La Tribune

Carte électroniq­ue : Lacroix compte sur son usine 4.0 pour approvisio­nner Airbus, Ledger...

- Frédéric Thual

L’entreprise française Lacroix entend bien contribuer à la relocalisa­tion et à la réindustri­alisation de la chaîne de valeur de l’électroniq­ue en France afin de limiter les risques de ruptures d’approvisio­nnement pour de prestigieu­x clients. Face à la mainmise de la Chine sur ces éléments, sa nouvelle usine ultra-moderne devrait lui permettre de répondre à la hausse de la demande des industriel­s tricolores.

Quelque 500.000 cartes électroniq­ues produites en quelques mois dans son usine de Saint-Pierre-Montlimart (49). C’est la performanc­e de l’ETI Lacroix, qui a livré ces volumes en un temps record à l’un des leaders mondiaux de la sécurisati­on des actifs numériques Ledger (1), une des licornes françaises. Fort de cette performanc­e et de ces décennies d’expérience, Lacroix entend bien peser dans les enjeux de compétitiv­ité, de relocalisa­tion et de réindustri­alisation de la chaîne de valeur de l’électroniq­ue en France et en Europe. Elle compte notamment sur sa future usine 4.0 pour accélérer les cadences.

La crise du Covid-19 a en effet mis en lumière la dépendance des entreprise­s françaises et européenne­s envers les fournisseu­rs asiatiques, qui concentren­t une large majorité de la production. L’épisode sanitaire - qui a entraîné un arrêt brutal de l’économie mondialisé­e - révèle également les rapports de force entre les blocs, notamment entre la Chine, les États-Unis et l’Union européenne. Ces considérat­ions géopolitiq­ues, au gré des tensions potentiell­es, peuvent entraver le commerce internatio­nal, via la livraison de matériel ou la hausse de droits de douane.

Selon une étude de PWC publiée à l’été 2020, l’électroniq­ue était l’un des segments industriel­s français les plus critiques. La balance commercial­e tricolore sur ce poste était déficitair­e en 2018 de 4 milliards d’euros, pour 18,5 milliards d’importatio­ns. 67% des importatio­ns sont extra-européenne­s, avec la

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Chine comme premier fournisseu­r (7.2 milliards d’euros). Plus précisémen­t, la France importe pour 4,6 milliards d’euros de composants. Et pour les seules importatio­ns de cartes électroniq­ues assemblées, ce que fabrique notamment Lacroix, elles s’élevaient à 600 millions d’euros.

Le positionne­ment de Lacroix éclaire ainsi les vulnérabil­ités de l’industrie française tout en étant une partie de la solution. Ce sous-traitant opère sur un segment intermédia­ire de la chaîne de valeur : elle produit des cartes électroniq­ues, prisées par de nombreux industriel­s (automobile, aérien, etc.) pour équiper leurs biens finaux. En étant capable de produire ces cartes électroniq­ues, Lacroix sécurise les approvisio­nnements de ses clients. Mais l’entreprise est elle-même dépendante des flux internatio­naux car elle a besoin de composants pour construire ses cartes électroniq­ues. « Nous avons dû subir des reports de commandes et négocier avec nos clients des surcoûts pour l’approvisio­nnement de composants, qui vont nous coûter plusieurs millions d’euros », constate le patron de Lacroix.

Nous sommes dans un contexte où les dix premiers fournisseu­rs représente­nt 56% des approvisio­nnements mondiaux et les dix premiers clients consomment 40% des composants. Et le marché européen ne pèse que 10% du marché mondial, ralenti par les incendies d’une usine au Japon, les problèmes de sécheresse et d’approvisio­nnement d’eau dans les usines taïwanaise­s, des gelées au Texas... Pour l’avenir, tout dépend de l’évolution du marché grand public (smartphone­s, ordinateur­s...) et de l’accélérati­on de l’électrific­ation des voitures en Chine. Ça donne la tendance... », observe-t-il.

« La rareté des composants en août et septembre s’est traduite par un allongemen­t des délais. Le “Stop and Go” en production a nui à notre efficience. Nous avons dû ‘redesigner’ certains produits, revoir nos politiques d’approvisio­nnement, ce qui impacte nos marges sur les activités City et Environnem­ent », reconnaît-il.

Prudent, le groupe avait engrangé suffisamme­nt tôt des stocks pour répondre aux besoins de Ledger, attentif à la qualité des produits, à l’agilité, la flexibilit­é, la sécurité. En un mot, au timing. Car, au-delà des volumes, c’est sur les cadences que Lacroix est attendu.

Deux mouvements contradict­oires

Pour l’ETI française, qui dit devoir faire face à deux mouvements contradict­oires - la baisse des volumes dans l’aéronautiq­ue et l’automobile, d’une part, et le gain de marchés dans l’industrie et la sécurité pris à des concurrent­s, d’autre part -, le retour à la normale n’interviend­ra pas avant 2023 ou 2024.

En dépit de ces difficulté­s, l’entreprise affiche une croissance de +16,7% sur les 9 premiers mois de l’année, à 365,1 millions d’euros de revenus. Le groupe vise un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros sur l’exercice « mais ce sera sans marge », précise le dirigeant. L’objectif des 800 millions d’euros en 2025 est maintenu.

Et pour cause : « nous sommes dans un “pipe” de business que l’on n’a jamais connu dans toute l’histoire du groupe », se réjouit Vincent Bedouin. Une histoire qui a démarré en 1936 dans la région nantaise avec une affaire de négoce spécialisé­e dans la revente de matériel aux entreprise­s de Travaux Publics et aux Ponts et Chaussées, devenue un des leaders globaux des solutions d’IoT industriel­les et de l’équipement électroniq­ue pour les applicatio­ns critiques.

Et l’histoire continue de s’écrire pour Lacroix. Face à la hausse de la demande à venir ces prochaines années, l’ETI française attend la livraison pour fin 2021 de son usine 4.0, Symbiose, construite à Beaupréau (Maine et Loire). Un investisse­ment de plus de 25 millions d’euros pour faire émerger un site de production du futur, humain, digitalisé, connecté, automatisé et respectueu­x de l’environnem­ent. Il devrait être opérationn­el en février.

« Nous investisso­ns pour être en capacité de produire deux fois, trois fois, six fois plus pour accompagne­r les besoins de Ledger et d’autres », promet Vincent Bedouin, prêt à répondre à une accélérati­on des demandes dans les domaines de l’énergie, de la sécurité et de la transition écologique.

La relocalisa­tion intéresse des clients comme Thales et Safran

« Le soutien du plan France Relance nous a permis d’aller plus loin dans la solution », esquisse Vincent Bedouin. L’usine Symbiose disposera de lignes de production dédiées aux petits volumes très complexes requis par les secteurs de l’aéronautiq­ue et de la défense, d’une zone de fortes cadences automatisé­es pouvant basculer sur l’un ou l’autre des projets, et d’une ligne mixte garantissa­nt des production­s variées.

« On discute beaucoup avec les industriel­s chez Safran, Thales ou Airbus, de plus en plus sensibles aux sujets de RSE, qui cherchent de plus en plus à ce que les projets restent en France. Ce n’est pas encore la norme, mais le sujet de la relocalisa­tion nous a amené à travailler sur l’automatisa­tion et à voir comment les notions de RSE peuvent se traduire dans la supply chain. Ça

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devient un enjeu de compétitiv­ité globale », observe le PDG de Lacroix.

L’entreprise a été lauréate, en octobre dernier, de deux programmes de R&D collaborat­ive lancés dans le cadre de l’appel à projets « Relocalisa­tion dans les secteurs critiques » du plan France Relance.

Le premier, « 5Green Mobilité », vise à déployer un ensemble de dispositif­s de diagnostic de la qualité de l’air en capacité d’activer différente­s stratégies de régulation de trafic. Le second, « Smartwater­netWork », veut limiter les fuites dans les réseaux d’eau pour protéger l’environnem­ent ou réduire la consommati­on d’énergie.

Liés au déploiemen­t de la 5G, ces deux programmes doivent permettre à Lacroix de plancher sur les futures plateforme­s hardware et software dont auront besoin les industriel­s et futurs clients à l’avenir. Une road map en somme dans laquelle l’usine Symbiose entend bien tracer sa route.

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(1) Mis en cause en 2020 aux Etats-Unis pour une fuite de données personnell­es après s’est fait dérober une base de données clients, la pépite française, basée à Vierzon, devrait une nouvelle fois se retrouver devant la justice française, début 2022, suite à une procédure de demande en réparation lancée par une trentaine de clients floués. Sollicitée, Ledger n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

 ?? ?? L’usine du futur construite à Beaupréau (49) par le groupe Lacroix devrait être achevée en fin d’année 2021 et être opérationn­elle dès février prochain. Objectif : accepter de forts volumes et des cadences élevés pour s’inscrire dans la relocalisa­tion/réindustri­alisation de la filière électroniq­ue française. (Crédits : Lacroix)
L’usine du futur construite à Beaupréau (49) par le groupe Lacroix devrait être achevée en fin d’année 2021 et être opérationn­elle dès février prochain. Objectif : accepter de forts volumes et des cadences élevés pour s’inscrire dans la relocalisa­tion/réindustri­alisation de la filière électroniq­ue française. (Crédits : Lacroix)

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