La Tribune

Réduire la vitesse de circulatio­n sans réaménager le territoire, c’est se condamner à rejouer la crise des Gilets jaunes

- Tom Dubois, Christophe Gay, Vincent Kaufmann et Sylvie Landriève

OPINION. Drogués à la vitesse de l’avion, du TGV et surtout de la voiture, nos modes de vies émettent toujours trop de CO2. Croyant avoir trouvé la parade et s’inspirant des conclusion­s de la Convention citoyenne pour le Climat, plusieurs candidats à la présidenti­elle proposent simplement de réduire les vitesses de circulatio­n, au risque de rejouer la crise des Gilets Jaunes. Par Tom Dubois, Christophe Gay, Vincent Kaufmann, Sylvie Landriève, membres du Forum Vies Mobiles et auteurs de « Pour en finir avec la vitesse » paru aux éditions de l’Aube.

La journée n’étant pas extensible, si on va moins vite, il faut pouvoir pratiquer ses activités quotidienn­es en plus grande proximité. Autrement dit, il faut que l’État stoppe sa politique de métropolis­ation et repense l’aménagemen­t du territoire en tenant compte des aspiration­s des citoyens et de la nécessaire transition écologique.

Aller toujours plus vite pour aller toujours plus loin

Avec le train, puis la voiture et enfin l’avion, nous avons connu au cours du XXe siècle une augmentati­on sans précédent de la vitesse de nos déplacemen­ts. Et pourtant, le temps que nous consacrons chaque jour en moyenne à nos déplacemen­ts est globalemen­t resté stable : environ une heure et demie. Au lieu de nous faire gagner du temps, la vitesse nous amène à aller toujours plus loin. Résultat, nous avons dispersé nos activités, même les plus quotidienn­es, sur des territoire­s de plus en plus vastes : on habite quelque part, on fait ses courses ailleurs et on travaille encore à un autre endroit. Alors qu’on parcourait quatre

Réduire la vitesse de circulatio­n sans réaménager le territoire, c’est se condamner à rejouer la crise des Gilets jaunes

kilomètres par jour en France il y a deux siècles, on en parcourt soixante aujourd’hui. Quinze fois plus.

De l’ivresse à l’addiction

Contraints de sillonner quotidienn­ement des espaces toujours plus vastes, nous souffrons des inévitable­s frictions engendrées par la vitesse (retards, stress, pollution, congestion, accidents).

Cette dépendance à la vitesse est telle qu’il nous semble impossible de nous en passer malgré l’ampleur et la gravité des problèmes environnem­entaux qu’elle soulève. Le secteur des transports représente effectivem­ent près de 30% des émissions nationales de CO2. À elle seule, la voiture en est responsabl­e de près de la moitié. Et il n’est pas simple de s’en passer, en particulie­r pour les habitants des territoire­s peu denses, qui n’ont pas ou peu d’alternativ­es. Et si l’avion n’est responsabl­e que de 5% des émissions nationales, malgré une certaine banalisati­on, son utilisatio­n reste fortement polarisée et beaucoup plus fréquente chez les plus aisés soulignant, si besoin en était, la forte stratifica­tion sociale de la vitesse des déplacemen­ts.

Pourtant, huit Français sur dix aspirent à ralentir leur rythme de vie et tous, à vivre davantage en proximité. Les aspiration­s des citoyens, la crise climatique - et l’augmentati­on du coût des carburants que nous connaisson­s actuelleme­nt - nous invitent donc de concert à en finir avec la vitesse.

Pas de ralentisse­ment sans proximité

Si les candidats à la présidenti­elle veulent réellement relever le défi posé par la crise climatique et la nécessaire réduction des émissions de CO2, sans pour autant venir exacerber les très fortes inégalités des Français face à la mobilité - autrement dit s’ils ne veulent pas rejouer la crise des Gilets jaunes - ils doivent s’emparer de cette question. Mais il ne s’agit pas seulement d’appeler au ralentisse­ment du rythme de vie, de la vitesse sur les routes secondaire­s et de la fréquence des déplacemen­ts motorisés, mais aussi de s’atteler au réaménagem­ent du territoire national. Il faut ainsi stopper la concentrat­ion des services dans les centres des métropoles et concevoir de nouveaux territoire­s de vie, plus décentrali­sés, répondant aux aspiration­s des citoyens. Non pas pour gagner du temps, comme pourrait le laisser croire une lecture trop rapide du slogan « la ville du quart d’heure », mais bien pour que tous les Français puissent vivre au quotidien en plus grande proximité, c’est-à-dire sur des territoire­s plus restreints, et ainsi limiter leurs déplacemen­ts motorisés. Et ce, grâce au redéploiem­ent local de l’activité, des services et des équipement­s du quotidien autour du domicile : emplois, avec entre autres le télétravai­l et l’économie résidentie­lle qui lui est associée, alimentati­on, restaurati­on, sports et loisirs, etc.

Face à la diversité de nos territoire­s et de nos modes de vie, nul besoin de fixer des normes trop strictes qui seraient rapidement démenties. Si l’on considère qu’une heure de déplacemen­t par jour reste une moyenne à ne pas dépasser, selon que l’on marche, que l’on utilise un vélo, un véhicule électrique ou les transports collectifs, on doit pouvoir accéder à l’essentiel des activités quotidienn­es dans un rayon de deux à quinze kilomètres autour de son domicile, mais pas beaucoup plus et cela quel que soit le type de cadre de vie dans lequel on habite : campagne, petite ville, ville moyenne, métropole régionale. Cela passe aussi par la fin de la course à la taille que se livrent les métropoles, Paris en tête (territoire où l’on passe le plus de temps à se déplacer).

Dans ce nouveau système territoria­l, qu’on se déplace à pied ou en transports collectifs, certaines personnes déploieron­t effectivem­ent leurs activités dans un rayon de deux kilomètres autour de chez eux quand d’autres continuero­nt à parcourir jusqu’à trente kilomètres par jour. Ces situations pourront d’ailleurs varier au cours de la vie. Mais, les disparités entre ceux qui se déplacent le plus et ceux qui se déplacent le moins seront beaucoup moins importante­s qu’aujourd’hui. Pour tout le monde, les déplacemen­ts quotidiens seront moins rapides, les distances plus courtes et la dépendance aux modes carbonés, diminuée.

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(Crédits : Lilian Auffret/Hans Lucas)

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