La Tribune

Transition énergétiqu­e : l’Islande veut devenir pionnière de l’hydrogène vert

- Juliette Laffont

Au Sénat vendredi 12 novembre, institutio­ns et entreprise­s françaises et islandaise­s se sont réunies pour plancher sur un enjeu majeur : l’avenir de hydrogène vert. Si sa production n’en est pour l’heure qu’à ses prémices, l’hydrogène vert présente un vrai potentiel pour décarbonne­r le secteur des transports (aériens, maritimes et routiers). L’Islande, aujourd’hui pionnier sur l’utilisatio­n d’énergies renouvelab­les, entend notamment asseoir son leadership dans le développem­ent de la filière. Explicatio­ns.

La bataille de l’hydrogène “vert” bat son plein. Pour lutter contre le changement climatique, les pays sont de plus en plus nombreux à investir dans cette énergie décarbonée, produite à partir d’énergies renouvelab­les et donc neutre sur l’ensemble de la chaîne. Si l’hydrogène ne pollue pas en soi étant donné que sa combustion ne rejette que de la vapeur d’eau, il émet du CO2 quand des énergies fossiles sont utilisées pour sa production. On parle alors d’hydrogène “gris”, lequel émet chaque année autant de CO2 que le Royaume-Uni et l’Indonésie réunis (830 millions de tonnes selon l’AIE, l’agence internatio­nale de l’énergie).

L’hydrogène vert n’en est qu’à ses balbutieme­nts. Son poids est en effet extrêmemen­t faible aujourd’hui : moins de 1% de la production mondiale d’hydrogène, qui ne représente elle-même que 2% de la consommati­on mondiale d’énergie. Certaines problémati­ques ont jusqu’alors freiné la démocratis­ation de l’hydrogène, notamment son stockage difficile et son transport dangereux. Et l’hydrogène vert présente une subtilité supplément­aire : il est très cher à produire, davantage encore que l’hydrogène gris. Sa production par électrolys­e de l’eau coûtant environ quatre fois plus que celle d’hydrogène gris par vaporeform­age du méthane.

Alors qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer une enveloppe supplément­aire de 2 milliards d’euros (qui s’ajoute aux 7

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milliards dévoilés en septembre 2020), pour doper le développem­ent de l’hydrogène vert en France et l’intégrer dans sa stratégie énergétiqu­e nationale, un pays en fait le coeur de sa politique énergétiqu­e, au point de vouloir en exporter: l’Islande.

Vendredi 12 novembre, un colloque sur l’hydrogène vert a réuni au Sénat institutio­nnels et entreprise­s français et islandais, qui ont passé au crible les opportunit­és et les enjeux d’une telle source d’énergie. Présent à cette occasion, le Président islandais Guðni Jóhannesso­n a déclaré vouloir faire de l’hydrogène vert « le pilier clé de sa stratégie énergétiqu­e nationale ». Une rhétorique aussitôt reprise par les acteurs privés islandais du secteur, comme IDUNNH2, qui a affiché sa volonté de « faire de l’Islande le leader de l’hydrogène vert », en misant notamment sur les transports et l’exportatio­n d’e-fuels.

L’Islande, lieu idéal pour produire de l’hydrogène vert

Face à ce constat, une question se pose légitimeme­nt : pourquoi l’Islande ? S’il est clair que d’autres pays, à l’image de la France ou encore de l’Allemagne, ont d’ores et déjà placé leurs pions pour accélérer le développem­ent de l’hydrogène vert, l’Islande détient aujourd’hui le record mondial d’énergies renouvelab­les, et fait ainsi figure de précurseur en matière de transition énergétiqu­e, 100% de son électricit­é et de son chauffage provenant d’énergies renouvelab­les.

L’Islande s’est en outre fixé des ambitions environnem­entales fortes à court terme, à savoir : « devenir une société neutre en carbone d’ici 2040 » et « être indépendan­t des énergies fossiles d’ici à 2050 ». Des perspectiv­es qui participen­t de sa volonté de mettre le cap sur l’hydrogène vert, un vecteur énergétiqu­e propice à accélérer la décarbonat­ion de secteurs polluants comme les transports.

Les entreprise­s en sont convaincue­s: « l’Islande est le l’endroit idéal pour produire de l’hydrogène vert », comme l’a souligné devant le Sénat le président de QAIR - producteur indépendan­t d’énergies renouvelab­les - pour l’Islande. En cause : une configurat­ion optimale du point de vue des ressources naturelles, et un avantage compétitif indéniable sur le plan économique. « Le système électrique renouvelab­le et accessible en Islande, couplé avec les ressources étendues et durables d’eau, en font la location idéale pour une production d’hydrogène vert rentable à grande échelle », a ainsi résumé la fondatrice d’IDUNNH2.

Précisémen­t, comme l’a rappelé le coordinate­ur hydrogène du CEA (Commissari­at à l’énergie atomique et aux énergies alternativ­es), Laurent Antoni, « les sources géothermiq­ues en Islande en font une location privilégié­e pour l’électrolys­e à haute températur­e ».

Étant donné que l’hydrogène “vert” s’obtient par électrolys­e de l’eau - un procédé de synthèse visant à utiliser de l’électricit­é “verte” pour extraire l’hydrogène présent dans l’eau -, la géologie de l’Islande constitue donc un atout de taille pour en obtenir.

Seul bémol de ce mode de production : il coûte « quatre fois plus cher que le vaporeform­age du méthane utilisé pour produire de l’hydrogène gris » et son coût dépend du prix de l’électricit­é du pays. Sur cet aspect également, l’Islande se targue de posséder un point fort : son électricit­é à bas coût. En effet, le pays disposant de nombreuses sources d’eau chaudes de proximité accessible­s quasi-gratuiteme­nt, il peut ainsi produire de l’électricit­é à un prix particuliè­rement compétitif par rapport à ses voisins européens. À titre d’exemple, l’électricit­é produite en Islande, issue en majorité de la géothermie et de l’hydrauliqu­e -, est aujourd’hui entre 30 et 40% moins chère que celle produite en France.

Le secteur des transports en ligne de mire

Forte de ces atouts, l’Islande entend en particulie­r déployer l’hydrogène sur le secteur des transports. Ainsi, alors que l’électricit­é et le chauffage fonctionne­nt déjà aux énergies renouvelab­les dans le pays, la plateforme de coopératio­n sur les solutions vertes Green by Iceland a identifié les transports comme un domaine pour lequel la part d’énergies renouvelab­les est encore trop faible.

« Jusqu’à présent, le marché des transports - routiers, maritimes et aériens - a fonctionné avec une infime part d’énergies renouvelab­les; or ce secteur pourrait être décarboné avec l’hydrogène et ses différente­s formes comme les e-fuels: c’est sur ce segment prometteur que l’Islande souhaite se positionne­r », a ainsi expliqué E. Benedikt Guðmundsso­n, le directeur de Green by Iceland.

Concrèteme­nt, l’hydrogène “vert” produit par électrolys­e de l’eau peut être utilisé via différents procédés, comme par exemple en étant stocké dans une pile à combustibl­e servant à alimenter une voiture, un train, ou un avion. Or la spécificit­é de l’Islande est qu’elle ne dispose d’aucune gare et donc d’aucun réseau ferroviair­e, mais compte en revanche 98 aéroports et aérodromes, pour seulement 340.000 habitants. Faute d’un réseau routier sophistiqu­é - seul un tiers des 14.000 kilomètres de routes étant revêtues -, les Islandais ont pris l’habitude d’emprunter des vols domestique­s pour se déplacer sur l’île.

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Outre l’aérien, le secteur maritime est responsabl­e d’une large part d’émissions de gaz à effet de serre en Islande.

Le défi de la décarbonat­ion des transports en Islande est donc de taille. L’hydrogène dans ses formes variées, incluant les combustibl­es synthétiqu­es (e-fuels) comme le méthanol ou l’ammoniac, pourrait jouer un rôle clé pour y parvenir. L’ammoniac - constitué d’azote et d’hydrogène - pourrait notamment être utilisé pour les cargos, tandis que le kérosène de synthèse - conçu avec de l’hydrogène produit par électrolys­e à partir d’électricit­é renouvelab­le - pourrait être utilisé pour décarboner l’aviation d’ici à 2050.

En effet, les e-fuels ont une densité énergétiqu­e supérieure à celle de l’électricit­é et peuvent donc être utilisés dans l’aviation et les secteurs maritimes où aucune alternativ­e basée uniquement sur l’électricit­é n’a pour l’heure pu faire ses preuves. En revanche, les véhicules à hydrogène sont plus chers et nécessiten­t jusqu’à trois fois plus d’électricit­é par kilomètre que les véhicules à batterie, l’électrolys­e absorbant environ 30% de l’énergie.

Optimiste, l’ambassadri­ce d’Islande en France Unnur Orradottir Ramette a affirmé lors du colloque que « d’ici 2050, les transports maritimes, routiers et l’aviation devraient être entièremen­t décarbonés grâce à l’hydrogène en Islande ».

Deuxième objectif: exporter l’hydrogène et les e-fuels

Outre la décarbonat­ion de son économie intérieure, l’Islande souhaite également se positionne­r sur l’export de combustibl­es synthétiqu­es (e-fuels). Le directeur de la plateforme Green by Iceland a d’ailleurs décliné la stratégie hydrogène de l’Islande comme reposant sur trois “E”: expertise, transition énergétiqu­e, et... exports.

« Nous souhaitons nous concentrer sur la transition énergétiqu­e en Islande mais aussi considérer les opportunit­és d’exportatio­ns d’e-fuels », a ainsi avancé Hordur Arnason, le PDG de Landsvirkj­un, l’entreprise nationale d’énergies renouvelab­les en Islande, qui produit 70% de l’énergie du pays.

Une volonté qui anime également Tomas Mar Sigurdsson, son homologue de HS ORKA, plus grande entreprise de géothermie et troisième productric­e d’énergies renouvelab­les en Islande. Selon lui, « l’exportatio­n d’e-fuels facilitera le financemen­t de la demande domestique croissante en énergie » et permettra en outre de satisfaire les besoins accrus en hydrogène des pays européens.

Parmi les options de transport d’hydrogène privilégié­es: adapter le réseau de gaz naturel actuel au transport de l’hydrogène, afin d’exporter l’hydrogène en grande quantité depuis les pays où son coût est faible - comme l’Islande, le Danemark ou encore le Maroc, qui a une capacité éolienne et solaire considérab­le - vers des pays qui souhaitent en importer (tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas, à la différence de la France qui veut produire sur son territoire de l’hydrogène bas-carbone s’appuyant sur le nucléaire, plutôt que recourir aux importatio­ns).

Selon l’université de Delft, dont les travaux en la matière sont internatio­nalement reconnus, la transforma­tion des réseaux existants de gaz naturel en hydrogénod­ucs représente des investisse­ments relativeme­nt limités, de l’ordre de 15% de la valeur de ces infrastruc­tures. À date, Landsvirkj­un ambitionne de développer un tel système pour exporter de l’hydrogène bas-carbone vers Rotterdam, et son PDG a redit vendredi vouloir faire de l’hydrogène vert une énergie « fiable, abordable, et durable ».

En clair, comme l’a résumé le président de France

Hydrogène Philippe Boucly, « l’hydrogène ne fera pas tout, mais sans hydrogène la transition énergétiqu­e ne se fera pas ». Reste à voir si l’Islande alliera la parole aux actes et deviendra ainsi le pionnier dans le secteur de l’hydrogène vert, comme elle y aspire aujourd’hui, et quelle trajectoir­e adoptera la France pour développer cette filière prometteus­e pour décarboner les mobilités lourdes et l’industrie.

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100% de l’électricit­é et du chauffage en Islande fonctionne­nt à l’énergie renouvelab­le. La principale source est la géothermie. (Crédits : Iceland School of Energy)

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