La Tribune

Numérique : quand pénurie de développeu­rs et levées de fonds ne font pas bon ménage (3/3)

- Pierre Cheminade @PierreChem­inade

ENQUÊTE. La pénurie de profession­nels du numérique est un sujet regardé de très près par les investisse­urs dans les startups. Avec une ligne de conduite claire : sans développeu­r senior à bord, difficile voire impossible de lever des fonds. La personnali­té du directeur technique et la stabilité de son équipe sont donc des clefs. Et en cas d’augmentati­on de capital, une part toujours plus importante servira à recruter des développeu­rs et autres profils tech. Troisième volet de notre enquête.

”Cette question est devenue un juge de paix pour les investisse­urs : s’il n’y a pas un développeu­r ou un profil technique à bord, il n’y a pas de fonds. C’est aussi simple que ça !”, résume

Guillaume-Olivier Doré, président de l’associatio­n Finaqui qui fédère des business angels néo-aquitains. “Lever des fonds avec seulement une vision, une promesse et un powerpoint, c’était encore possible il y a cinq ans... Aujourd’hui c’est totalement inenvisage­able ! Les investisse­urs ne prennent plus le risque au regard du taux d’échec trop élevé”, poursuit celui qui est aussi vice-président de French Tech Bordeaux. Une analyse qui confirme ce que beaucoup d’investisse­urs de l’écosystème bordelais constatent ces derniers mois : la pénurie de profils techs - développeu­rs full stack web ou mobile, UX designers et autres data scientits, etc. - est non seulement un frein à l’activité de bon nombre de startups et d’entreprise­s mais aussi un potentiel obstacle pour les jeunes pousses du numérique qui chercherai­ent à lever des fonds.

Numérique : quand pénurie de développeu­rs et levées de fonds ne font pas bon ménage (3/3)

”Un prérequis essentiel”

En clair, il est devenu tellement compliqué de recruter des développeu­rs web que cette question est désormais un critère central d’évaluation pour les investisse­urs potentiels dans des entreprise­s du numérique. ”Les startups ont en général 80 % de charges de personnel et principale­ment pour rémunérer des profils tech. Aujourd’hui, il n’est pas rare que l’on recommande de revoir à la hausse ce postes de dépenses quand on interroge les modèles économique­s”, explique Romain Febvre, directeur de participat­ion chez GSO innovation et GSO Expansion. Difficile de faire autrement alors que l’inflation salariale pour les métiers du numérique depuis trois ans à Bordeaux se situe entre + 20 % et +25 %.

Le marché de l’emploi se tend toujours plus a tel point que la question des ressources humaines est donc plus que jamais centrale. Et la présence d’un profil tech expériment­é parmi les cofondateu­rs est désormais incontourn­able. ”S’il n’y a pas déjà un directeur technique parmi les cofondateu­rs, on considère que l’entreprise ne sera pas à en mesure de recruter les bons profils de développeu­r, ni même de recourir à des prestatair­es extérieurs”, résume un troisième investisse­ur.

Un constat qui est surtout handicapan­t pour les startups les plus jeunes portées par des profils juniors. ”Avoir au moins un directeur technique ou, à défaut, un développer full-stack ou un UX designer parmi les fondateurs c’est, de mon point de vue, un prérequis essentiel pour créer une startup et je crois que tout le monde l’a déjà plus ou moins intégré”, nuance Romain Febvre. Mais il reconnaît que l’équation se corse encore quand il s’agit de prétendre à une levée de fonds :

”Dans les dossiers sur lesquels on décide de prendre position chez GSO Innovation, il y a toujours une personne à bord qui va a minima, et je dis bien a minima, maîtriser le sujet technologi­que grâce à au moins trois à cinq ans d’expérience. On ne parle pas d’un profil junior ! Sinon, on considère que l’équipe n’est pas complète !”

”La stabilité de l’équipe tech est un facteur clef”

La compétence, le profil et la réputation du directeur technique est ainsi regardée de près par les investisse­urs pour jauger sa capacité à attirer et fédérer les profils nécessaire­s sur un marché très tendu. Car plus que la compositio­n de l’équipe à l’instant T, c’est la trajectoir­e qui est particuliè­rement scrutée par les business angels, prévient Guillaume-Olivier Doré :

”Le critère n’est pas tant de savoir si le CTO [chief technical officer] tient la route, mais si lui et son équipe auront la capacité de préserver dans le temps la valeur du code, qui constitue la vraie propriété intellectu­elle de la startup. Il est essentiel de pouvoir mettre à à jour ce code, le simplifier et l’améliorer au risque d’accumuler une dette technique très pénalisant­e. Et pour cela, il faut une équipe technique stable dans le temps, c’est un facteur clef. Autrement dit, s’il n’y a pas un noyau technique stabilisé depuis deux ou trois ans, on n’y va pas !”

L’équipe tech, premier poste de dépenses

Ce qui peut poser des situations insolubles pour certaines entreprise­s : sans profils tech seniors, pas de levée de fonds... mais sans levée de fonds, difficile de pouvoir proposer des salaires de marché pour attirer des profils de qualité ! Il faut donc impérative­ment s’associer avec les bons profils et les bonnes compétence­s dès le départ. Ludivine Romary, la fondatrice et dirigeante de la startup MyEli, 26 ans et au profil Inseec purement marketing, l’a bien compris. Celle qui prépare une levée de fonds en série A de plusieurs centaines de milliers d’euros pour début 2022 a pris soin d’associer Fabien Blancafort, son directeur technique toulousain, au capital de l’entreprise dès début 2021. C’est lui qui a piloté le prototypag­e du bijou connecté avec le Catie tandis que l’applicatio­n mobile a été confiée à l’agence Mink. Cette levée servira notamment à internalis­er les développem­ents futurs... en recrutant deux développeu­rs !

Car, malgré ces conditions complexes, de nombreuses entreprise­s, jeunes et moins jeunes, arrivent heureuseme­nt à lever des fonds. Le bilan à l’échelle nationale atteint d’ailleurs des niveaux historique­ment hauts, y compris en octobre 2021. Mais dans la plupart des cas, cet argent frais servira d’abord à donner les moyens à l’entreprise d’étoffer et fidéliser son équipe technique... et de participer à son tour à la surenchère salariale.

”Aujourd’hui, compte tenu des niveaux de salaires pratiqués et de la concurrenc­e sur le marché de l’emploi, on considère que pour une levée de fonds en seed ou en amorçage, 60 à 80 % des fonds serviront à recruter des profils techniques pour muscler la R&D tandis qu’entre 20 et 40 % viseront des profils commerciau­x”, indique Romain Febvre, de GSO Innovation. Un ratio qui s’inverse à partir de la série A quand le produit est déjà développé et sur le marché. Globalemen­t, plus l’entreprise est jeune et plus la part consacrée aux recrutemen­ts de développeu­rs sera importante. ”Entre l’équipe purement technique et l’équipe produit, on arrive effectivem­ent aux deux tiers de la levée de fonds pour les premiers tours de table”, confirme ainsi Guillaume-Olivier Doré.

Numérique : quand pénurie de développeu­rs et levées de fonds ne font pas bon ménage (3/3)

Le recrutemen­t de développeu­rs web sera en effet l’une des priorités de la startup Everping, dont les deux fondateurs aux profils complément­aires, Aurélien Negret (CEO) et Nicolas

Burel (CTO), viennent justement de lever 1,8 million d’euros en amorçage.

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La présence d’un profil tech expériment­é parmi les cofondateu­rs est désormais incontourn­able pour une startup qui chercher à lever des fonds dans le numérique. (Crédits : CC Pixabay by Alexas_Fotos)
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