La Tribune

La SNCF mise sur les caméras piétons pour apaiser les tensions sur ses lignes

- Léo Barnier

Face à l’importance des agressions subies par ses personnels en contact avec le public, la SNCF se dote de caméras piétons pour prévenir les situations à risques. Autrefois réservées aux agents de sécurité, leur utilisatio­n se développe à la faveur du cadre offert par la loi LOM. Près de 1.800 caméras seront opérationn­elles d’ici la fin 2022.

Déjà utilisées par les équipes de la sûreté ferroviair­e (SUGE), les caméras piétons ont fait leur apparition chez les agents de la SNCF en charge de la relation clients. Depuis le 13 septembre, l’opérateur ferroviair­e SNCF Voyageurs a commencé à déployer ces dispositif­s auprès de ces personnels volontaire­s dans le cadre d’une expériment­ation à grande échelle. L’objectif est tout d’abord de désamorcer des situations potentiell­ement conflictue­lles avec des voyageurs, afin de réduire les atteintes et les outrages qui ont entraîné 1.000 accidents de travail et donné lieu à 650 arrêts maladie en 2019. A défaut, les enregistre­ments pourront fournir des éléments en cas de procédure judiciaire. Si les résultats s’avèrent probants, les caméras piétons pourraient être appelées à devenir pérennes à partir de 2024.

« Nous avons souhaité expériment­er ce dispositif dans le cadre de la prévention des agressions de salariés du métier de la relation clients en complément des autres actions déjà engagées : formations, postures, dispositif­s d’alerte... », explique Valérie Boismartel, responsabl­e de la division Sûreté chez SNCF Voyageurs. Fixées sur les tenues de travail, ces petites caméras développée­s par la société américaine Axon permettent de capter le son et les images à proximité des agents de bord et d’accueil. En cas de tension avec des passagers, les personnels peuvent déclencher l’enregistre­ment après courte informatio­n préalable s’ils en ressentent la nécessité.

La SNCF mise sur les caméras piétons pour apaiser les tensions sur ses lignes

Source d’apaisement

Pour Valérie Boismartel, ces dispositif­s se veulent dissuasifs :

« Nos salariés nous remontent que le simple fait de porter la caméra de façon visible, même sans enregistre­ment, est à lui seul dissuasif. » Ces derniers font même remonter un effet apaisant selon la responsabl­e de la sûreté : « un client qui, potentiell­ement, s’approche avec un verbe un peu haut, se calme dès qu’il voit la caméra. »

Si la situation dégénère tout de même et débouche sur un dépôt de plainte, les enregistre­ments pourront alors faire l’objet d’une réquisitio­n judiciaire et être transférés à un officier de police judiciaire (OPJ). Celui-ci disposera d’éléments de contexte avec une vidéo qui débute 30 secondes avant le déclenchem­ent de l’enregistre­ment par l’agent de la SNCF, grâce à un système de mémoire tampon (la caméra filme en continu mais écrase les données au fur et à mesure, sauf si l’enregistre­ment est déclenché).

La responsabl­e de la division Sureté précise que la chaîne managérial­e n’a pas accès aux images et que seuls les prestatair­es du service interne de sécurité SNCF sont à même de gérer l’extraction des enregistre­ments pour les transférer à un OPJ.

Expériment­ation grandeur nature

Ce déploiemen­t est aujourd’hui pleinement opérationn­el à en croire Valérie Boismartel, même si celui-ci se fait dans le cadre d’une expériment­ation permise par la loi d’orientatio­n des mobilités (LOM), promulguée fin 2019, et bordée par un décret d’applicatio­n publié en avril 2021. Celui-ci donne la possibilit­é aux agents assermenté­s des exploitant­s de transport public d’expériment­er ce type d’équipement­s jusqu’au 30 juin 2024.

« A l’issue de cette expériment­ation, le législateu­r va prendre des dispositio­ns pour pérenniser ou non ce dispositif », précise Valérie Boismartel. SNCF Voyageurs comme les autres transporte­urs concernés devront d’ailleurs livrer un bilan de leur utilisatio­n au ministère des Transports en juin 2023.

A fin octobre, 96 caméras piétons étaient en service, déployées sur les grandes lignes de SNCF Voyages (TGV, Ouigo, Intercités), le réseau Transilien en Île-de-France et sur les TER en régions. L’objectif est d’arriver à 650 d’ici la fin de l’année, puis de poursuivre cette montée en puissance tout au long de 2022 pour atteindre 1.800 caméras en fin d’année.

Premiers retours d’expérience

Valérie Boismartel livre un premier bilan. Entre le 13 septembre et fin octobre, elle dénombre neuf déclenchem­ents d’enregistre­ment sans que cela n’aille plus loin : « Sur les neuf déclenchem­ents effectués entre mi-septembre et fin octobre, huit ont été dissuasifs, c’est-à-dire qu’ils ont permis d’apaiser la situation, soit un taux de 88%. Le dernier enregistre­ment n’a pas eu d’impact sur la situation. Cela ne l’a ni apaisée, ni dégradée. » A l’inverse, aucun déclenchem­ent n’a engendré d’escalade pour le moment. Cette situation apparaît comme peu probable au vu du benchmark réalisé par SNCF Voyageurs chez d’autres utilisateu­rs, mais constitue tout de même un point de vigilance.

Pour l’instant, les seules réquisitio­ns judiciaire­s ont eu lieu au cours d’une phase d’expériment­ation technique en 2019, mais la responsabl­e de la Sûreté prévient tout de même qu’une première réquisitio­n devrait intervenir suite à un dépôt de plainte début novembre.

SNCF Voyageurs ne dispose pas encore de suffisamme­nt de recul pour quantifier l’impact des caméras sur le nombre d’atteintes subies par les agents. Cela fait partie des objectifs avec l’accélérati­on du déploiemen­t, notamment en demandant aux agents d’évaluer leur sentiment de sûreté dans leurs missions clients avant et après la mise en place d’une caméra. L’évolution du nombre d’arrêts de travail liés à des agressions sera aussi étudiée.

Volontaria­t et résistance

Par obligation légale, seules les personnels assermenté­es peuvent mettre en oeuvre ces caméras. SNCF Voyageurs a également fait le choix de n’impliquer que des volontaire­s. La réponse des équipes s’avère plutôt bonne : la plupart des établissem­ents ont candidaté et environ 200 agents de bord

(qui sont tous déjà assermenté­s) et d’accueil ont déjà intégré le projet. Aucune ligne n’a été ciblée en particulie­r et le déploiemen­t se fait en fonction des avancées de chaque établissem­ent dans la recherche des volontaire­s, la préparatio­n des installati­ons techniques, en particulie­r les stations d’accueil, et de l’informatio­n des partenaire­s sociaux.

Des résistance­s existent tout de même de la part des personnels, avec des questionne­ments principale­ment centrés autour de l’accès aux images ou de la possibilit­é pour la hiérarchie d’utiliser ces images à des fins disciplina­ires. Valérie Boismartel reconnaît sans problème ces résistance­s, mais estime que toute la pédagogie nécessaire est mise en place.

La SNCF mise sur les caméras piétons pour apaiser les tensions sur ses lignes

Deux ans de préparatio­n

Les premières réflexions autour des caméras piétons ont été lancées début 2019 à la suite de propositio­ns venues des salariés. Après des premiers tests techniques au printemps 2019, SNCF Voyageurs a lancé un appel d’offres à la fin de cette même année. Celui-ci s’est déroulé au niveau européen afin que les caméras puissent être déployées dans l’ensemble du groupe SNCF.

Le marché a été attribué à Axon et sa caméra Axon Body 2 (proposée sur étagère) en juin 2020. L’entreprise américaine, déjà en contrat avec la SUGE et Keolis, a su répondre à un cahier des charges exigeant à en croire Valérie Boismartel, notamment en termes d’ergonomie pour s’adapter à l’ensemble des tenues des agents, de poids (142 grammes) et d’autonomie (12 heures de fonctionne­ment, y compris en enregistre­ment continu) afin d’être utilisable sur les missions en découché.

SNCF Voyageurs s’est également montrée vigilante sur la sécurisati­on de l’hébergemen­t des données, ne voulant pas les stocker sur un serveur interne. Elles sont ainsi téléchargé­es lors de la dépose des caméras sur les stations d’accueil, gérées via la solution Axon Evidence et déposées sur un cloud dans un pays européen. Il s’agit pour l’instant d’Amazon Web Services, mais un transfert vers Microsoft Azure est prévu.

SNCF Voyageurs n’a pas communiqué le montant de l’investisse­ment, si ce n’est que cela représente un coût tout compris de

280 euros par dotation pour les quatre ans d’expériment­ation. Au-delà de l’aspect humain, l’impact financier pourrait s’avérer positif rapidement en raison des coûts importants liés aux arrêts de travail. Chaque jour d’arrêt représente ainsi un coût direct de 300 euros par agent.

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Une caméra piéton Axon Body 2 portée par un agent SNCF. (Crédits : SNCF)

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