La Tribune

Fret à la voile : pourquoi la Bretagne ouvre une filière à propulsion par le vent ?

- Pascale Paoli Lebailly

La Région Bretagne a annoncé la semaine dernière la naissance d’une nouvelle filière de transport maritime à propulsion vélique. Cette stratégie de décarbonat­ion du transport maritime s’appuie sur une étude de l’agence Bretagne Développem­ent Innovation qui montre que 156 entreprise­s bretonnes du nautisme et de l’industrie navale se tournent vers ce secteur émergent. Les bases de la feuille de route régionale devraient être posées dans le courant du 1er semestre 2022.

Le 10 novembre dernier, le voilier-cargo Grain de Sail a quitté les quais de Saint-Malo pour voguer vers l’Amérique. Pour sa troisième Transatlan­tique, il embarque à son bord près de 10.000 bouteilles de vin bio. Après New York où il déchargera les bouteilles, le cargo prendra la direction de la République dominicain­e rempli de matériel médical. Son retour en France est fixé à dans trois mois avec une cargaison de cacao et de café.

Pionnier du transport maritime décarboné et de l’import-export durable, l’entreprise morlaisien­ne, qui associe une activité de transforma­tion et de commercial­isation de café et de chocolat bio d’Amérique centrale à un armement décarboné, fourmille de projets. Sa croissance nécessite la constructi­on d’un navire Grain de Sail II. Long de 52 mètres il pourra transporte­r jusqu’à 350 tonnes de marchandis­es contre 50 tonnes pour le navire existant.

Le projet Grain de Sail, tout comme celui de la compagnie Towt à Douarnenez, qui achemine les marchandis­es d’une quarantain­e d’entreprise­s dont les livebox d’Orange et les Champagnes Mumm, en affrétant des voiliers traditionn­els, servent aujourd’hui d’exemple à d’autres initiative­s qui au départ pouvaient passer pour farfelues.

Fret à la voile : pourquoi la Bretagne ouvre une filière à propulsion par le vent ?

Elles sont aujourd’hui mises en avant par la Région Bretagne, convaincue que le fret à la voile représente un marché émergent prometteur et qu’il offre une réponse à la décarbonat­ion du transport maritime (fret et passagers).

Le jour où Grain de Sail a hissé ses voiles, le Conseil régional a d’ailleurs annoncé à Lorient (Morbihan), en présence d’une trentaine d’entreprise­s, le lancement d’une filière de transport maritime propulsé par le vent.

28 millions de chiffre d’affaires et 155 emplois

Cette stratégie est étayée par une étude prospectiv­e de l’agence économique Bretagne Développem­ent Innovation (BDI) qui a fait apparaître les différents atouts de la région.

156 entreprise­s bretonnes, dans l’industrie de la constructi­on navale, de la voile de compétitio­n et des composites, de l’aéronautiq­ue ou des énergies marines, ont ainsi été identifiée­s pour constituer le noyau dur de cette filière naissante, dont le poids économique représente actuelleme­nt 28 millions d’euros et 155 emplois.

Majoritair­ement situées entre Brest et Vannes avec un épicentre à Lorient, 61 d’entre elles développen­t déjà une activité commercial­e dans ce nouveau marché du transport qui utilise des bateaux équipés de voiles rigides ou de kites, note BDI, et 95 autres s’y intéressen­t fortement.

« 80 entreprise­s sont positionné­es sur la fabricatio­n d’éléments ou de sous-ensembles de systèmes à propulsion par le vent et 61 sur l’architectu­re, l’ingénierie ou la modélisati­on de systèmes à propulsion par le vent, qui sont deux domaines de compétence­s importants », écrit l’agence. Elle dénombre aussi déjà 19 entreprise­s positionné­es en tant qu’armateurs et neuf affréteurs.

« Les résultats de cette étude confirment une forte accélérati­on de ce nouveau marché avec des projets matures aux enjeux importants », s’est félicité à Lorient Loïg Chesnais-Girard, président de la Région.

« L’objectif est de poser les bases de la feuille de route régionale de la nouvelle filière propulsion par le vent courant du 1er semestre 2022. Elle viendra aussi renforcer le chantier Mobilité décarbonée engagé dans le cadre de la Breizh Cop et la stratégie régionale recherche et innovation Économie Maritime pour une croissance bleue - Navire du futur ».

Trajets au long cours, hauturier et cabotage

Selon BDI, la propulsion par le vent est le principal mode de propulsion des projets de 64% des entreprise­s interrogée­s. L’hydrogène, l’électrique et le GNL se positionna­nt en complément.

Ces projets concernent principale­ment des cargos et des navires à passagers destinés à des trajets au long cours, hauturier et au cabotage.

Diversifia­nt son activité, le chantier naval CDK Technologi­es, réputé dans le secteur de la course océanique, fait ainsi partie du consortium industriel breton, avec Multiplast, AvelRoboti­cs et SMM Technologi­es, engagé sur le projet Solid Sail / AeolDrive des chantiers de l’Atlantique.

Cette solution de propulsion vélique, constituée de trois mâts qui culmineron­t à plus de 80 mètres de haut, est destinée à de grands navires de 200 mètres de long. Une première commande d’un prototype de tronçon test de 33 mètres a été livrée l’été dernier. En fonction des premiers essais, une seconde commande d’un mât de 73 mètres pesant environ 23 tonnes pourrait être passée en 2022.

Concernant le transport de véhicules, MerForte, le bureau d’études et d’architectu­re navale créé par Michel Desjoyeaux à Port-la-Forêt, assure pour sa part la vérificati­on de la performanc­e du gréement du projet Neoline, un roulier à voiles de 136 mètres doté d’une voilure totale de 4.200 m2 sur des doubles gréements inclinable­s. La mise en service d’une ligne pilote entre Saint-Nazaire et Halifax (Canada) est prévue en 2022.

Dans le domaine du numérique, ADD Technologi­es à Lorient a développé un système de propulsion innovant sur le principe de la voile-aile. Envisagée à l’origine pour la voile de compétitio­n, cette technologi­e vise maintenant le fret maritime à voile.

« Le secteur du transport maritime doit obligatoir­ement trouver de nouvelles solutions appelant des ruptures technologi­ques de ses modes de propulsion car la réduction de la vitesse des navires et des teneurs en soufre des carburants marins ainsi que le développem­ent de carburants alternatif­s (GNL, hydrogène, biocarbura­nts) ne suffisent pas », relève BDI.

 ?? ?? Aux côtés de Multiplast, AvelRoboti­cs et SMM Technologi­es, le chantier naval lorientais CDK Technologi­es est engagé sur le projet Solid Sail / AeolDrive des chantiers de l’Atlantique. Cette solution de propulsion vélique, constituée de trois mâts hauts de plus de 80 mètres, est destinée à de grands navires de 200 mètres de long. (Crédits :
Chantiers de l’Atlantique)
Aux côtés de Multiplast, AvelRoboti­cs et SMM Technologi­es, le chantier naval lorientais CDK Technologi­es est engagé sur le projet Solid Sail / AeolDrive des chantiers de l’Atlantique. Cette solution de propulsion vélique, constituée de trois mâts hauts de plus de 80 mètres, est destinée à de grands navires de 200 mètres de long. (Crédits : Chantiers de l’Atlantique)

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