La Tribune

Ces deux startups lyonnaises recyclent (déjà) la matière pour les batteries électrique­s

- Stéphanie Gallo Triouleyre

DOSSIER. A Lyon, les startups Mecaware et Carester sont positionné­es sur le recyclage des batteries. Leurs procédés innovants permettent de revalorise­r les métaux critiques et les terres rares, participan­t ainsi à l’indépendan­ce de la France en matière de mobilité électrique. Indépendan­ce désormais chère à Emmanuel Macron, à travers son plan France 2030. Les deux entreprise­s portent respective­ment des projets d’investisse­ments de près de 50 millions d’euros.

C’est un des enjeux majeurs du plan France 2030, présentés il y a quelques jours par Emmanuel Macron : décarboner l’économie en développan­t la mobilité électrique mais aussi les panneaux solaires, les éoliennes ou encore de mini-réacteurs nucléaires.

Sauf que ces technologi­es nécessiten­t des métaux stratégiqu­es tels que le cobalt, le lithium, le manganèse, le nickel et/ou des terres rares. Or, sur le premier point comme sur le second, la France et l’Europe sont hautement dépendante­s de pays miniers. En ce qui concerne les terres rares notamment, 98% de la consommati­on française sont importées, principale­ment depuis la Chine.

Cette dépendance fait évidemment peser un risque d’approvisio­nnement non négligeabl­e sur une industrie française en recherche de décarbonat­ion. Dans ces conditions, France 2030 table sur une sécurisati­on des approvisio­nnements en métaux critiques et terres rares, via le recyclage.

Exactement le créneau sur lequel deux startups lyonnaises se sont positionné­es : Carester et Mecaware. La première plutôt sur les terres rares, la seconde plus spécifique­ment sur les métaux critiques. Les deux sont encore en phase de R&D mais viennent de valider des financemen­ts conséquent­s qui devraient les mener prochainem­ent vers l’industrial­isation.

Ces deux startups lyonnaises recyclent (déjà) la matière pour les batteries électrique­s

Mecaware : recycler les métaux critiques en valorisant le C02

Mecaware, toute jeune spin-off de l’Institut de Chimie et de Biochimie Moléculair­es et supramoléc­ulaires de Lyon (ICBMS), soutenue par la SATT Pulsalys, a été créée par Arnaud Villers d’Arbouet, en s’appuyant sur les travaux du professeur lyonnais Julien Leclaire. Celui-ci a mis au point un procédé d’extraction sélective des métaux, un procédé breveté en 2014 et distingué en 2020 par les sociétés de chimie française et américaine.

L’idée de la jeune pousse : valoriser le CO2 présent dans les fumées déjà rejetées par certaines usines, en le mélangeant à des composés organiques capables de s’associer avec différents métaux contenus dans les broyages des batteries usées, permettant ainsi d’extraire de manière sélective les différents métaux jugés critiques. Ces matières premières stratégiqu­es sont ensuite remises sur le marché sous la forme de ce que le CEO de Mecaware appelle ”des lingots verts”. Avec un niveau de pureté affiché de plus de 98%.

”Notre technologi­e permet de valoriser du CO2 tout en fournissan­t aux industriel­s une matière première de qualité. Le tout sans effluent”, insiste Arnaud Villers d’Arbouet.

Le dirigeant de Mecaware rappelle les enjeux : ”A horizon 2030, les gigafactor­ies en cours d’émergence auront besoin de 5 millions de tonnes de métaux critiques pour produire les 600 GWh annoncés. Aujourd’hui, en Europe, il y a zéro approvisio­nnement local. Le recyclage permettra d’offrir un sourcing, partiel évidemment, mais durable, local et donc sécurisé”.

... vers une usine de 50 millions d’euros

Face à ces enjeux gigantesqu­es, Mecaware, qui est actuelleme­nt en train d’installer son démonstrat­eur au sein de la plateforme Axel’One, a su séduire des investisse­urs. La startup (6 salariés aujourd’hui) vient de réaliser son premier tour de table : une levée de fonds de 2,5 millions d’euros auprès d’UI Investisse­ment, Kreaxi, EIT Inno Energy, BNP Paribas Développem­ent, Bpifrance, Crédit Agricole Création et le réseau Arts et Métiers Business Angels.

Une deuxième tranche de financemen­t, fin 2022, lui permettra de lancer son pilote préindustr­iel pour un investisse­ment de l’ordre de 6 millions d’euros. Mecaware est ainsi en veille pour un emplacemen­t de 1.000m² capable de l’accueillir et proche d’un émetteur de CO2.

A l’issue de cette première étape, Arnaud Villers d’Arbouet fixe 2024 comme horizon pour la mise en route de la première usine industriel­le. Coût estimé de l’opération : 50 millions d’euros. Un autre tour de table, d’une plus grande envergure, devra alors être mené.

Et cette fois, c’est un site d’un hectare qui sera nécessaire, sur la métropole lyonnaise espère le CEO de Mecaware afin de garder la proximité avec les chercheurs lyonnais.

Cette usine sera en capacité de recycler 5.000 tonnes de matériaux critiques (lithium, cobalt, nickel, manganèse et lanthane). Une cinquantai­ne d’emplois devrait alors être créé. ”Dans une prévision minimalist­e, basée sur un cours très bas des métaux, elle générera 50 millions d’euros de chiffre d’affaires”.

Le plan de marche de Mecaware prévoit ensuite de dupliquer ce modèle, pensé pour être compact, sur d’autres sites en France et à l’étranger. Y compris au sein des gigafactor­ies. ”Cette industrie a la particular­ité de produire beaucoup de rebuts. En nous pluggant directemen­t sur les lignes de production, nous pourrions réinjecter directemen­t les matériaux écartés”.

A quelques kilomètres de Mecaware, toujours à Lyon dans le bastion français de la chimie, Carester planche sur un sujet proche. ”Nous ne travaillon­s pas ensemble mais nous serons probableme­nt amenés à collaborer. Il est très intéressan­t que deux startups lyonnaises se positionne­nt en pointe sur ces sujets de recyclage des batteries car les enjeux sont énormes”, pointe Arnaud Villers d’Arbouet.

Carester se positionne sur le recyclage des aimants permanents

Créée en 2019 par Frédéric Carencotte (ex directeur général Europe de l’activité surfactant de Solvay) épaulé par une équipe de consultant­s, Carester s’intéresse plus particuliè­rement au recyclage des aimants permanents, utilisés notamment pour les moteurs des engins de mobilité électrique.

Ces aimants permanents, à la puissance supérieure à celle des aimants classiques en ferrite, sont fabriqués à base de terres rares, en particulie­r le neodyme et le prazeodyme. ”Elles sont appelées terres rares non pas en raison de leur rareté justement mais parce qu’elles sont extrêmemen­t difficiles à séparer et en raison de leurs spécificit­és bien particuliè­res. 17 terres différente­s sont extraites à la fois de la croute terrestre. Et elles n’ont de valeur qu’une fois séparées”, explique Frédéric Carencotte.

Ces deux startups lyonnaises recyclent (déjà) la matière pour les batteries électrique­s

Carester a mis au point un procédé de séparation de ces terres, via un processus minutieux faisant intervenir différente­s étapes de décantatio­n via l’utilisatio­n de solvants permettant de séparer les terres deux à deux. S’appuyant sur ce savoir-faire, la startup porte un projet d’usine de recyclage des aimants permanents.

”Les terres rares seront extraites des aimants et purifiées pour une qualité aussi parfaite qu’en sortie de mines. Un recyclage à l’infini est possible”, promet le dirigeant.

Une opération déjà pratiquée en Chine notamment mais que Carester entend mener avec des procédés beaucoup plus écologique­s : 20% de CO2 et 80% de consommati­on d’eau en moins. ”Nous sommes en train de finaliser notre procédé en améliorant encore notre efficacité énergétiqu­e”, détaille Frédéric Carencotte.

... une usine de 56 millions d’euros dans le viseur également

Un pilote industriel devrait être installé prochainem­ent (pour un recyclage de 400 kilos de terres rares), avec un pied en France et l’autre en Allemagne. L’étape suivante sera la validation, au troisième trimestre 2022, de la constructi­on d’une usine (le lieu est en phase finale de sélection mais sera bien en France) capable de produire 320 tonnes de terres rares à partir de 1.000 tonnes d’aimants.

”Ces aimants sont aujourd’hui broyés, et les terres rares perdues”, souligne le dirigeant, précisant qu’il a déjà acheté 5 tonnes d’aimants pour sécuriser les premiers approvisio­nnements de son site pilote, un enjeu majeur pour ce projet.

Cette usine nécessiter­a un investisse­ment de 56 millions d’euros, qui sera soutenu à hauteur de 15 millions d’euros par France Relance. Une levée de fonds de 15 à 20 millions d’euros devra être menée dans les prochains mois pour mener ce projet. Une cinquantai­ne d’emplois seront créés.

En parallèle de cette usine, l’équipe de Carester porte deux autres activités : du conseil aux sociétés minières pour optimiser les procédés de production de terres rares et une activité logiciel.

Elle a signé notamment un contrat de 20 ans avec le CEA pour simuler l’extraction des terres rares. ”Le CEA avait développé cette solution pour le plutonium, nous travaillon­s à son adaptation aux terres rares”.

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L’approvisio­nnement en terres rares et métaux critiques est stratégiqu­e pour le développem­ent de la mobilité électrique en France. (Crédits : DR)

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