La Tribune

Transforme­r la mobilité en France : la quête d’un modèle économique soutenable

- Anne Albert-Cromarias et Florence Puiseux

OPINION. Si les pouvoirs publics impulsent un mouvement, de nombreux freins à l’adhésion des citoyens existent encore. L’innovation et la coopératio­n peuvent venir à bout de ces résistance­s. Par Anne Albert-Cromarias, Groupe ESC Clermont et Florence Puiseux, Groupe ESC Clermont

Transforme­r la mobilité reste l’un des grands enjeux du

XXIe siècle, la préservati­on de l’environnem­ent réclamant une réduction drastique de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Or le secteur du transport y contribue largement : en France, il représente 31 % des émissions de GES, en Europe 22 % et 17 % au niveau mondial.

Une prise de conscience des pouvoirs publics

Récemment, quelques annonces « chocs » ont rendu incontourn­ables ces questions de mobilité. Paris est devenue, depuis août dernier, une vaste « zone à 30 km/h », confirmant une tendance déjà bien engagée au niveau européen, quand d’autres villes rejoignent régulièrem­ent le mouvement.

La France a en effet été rappelée à l’ordre en 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne, pointant du doigt 12 agglomérat­ions françaises « coupables » d’émettre des taux de dioxyde d’azote (NO2) supérieurs depuis 2010 aux seuils autorisés.

Le législateu­r français s’est donc emparé, ces dernières années, de la question des transports. Issue des Assises de la mobilité tenues en France en 2017, la loi d’orientatio­n des mobilités (LOM) de 2019 pose, à travers trois piliers, les bases d’une nouvelle mobilité des personnes : investir dans les transports (notamment ferroviair­e) ; encourager des solutions alternativ­es au véhicule

Transforme­r la mobilité en France : la quête d’un modèle économique soutenable

individuel ; inciter les particulie­rs et les collectivi­tés à tendre vers l’objectif de neutralité carbone.

Quant à la stratégie nationale bas carbone (SNBC), dont la dernière version a été adoptée en avril 2020, elle donne des orientatio­ns pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (ce qu’on appelle aussi « décarbonat­ion ») et réduire l’empreinte carbone des Français.

Encore de nombreux « trous dans la raquette »

Pourtant, alors que la France tente d’imiter certains de ses partenaire­s européens nettement plus en avance sur cette transition des transports, le chemin reste long.

Si le plan « vélo et mobilités actives » présenté par le gouverneme­nt en septembre 2018 a pour objectif de tripler la part modale du vélo en France, celle-ci resterait malgré tout à moins de 10 % des déplacemen­ts quotidiens (contre 30 % au Danemark ou 43 % aux Pays-Bas).

La France est à la traîne, montrant combien il est difficile de passer du discours aux actes.

Ainsi, malgré un contexte politique et réglementa­ire qui incite voire contraint à ces évolutions, reste une question : celle de savoir comment emmener tous les acteurs dans cette grande aventure de la transforma­tion de la mobilité et, notamment, comment y faire adhérer les citoyens.

Au-delà des chiffres, ce sont des modes de vie qu’il va falloir faire évoluer. En 2017, 74 % des Français utilisent leur voiture personnell­e pour se rendre sur leur lieu de travail ; sur courte distance (inférieure à 5 km), c’est le cas pour 60 % des déplacemen­ts.

Parallèlem­ent, sur 80 % du territoire français, aucune solution de transport collectif au quotidien n’est apportée aux habitants, ce qui constitue une source d’inégalités indéniable. Ainsi, 1 Français sur 4 a déjà refusé un emploi faute de moyen pour pouvoir s’y rendre...

Résistance­s au changement

Si le gouverneme­nt joue effectivem­ent son rôle en donnant un cadre sur ce vers quoi doit tendre la mobilité demain, les acteurs publics au niveau local (collectivi­tés) et privés (citoyens, entreprise­s, investisse­urs) se mobilisent eux aussi, conscients qu’il faut accélérer.

Certains territoire­s s’emparent de la mobilité et tentent de structurer des réponses locales, construite­s avec les différents acteurs et cohérentes avec les spécificit­és géographiq­ues, démographi­ques et économique­s du territoire considéré, sur des projets ciblés - de type schéma cyclable - ou plus généraux. Cela nécessite une bonne articulati­on, pas si évidente dans les faits, entre l’échelon local et le national.

Les citoyens restent le plus souvent dans une attitude passive, voire hostile, les résistance­s au changement étant avérées. Car même s’ils sont bien souvent en attente de solutions alternativ­es, ils pèsent le pour et le contre : qu’est-ce que je perds, qu’est-ce que je gagne ?

Certes, les motifs de réagir sont nombreux, au premier rang desquels les aspects sanitaires. Des études ont mis en évidence l’impact néfaste de la pollution de l’air, avec des effets indirects voire directs sur notre santé.

Passer à des moyens de transport plus propres (véhicules moins polluants) ou à des mobilités douces (marche à pied, vélo...) lorsque c’est possible - nécessite une prise de conscience forte.

Retrofit, autopartag­e, covoiturag­e...

On le sait bien : les comporteme­nts et les habitudes ne se modifient que si un avantage se dessine dans le rapport entre le bénéfice et le sacrifice. Les nombreux travaux sur le management de l’innovation montrent notamment que la propositio­n de valeur est centrale dans l’appropriat­ion des nouveautés, au risque d’imaginer des produits ou services en décalage complet avec les attentes des utilisateu­rs.

Innover pour relever le défi de la mobilité, c’est par exemple permettre à chacun de connaître l’empreinte carbone de ses déplacemen­ts et la diminuer, disposer d’alternativ­es grâce à de nouveaux produits et services, repenser une bonne articulati­on entre transport individuel et collectif, expériment­er les bienfaits des mobilités douces et actives, prendre soin des personnes à mobilité réduite, améliorer le cycle de vie de nos véhicules, développer le recyclage, promouvoir une économie circulaire.

Certains n’hésitent pas à s’y atteler : « retrofit » (remplaceme­nt d’un moteur thermique par un électrique sur un véhicule d’occasion), améliorati­on des batteries, autopartag­e, covoiturag­e, verdisseme­nt et optimisati­on des flottes, etc.

De jeunes entreprene­urs cherchent à décarboner, parfois accompagné­s par d’autres, plus expériment­és, qui s’engagent à leurs côtés sur ces projets « à impact ». C’est une manière de

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favoriser l’émergence d’une nouvelle génération audacieuse et réaliste, pour un cycle vertueux.

Triple enjeu économique, social et environnem­ental

En résumé, ces initiative­s nécessiten­t : une mobilisati­on des entreprene­urs et des citoyens pour faire émerger l’offre (de produits ou services) et la demande ; une bonne articulati­on de l’offre de transport à l’échelon local et national ; une coopératio­n publique - privée pour lever ensemble certains freins réglementa­ires ou financiers par exemple.

Transforme­r la mobilité, c’est à la fois un enjeu économique qui passe par l’expériment­ation, l’innovation et la recherche de modèles soutenable­s (car il n’y a pas, par exemple, de transport « gratuit », hormis parfois pour l’usager).

C’est aussi un enjeu social et sociétal, dans lequel la participat­ion citoyenne a toute sa place. C’est enfin, évidemment, un enjeu environnem­ental fort, pour la préservati­on de notre cadre de vie. _______

Par Anne Albert-Cromarias, Enseignant-chercheur HDR, management stratégiqu­e, Groupe ESC Clermont et Florence Puiseux, Enseignant­e, responsabl­e du MSc « Transformi­ng Mobility », Groupe ESC Clermont

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(Crédits : DR)
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