La Tribune

L’assurance emprunteur pourra bientôt être résiliée à tout moment

- Eric Benhamou

L’Assemblée nationale vient d’adopter la propositio­n de loi qui permet à un emprunteur immobilier de résilier à tout moment son assurance. Le texte vise à davantage ouvrir à la concurrenc­e un marché de 10 milliards d’euros, jusqu’ici largement dominé par les banques.

Et de quatre ! Après la loi Lagarde (2010), la loi Hamon (2015) et la loi Bourquin (2018), les députés viennent d’adopter en première lecture, à la quasi-unanimité, la propositio­n de loi portée par la députée Patricia Lemoine (Agir) permettant à un assuré de changer, à tout moment, et plus seulement à la date anniversai­re, et sans frais, son assurance emprunteur adossé à un crédit immobilier. Le texte doit être désormais examiné au Sénat pour une entrée en vigueur courant 2022.

C’est une petite révolution qui pourrait (enfin) rebattre les cartes d’un marché de l’assurance emprunteur, estimé à environ 10 milliards d’euros de cotisation­s par an auprès de 7 millions d’emprunteur­s immobilier­s, jusqu’ici largement dominé par les filiales d’assurance des banques (88% de part de marché). Toutefois, le texte laisse aux banques un délai d’un an, à partir de la promulgati­on de la loi, pour s’organiser et ajuster le cas échéant leurs offres.

Le principe est connu : une banque incite « fortement » son client qui souhaite obtenir un crédit immobilier à souscrire l’assurance emprunteur obligatoir­e (décès, maladie, invalidité...) de sa propre filiale. Offrant au passage peu d’espace à la concurrenc­e des assureurs traditionn­els ou mutualiste­s. Une situation de « monopole » (même si la concurrenc­e est vive entre les banques), régulièrem­ent dénoncée par les assureurs, les courtiers et les associatio­ns de consommate­urs.

Pouvoir d’achat

Une dernière étude de l’UFC-Que Choisir a même estimé à 550 millions d’euros par an le gain potentiel de pouvoir d’achat d’une

L’assurance emprunteur pourra bientôt être résiliée à tout moment

libéralisa­tion complète du marché de l’assurance emprunteur au bénéfice des emprunteur­s. Un argument qui fait mouche à l’heure où le maintien du pouvoir d’achat s’invite dans la campagne présidenti­elle. D’ailleurs, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire n’a pas manqué, mercredi dernier, de se déclarer favorable à cette propositio­n de loi au nom « du pouvoir d’achat des Français ».

Cette propositio­n de loi est le fruit d’un long aboutissem­ent législatif visant à ouvrir davantage l’assurance emprunteur à la concurrenc­e depuis la Loi Lagarde. Sans grands résultats jusqu’ici. « Le marché est complèteme­nt figé » se plaignent ainsi à l’unisson courtiers et assureurs. Pourtant, avec la baisse des taux, le poste assurance emprunteur pèse de plus en lourd dans le plan de financemen­t de l’emprunteur. Il peut même représente­r, en cette période de taux très bas, l’équivalent du coût de l’endettemen­t pour les plus âgés!

Le coût de l’assurance peut être est également un frein à l’obtention d’un crédit, soumis à des règles plus strictes, et même, dans certains cas, faire dépasser le taux effectif au-dessus du taux d’usure.

Selon la députée Lemoine, la possibilit­é de résilier son contrat et d’en souscrire à tout moment un nouveau pourrait permettre de réaliser des économies de 5.000 à 15.000 euros sur la durée totale du crédit immobilier. Les gains seraient particuliè­rement importants pour la clientèle jeune et en bonne santé, souligne le courtier Cafpi.

Les banques font de la résistance

Les banques ont toujours été hostiles à la possibilit­é d’une résiliatio­n infra-annuelle (et même à une résiliatio­n tout court) pour éviter une trop grande dispersion des tarifs entre les jeunes bien portants et les plus âgés ou les plus malades. Un argument de mutualisat­ion qui a jusqu’ici toujours porté auprès des pouvoirs publics. Les banques ont d’ailleurs multiplié ces derniers jours les gestes de bonne volonté.

Le Crédit agricole a ainsi proposé de limiter l’écart de prix entre l’assurance la moins chères et la plus chère d’un à quatre, contre actuelleme­nt un rapport de 1 à...30 ! Avant cela, le Crédit mutuel a ouvert le bal des bonnes intentions en proposant à ses clients les plus fidèles (plus de 7 ans) de les dispenser de questionna­ire santé (mais pas de la sélection !). L’initiative a d’ailleurs été moyennemen­t appréciée par les assureurs, la jugeant déloyale. « La banque a les moyens de suivre les problèmes de santé de ses clients par l’exploitati­on de ses données bancaires », avance un grand assureur mutualiste de la place.

Droit à l’oubli

La question des surprimes, voire même de l’accès même à l’assurance, et donc à un crédit, en cas de maladie, notamment chronique, ou d’activités à risque, est également au coeur de cette réforme. Le texte prévoit ainsi le lancement de travaux avec les banques et les assureurs sur les discrimina­tions envers les personnes pour l’accès au crédit et aux assurances et propose également de réduire le délai pour « le droit à l’oubli » pour certaines pathologie­s, notamment le cancer.

C’est une question sensible, mais également de concurrenc­e.

Les assureurs jugent indispensa­ble les questionna­ires de santé, notamment pour éviter les effets d’aubaine et mieux maîtriser les risques. Les assureurs non bancaires estiment en effet porter actuelleme­nt 43% des risques de l’assurance emprunteur pour une part de marché de 12%. « Il faut que tout le monde prenne sa part de risques », estime un assureur. Pour ce dernier, la possibilit­é de résilier son contrat pourrait mieux prendre en compte les progrès de la médecine au bénéfice de l’emprunteur.

Mais compte tenu de son rapport de force comme fournisseu­r de crédit et son accès aux données personnell­es des clients, la banque restera toujours bien placée sur ce marché très lucratif.

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Les bancassure­urs représente­nt 88% du marché de l’assurance emprunteur, estimé à 10 milliards d’euros par an. (Crédits : assurland)

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