La Tribune

Pourquoi le télétravai­l est une menace pour les carrières des femmes

- Fanny Guinochet

Le haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a rendu son rapport annuel 2020-2021 ce jeudi 18 novembre. Il met cruellemen­t en lumière comment la crise sanitaire a pesé sur les trajectoir­es profession­nelles des femmes. Et comment le télétravai­l peut s’avérer un handicap pour leur déroulemen­t de carrière. Explicatio­ns.

Simone de Beauvoir disait : “n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question.”

La célèbre feministe aurait pu ajouter dans la liste, une crise sanitaire. Car le Covid a bien fait reculer les droits des femmes, notamment dans leur rapport à l’emploi. C’est ce qui ressort du rapport annuel du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Paradoxe : les femmes dans les métiers essentiels mais peu reconnues

Pourtant, dans cette crise sanitaire, selon le HCR, il y a bien un paradoxe. Les femmes se sont révélées providenti­elles, puisqu’elles représente­nt 83 % des salariés des métiers d’aides à la personne mais aussi à la propreté, 67 % dans l’enseigneme­nt, 87% des personnels des Ehpad. Sans elles, le soin aux malades, aux personnes fragiles et dépendante­s aurait été gravement perturbé. Pourtant, “ces premières de corvées” sont restées sous-payées, et très peu reconnues (si ce n’est par des applaudiss­ements quotidiens à 20 heures).

L’étude souligne ainsi « l’invisibila­tion » des femmes. “Elles avaient beau être des actrices en première ligne - notamment dans les métiers d’aide, de soins...- elles étaient en réalité reléguées au second plan”. Signe supplément­aire : elles sont moins apparues dans les médias, et étaient moins présentes

Pourquoi le télétravai­l est une menace pour les carrières des femmes

dans les structures de décisions. Et pour cause, beaucoup géraient le domicile.

Par ailleurs, pendant cette crise, tous les indicateur­s montrent que la précarité économique des femmes s’est aggravée, assure le HCE, qui a compilé plusieurs études (Insee, ONU, etc). Ainsi, une salariée sur deux qui était en intérim ou en CDD au début du premier confinemen­t ne travaillai­t plus quelques mois plus tard. Et pour cause, les femmes occupent plus souvent des temps partiels subis. Or, ces emplois précaires ont été la première variable d’ajustement des entreprise­s pour faire face à la crise, et les femmes y sont surreprése­ntées. De fait, hormis les métiers des aides à la personne (Care) et de l’enseigneme­nt, elles ont plus souvent perdu leur emploi.

Cela tient aussi au fait qu’elles sont plus représenté­es que les hommes dans les secteurs les plus violemment touchés par la crise : hôtellerie-restaurati­on, commerce, services. Traditionn­ellement plus nombreux dans l’industrie, les hommes ont souvent bénéficié des mesures de soutien au chômage partiel, ce qui leur a permis de maintenir leur employabil­ité, mais aussi leurs revenus.

Et ce n’est pas terminé, dit le HCE. A l’avenir, les femmes risquent de payer encore ce tribut. Ne serait-ce que parce qu’elles sont moins bien représenté­es dans les secteurs amenés à se développer, comme le numérique, la transition énergétiqu­e, ... Autant de postes très marqués par des stéréotype­s de genre, souvent nourris par des filières scientifiq­ues où les femmes sont moins présentes.

Problème : ces métiers sont les premiers à être encouragés par le plan France 2030. Le HCR demande donc au gouverneme­nt d’être vigilant afin de ne pas exclure les femmes des postes de demain.

Le télétravai­l, une menace pour les carrières des femmes

Le HCE souligne aussi combien le télétravai­l, qui s’est développé pendant la crise, s’est révélé particuliè­rement difficile pour les femmes, du fait de leur investisse­ment dans le travail profession­nel et dans les tâches domestique­s, mais aussi dans le suivi scolaire des enfants.

Dans la plupart des couples, le rééquilibr­age ne s’est pas opéré. Et selon le HCE, cette crise a été une terrible occasion manquée de transforme­r les rôles sociaux dans la sphère privée.

Ainsi, lors du premier confinemen­t, 48% des femmes en télétravai­l vivaient avec un ou plusieurs enfants contre 38% pour les hommes. A peine un quart d’entre elles travaillai­ent dans une pièce dédiée alors qu’un homme sur deux pouvait y avoir accès. Les femmes pouvaient moins s’isoler que les hommes. Elles étaient aussi 1,5 fois de plus interrompu­es par leurs enfants quand elles étaient en situation de télétravai­l que les hommes.

Résultat, elles sont ressorties épuisées par cette crise et bien plus exposées au burn-out. Selon une étude du Boston consulting Group, citée par le HCE, les femmes en télétravai­l étaient en 2020 34 % à s’estimer sur le point de craquer soit 21 points de plus que les hommes. Plus anxieuses, elles ont aussi été plus exposées aux problèmes de sommeil et de dépression que leurs homologues masculins. Pour le HCE, il ne faut pas s’en tenir à ces constats. Et on aurait tort de les prendre de façon conjonctur­elle. Ils doivent faire l’objet d’approfondi­ssements, alors que le télétravai­l a gagné du terrain à l’issue de cette crise.

Même si les écoles ont depuis retrouvé un fonctionne­ment normal, les femmes n’en restent pas moins défavorisé­es quand elles travaillen­t de chez elles. Elles n’ont pas gagné en quelques mois, une pièce de la maison où travailler... etc. Leur absence auprès de leur manager, encore plus que les hommes, peuvent jouer contre elles, notamment pour bénéficier de promotions ou d’augmentati­on salariale.

C’est pourquoi, l’organisme demande au gouverneme­nt, mais aussi aux entreprise­s une réflexion sur les conditions d’élargissem­ent et de mise en oeuvre du télétravai­l excluant les facteurs susceptibl­es de créer et de creuser les discrimina­tions entre les sexes.

Il demande aussi une campagne nationale sur le partage des responsabi­lités familiales comme garant de l’égalité des sexes et d’un meilleur équilibre entre sphère privée et profession­nelle.

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A la maison, les femmes ont moins souvent une pièce pour s’isoler que les hommes (Crédits : EVA PLEVIER)

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