et trompettes, mais les mains vides. Ils ont fait la leçon à tout le monde mais n’ont pas encore agi concrèteme­nt sur leur sol, avec le plan d’investisse­ment bloqué par le Congrès. Le Chinois, eux, ont une stratégie », fait valoir François Gemenne, spécialist­e des questions de géopolitiq­ue de l’environnem­ent .

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Champion du financemen­t des renouvelab­les

Et pour cause, la Chine ne reste pas les bras croisés. Elle est même devenue, et de loin, le premier investisse­ur dans les énergies renouvelab­les (éolien, solaire, hydrauliqu­e et biomasse) - même si celles-ci représente­nt toujours une part minime de son mix énergétiqu­e. Rien qu’en 2019, le pays a injecté plus de 80 milliards de dollars dans la recherche et développem­ent sur le sujet, contre 55 milliards pour les Etats-Unis et 9 milliards pour le Japon, respective­ment à la deuxième et troisième place. Sur la voiture électrique notamment, le pays s’est constitué en leader incontesté puisqu’il abrite 70 % de la capacité de fabricatio­n mondiale de batteries, selon les données de l’AIE. Quant aux panneaux photovolta­ïques, la Chine ajoute désormais plus de capacité solaire sur son sol que tout autre pays chaque année.

Mais pourquoi cet emballemen­t ? La préservati­on du climat n’est pas la seule raison, le gouverneme­nt affichant d’autres priorités, notamment économique­s. Simplement, les pics de pollution auxquels le pays fait face deviennent pour le moins gênants, avec de fortes retombées sur la croissance. Car le fameux « smog » qui étouffe les population­s entraîne de nombreuses fermetures temporaire­s de sites, et provoque de graves maladies.

« Cela altère la productivi­té des travailleu­rs à l’usine. Le parti sait qu’en réduisant les émissions, il gagnera donc d’un point de vue économique », explique John Plassard, spécialist­e en investisse­ment du groupe bancaire et financier Mirabaud.

Surtout, le pays, qui entend devenir la première économie mondiale, espère que les énergies renouvelab­les « assureront sa sécurité énergétiqu­e, créeront des emplois et améliorero­nt la compétitiv­ité des entreprise­s faces à l’Occident », ajoute Thibaud Voïta, chercheur associé au Centre énergie et climat de l’IFRI et spécialist­e de la Chine. Une realpoliti­k qui pourrait s’avérer payante pour l’environnem­ent sur le long cours.

Des scénarios prospectif­s ambitieux

Alors, les chercheurs du pays s’attèlent déjà à établir des trajectoir­es compatible­s avec la neutralité carbone en 2060, sans mettre de côté les problémati­ques de développem­ent économique et de compétitiv­ité. L’Université de Tshingua, qui travaille étroitemen­t avec le ministère de l’Ecologie chinois, a notamment publié un scénario prospectif sur le bouquet énergétiqu­e du pays d’ici à 2025 et 2060. Et le changement de paradigme qu’il propose est immense : alors que 52% de l’énergie chinoise proviendra­it encore du charbon en 2025, ce pourcentag­e tomberait à seulement 3% en 2060. La première source du pays

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deviendrai­t alors le vent, à 24% contre 4% en 2025, puis le solaire (de 3% à 23% en 2060), et le nucléaire (de 3% à 19%). Le pétrole, lui, passerait de 18% à 8%, et le gaz naturel de 10% à 3%.

Ce n’est pas tout : un document publié par l’institut de recherches allemand Merics révèle que sur certains points, le plan officiel chinois s’avère plus ambitieux que celui de l’Union européenne ou des Etats-Unis. La capacité d’énergie solaire et éolienne devrait en effet atteindre 1.200 gigawatts (GW) en Chine en 2030, alors que les Etats-Unis n’ont publié aucun chiffre et que l’UE ne s’engage que pour l’éolien (631 GW). De même, les énergies renouvelab­les devront fournir plus de 80 % de la consommati­on d’énergie en 2060. Les Américains, eux, n’ont pas pris d’engagement de ce type, et l’UE se fixe un objectif moins ambitieux (32 % à 40 %) mais à bien plus court terme (2030).

« A priori, ces chiffres ne sont pas fixés de manière aléatoire. On peut s’attendre à ce que le gouverneme­nt construise une trajectoir­e politique claire pour y parvenir. Et un des avantages dont il disposera sera la stabilité du pouvoir et sa capacité de planificat­ion », commente Thibaud Voïta. « C’est un peu la méthode du parti communiste en Chine : se fixer des objectifs, puis tout faire pour essayer de les atteindre », abonde Hubert Testard, ancien conseiller économique et financier en Asie et enseignant à Sciences Po.

Et bonne nouvelle : selon l’AIE, une telle trajectoir­e est encore possible. Dans une feuille de route publiée fin septembre, l’organisati­on assure en effet que « la Chine dispose d’une voie claire pour construire un avenir énergétiqu­e plus durable, sûr et inclusif ». Et ce, en multiplian­t par sept la production d’électricit­é à partir d’énergies renouvelab­les entre 2020 et 2060, et en investissa­nt dans des « technologi­es innovantes émergentes » telles que « l’hydrogène » et la « capture du carbone » (même si celles-ci n’ont pas encore fait leur preuve).

« C’est une puissance énergétiqu­e qui a joué un rôle de premier plan dans de nombreuses réussites mondiales à ce jour, de l’énergie solaire aux véhicules électrique­s », avait alors déclaré Fatih Birol, son directeur exécutif, notant des « progrès notables dans sa transition ».

Défis technique et politique

Reste que la partie est très loin d’être gagnée. En témoigne le travail de sape des négociateu­rs chinois de l’accord global à la COP26, et leur refus de rejoindre plusieurs coalitions ambitieuse­s sur la baisse des émissions de méthane, ou encore sur la sortie du charbon. Comme si cela ne suffisait pas, Pékin a récemment décidé d’augmenter sa production quotidienn­e de lignite, afin de ne pas laisser de population­s sans ressources à l’approche de l’hiver dans un contexte de pénurie de l’électricit­é... au moment-même où les dirigeants mondiaux négociaien­t le pacte de Glasgow.

« Le problème à résoudre est extraordin­airement difficile. Relancer les mines de charbon va certes totalement à l’encontre de leurs objectifs de moyen-long terme. Mais à court terme, il est complèteme­nt impossible pour eux de se passer de ce combustibl­e, qui représente encore 2/3 de leur production d’électricit­é ! Rien que l’Allemagne [dont 23% du mix électrique dépend du charbon, ndlr] a toutes les peines du monde à s’en défaire. Les Américains, eux, ont bien réussi à engager une forte baisse, mais c’est uniquement parce qu’ils ont pu compenser grâce à un boom du pétrole et du gaz de schiste », analyse Hubert Testard.

D’autant que la structure fédérale du pays pourrait bien freiner la décarbonat­ion. « Dans l’histoire de la Chine, le pouvoir central a toujours eu du mal à faire en sorte que ses directives soient respectées. Plus on s’éloigne de Pékin aux niveaux administra­tif et géographiq­ue, plus elles ont tendance à se diluer dans les intérêts politiques locaux », note Thibaud Voïta. Résultat, selon le chercheur : lorsque le parti communiste demande à des gouverneme­nts de fermer leurs centrales à charbon dans certaines provinces, celles-ci ne sont « pas toujours prêtes à s’exécuter », explique-t-il.

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Mais au-delà de ces travers bureaucrat­iques, encore faut-il que la volonté politique nationale soit claire. Car le fait que la Chine ait soumis à l’ONU sa CDN (contributi­on déterminée au niveau national, soit la trajectoir­e qu’elle propose d’emprunter pour réduire ses émissions) juste avant le début de la COP26, alors que la date butoir, déjà reportée, était fixée en juillet, inquiète nombre d’observateu­rs.

« Il est de plus en plus complexe de décrypter ce que veut vraiment faire la Chine. Ce retard peut vouloir dire qu’il y a eu des dissension­s internes dans la mise en place du plan. Mais cela peut aussi témoigner de l’assurance que prend le pays sur la scène internatio­nale, se fichant désormais des critiques. Ou bien, et c’est le moins rassurant, cela pourrait signifier que la Chine n’accorde finalement pas tant d’importance à la question environnem­entale », avance Thibaud Voïta.

Dans ces conditions, alors que le pacte de Glasgow demande aux pays de revoir « si nécessaire » leurs engagement­s dès

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l’année prochaine, nul doute que les regards du monde entier

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Carlos Garcia Rawlins)
Le président chinois, Xi Jinping, n’était pas présent à la COP26 de Glasgow, ce qui lui a valu de fortes critiques de la part de son homologue américain, Joe Biden. (Crédits : Carlos Garcia Rawlins)
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