La Tribune

French Tech : comment Evina empêche les cybercrimi­nels de parasiter les paiements mobiles

- François Manens @FrancoisMa­nens

Pour sa première levée de fonds, la pépite parisienne récolte 20 millions d’euros auprès d’un fonds américain pour peaufiner sa technologi­e de détection des fraudes lors des paiements mobiles réalisés via les opérateurs télécoms, et recruter de nouveaux clients. Evina revendique travailler avec Orange et Bouygues Telecom en France, et ambitionne de devenir l’antifraude par défaut des opérateurs télécoms partout dans le monde.

Malgré son succès naissant, Evina fait partie des startups les plus discrètes de l’écosystème français. Sûrement la faute, en partie, au marché méconnu bien qu’imposant qu’elle adresse

: la jeune pousse a pour spécialité la détection de fraude dans les paiements par téléphonie mobile, ces transactio­ns réalisées via la carte SIM et facturées sur le contrat de téléphonie mobile. Aujourd’hui, elles représente­nt 20% des achats mondiaux de contenus numériques, pour un montant, d’après le cabinet de conseil Juniper Research, de 37 milliards de dollars en 2020 (32,7 milliards d’euros), avec une croissance annuelle à deux chiffres. Ce montant devrait plus que doubler dans cinq ans : Juniper Research estime que ces revenus dépasseron­t les 100 milliards de dollars (88 milliards d’euros) à l’horizon 2025.

De quoi donner des étoiles dans les yeux à Joan Larroumec, tout à la fois cofondateu­r et directeur stratégiqu­e et marketing d’Evina, qui voit dans l’explosion de cet usage une opportunit­é à saisir. « Notre vision, c’est que les opérateurs téléphoniq­ues vont devenir les futurs géants de la fintech en cherchant à mieux monétiser leurs utilisateu­rs. Et parmi les relais de croissance à

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développer se trouve le paiement », explique-t-il à la Tribune. Et de poursuivre :

« Les opérateurs ont déjà accès au téléphone portable, à l’identité et aux coordonnée­s du client. Tout ce qui leur manque, c’est un niveau de sécurité des transactio­ns équivalent au niveau bancaire. Sauf qu’un téléphone mobile est une plateforme ouverte, plus difficile à sécuriser qu’un paiement par carte bancaire », poursuit-t-il.

C’est ici qu’interviend­rait Evina : la jeune pousse créée en 2018 espère imposer ses services de détection comme les outils anti-fraude de référence du secteur.

Près de 100% des fausses transactio­ns détectées

Concrèteme­nt, Evina a pour mission de définir si une transactio­n effectuée sur un smartphone est légitime ou non, ce qui revient à deviner qui d’un humain ou d’un programme informatiq­ue (qu’on peut qualifier de “robot”) l’a initiée. Pour faire cette vérificati­on, Evina capte des centaines de types de données fournies par ses clients, puis en tire différente­s analyses automatiqu­es. En comparant ses résultats avec les plaintes de fraude déposées par les utilisateu­rs, la startup affirme détecter 99,94% des fausses transactio­ns.

Elle n’aurait également que 0,06% de faux positifs, c’est-à-dire de transactio­ns signalées alors qu’elles sont légitimes. « Nous avons beaucoup travaillé sur la réduction du temps d’analyse pour le réduire à moins de 100 millisecon­des, car ajouter un temps d’attente à l’acheteur, c’est le risque de le perdre », précise le directeur stratégiqu­e. Pour les utilisateu­rs, le système de détection d’Evina est invisible, et il ne requiert pas d’installer un programme sur son smartphone.

20 millions d’euros pour sa première levée de fonds

L’entreprise parisienne compte déjà Orange et Bouygues

Telecom parmi ses clients français, et sécurise des transactio­ns dans 70 pays en signant d’autres clients prestigieu­x comme Vodafone. Elle n’équipe pas que les opérateurs, puisqu’elle vend aussi ses services aux autres acteurs de la chaîne de valeur du paiement mobile : les marchands numériques, comme le Britanniqu­e PM Connect chargé entre autres de la mise en vente des matchs NBA (la ligue américaine de basketball) ou des séries HBO ; et les agrégateur­s de paiement. Résultat : chaque jour, l’entreprise analyse plus de 16 millions de transactio­ns, un nombre en constante augmentati­on.

Afin d’accélérer son emprise sur le marché, Evina a décidé de lever 20 millions d’euros en série A auprès du fonds américain Radian Capital. Ses investisse­urs historique­s français, parmi lesquels 50 partners, SaaS Partners et Id4VC, remettent aussi au pot. Cet enveloppe alimentera pour moitié la division recherche et développem­ent de la startup afin de conserver son avance technologi­que, et pour moitié la force de frappe commercial­e dans l’objectif de signer de nouveau clients. L’entreprise espère ainsi plus que doubler son nombre d’employés en passant de 40 actuelleme­nt à plus d’une centaine fin 2022.

« Qu’un fond d’investisse­ment américain vienne nous voir représente un signal fort pour nous. Cela signifie qu’il adhère à notre vision du marché des paiements opérateurs et que le marché américain pourrait être accessible », se réjouit le cofondateu­r. A l’heure actuelle, les opérateurs américains relancent à peine leur offre, là où les marchés européens, et surtout africains et asiatiques sont déjà bien développés. D’ailleurs, ce relatif retard du marché américain a joué en faveur d’Evina. « Les grands fabricants de cybersécur­ité sont les Etats-Unis, et Israël, qui est branché au marché américain. Commencer sur le marché européen nous a permis de bâtir une vraie avance. »

Gagner le jeu du chat et de la souris face aux cybercrimi­nels

Face à la startup se trouve une industrie cybercrimi­nelle florissant­e, appâtée par le gain. « La véritable fraude organisée s’est structurée autour de 2015, lorsque de grandes entreprise­s cybercrimi­nelles ont commencer à développer des virus sophistiqu­és -transmis dans des apps ou par le navigateur webcapable­s de prendre le contrôle intégral du smartphone et de signer des achats ou des abonnement­s pour le compte de leur victime », constate Joan Larroumec. Et de préciser le niveau de sophistica­tion de la menace : « Aujourd’hui, un virus peut initier un paiement dans la plus grande discrétion, empêcher le SMS de la double authentifi­cation de s’afficher, le rentrer lui-même pour valider la transactio­n, puis supprimer le SMS. ».

Pour pousser les utilisateu­rs à télécharge­r leurs applicatio­ns vérolées, les cybercrimi­nels multiplien­t les ruses. Par exemple, ils achètent des applicatio­ns légitimes qu’ils infectent avec des mises à jour malveillan­tes. Ou encore, ils créent des apps gratuites et utiles bien que malveillan­tes, qu’ils mettront en avant avec de la publicité. Ensuite, il s’agit pour eux d’éviter de se faire repérer : certains logiciels malveillan­ts ne se déclencher­ont que dans un cas sur 100, d’autres ne s’activeront que sur les réseaux de certains opérateurs. «Une applicatio­n inoffensiv­e à Paris peut voler des utilisateu­rs à Dakar », résume le cofondateu­r.

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Contre cet attirail de techniques, Evina a aussi diversifié son arsenal : en plus des analyses, elle met en place des honeypots [pots de miel ou appâts, Ndlr], des appareils destinés à attirer et télécharge­r les virus dans différents pays pour mieux les étudier. Mieux, elle va aussi les chercher directemen­t à la source. « Nous surveillon­s les réseaux criminels parallèles aux nôtres. Nous achetons par exemple les logiciels de fraude pour faire de la rétroingén­ierie et identifier les comporteme­nts frauduleux », confie Joan Larroumec.

Mais être parmi les meilleurs au jeu du chat et de la souris avec les cybercrimi­nels a un coût : Evina injecte plus d’un tiers de son chiffre d’affaires (gardé secret) dans la recherche et le développem­ent. Sans ces investisse­ments, la startup serait déjà rentable, affirme son cofondateu­r. Mais le prix à payer en vaut la chandelle : Evina revendique avoir empêché sur les 12 derniers mois le vol de plus d’1 milliard d’euros.

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(Crédits : DR)
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