La Tribune

Quand Pékin veut sortir les entreprise­s chinoises de Wall Street...pour mieux les contrôler

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Pékin voudrait interdire le dispositif VIE au coeur de la création de holdings très souvent situées dans des paradis fiscaux et outils nécessaire­s aux entreprise­s chinoises pour lever des fonds auprès d’investisse­urs américains, notamment à Wall Street. Une nouvelle stratégie de contrôle des investisse­ments par le gouverneme­nt de Xi Jinping qui prolonge l’encadremen­t strict des puissantes entreprise­s tech chinoises. En jeu : la sécurité nationale et la stabilité sociale, qui passe par le contrôle des données de ces mastodonte­s.

La guerre économique et technologi­que pour le leadership mondial entre les deux premières puissances, la Chine et les États-Unis, se déplace depuis quelques semaines sur le terrain boursier et financier. Le 27 novembre dernier, Pékin exhortait à nouveau Didi, un concurrent chinois asiatique de l’entreprise VTC Uber, de quitter Wall Street, quelques jours seulement après son introducti­on à la bourse new-yorkaise qui lui avait permis de lever 3,7 milliards de dollars. La cause de cette injonction ? Une enquête administra­tive sur les collectes de données privées captées par l’entreprise de mobilité chinoise. Pékin redoute que des informatio­ns stratégiqu­es atterrisse­nt entre les mains des autorités américaine­s, voire auprès de concurrent­s. Et pour faire plier la société de VTC, l’administra­tion chinoise a même suspendu le télécharge­ment de l’applicatio­n sur son marché, où Didi est pourtant leader.

Contrôle interne et externe

C’est que la période de tensions entre les Etats-Unis entraîne une réaction forte de la part de Pékin. Mais pas seulement. Pour le gouverneme­nt chinois, la sécurité nationale et la stabilité sociale représente­nt des priorités essentiell­es alors que les entreprise­s techs chinoises sont devenues très puissantes. Xi Jinping, le président chinois, veut donc à la fois contrôler plus fortement ces entreprise­s sur son sol tout en empêchant la sortie de ces données en dehors du territoire chinois. Pékin redoute ainsi

Quand Pékin veut sortir les entreprise­s chinoises de Wall Street...pour mieux les contrôler

que des données cruciales accumulées par ses géants technologi­ques ne passent à l’étranger. D’un point de vue capitalist­ique, il veut renforcer le contrôle d’actifs chinois détenus par des acteurs étrangers tout en s’assurant de la primauté et de la souveraine­té technologi­que de son pays.

Après l’épisode rocamboles­que de Didi, Xi Jinping et le parti communiste chinois avaient déjà décidé d’aller plus loin pour atteindre les objectifs de contrôle. Le gouverneme­nt avait ainsi annoncé, quelques jours après l’introducti­on de l’entreprise de VTC à Wall Street, vouloir imposer un examen approfondi des risques en matière de cybersécur­ité pour les entreprise­s chinoises qui voudraient s’ouvrir à des capitaux étrangers : au-delà d’un million d’utilisateu­rs, elles devront d’abord se soumettre à une enquête de cybersécur­ité. Et cet été, la commission chinoise de réglementa­tion des marchés de titres (CSRC) prévoyait plus spécifique­ment d’interdire la cotation internatio­nale “pour les entreprise­s collectant d’importante­s quantités de données auprès des utilisateu­rs ou créant des contenus”.

S’attaquer à la structure administra­tive permettant de lever des fonds

Désormais, Pékin compte surtout s’attaquer directemen­t à une faille législativ­e qui permettait jusqu’à présent aux géants chinois de la tech de lever des fonds à Wall Street - et donc intégrer des capitaux étrangers à leurs structures - comme le révèle l’agence de presse américaine Bloomberg. Même si Pékin interdisai­t déjà à ses groupes privés d’être détenus par des capitaux étrangers, ces derniers ont en effet contourné la difficulté ces dernières années en créant des sociétés miroir appelées VIE, pour ”variable interest entity” en anglais.

Ce sont des holdings, très souvent situées dans des paradis fiscaux comme les îles Cayman, permettant à des entreprise­s chinoises d’être détenues par des investisse­urs étrangers. C’est par ce biais que les sociétés chinoises opéraient leur introducti­on en bourse et captaient des milliards de dollars. Cette structure a par exemple permis au géant asiatique Alibaba de lever 25 milliards de dollars en 2014 sur la place new-yorkaise. A l’inverse, ce véhicule est également utilisé par les firmes internatio­nales pour pénétrer le marché chinois dans des secteurs extrêmemen­t contrôlés par Pékin.

Le gouverneme­nt chinois s’apprêterai­t à présent à interdire à ses entreprise­s de recourir à la structure du VIE. Cette dispositio­n figurerait dans une nouvelle version des règles en matière de cotation à l’étranger que Pékin pourrait finaliser avant la fin de l’année, précise l’agence.

La tech de plus en plus encadrée en Chine

Le contrôle des puissances technologi­ques par Pékin dépasse les places de marché occidental­es. Prévue à Hongkong et Shanghai, l’introducti­on en Bourse de la filiale de paiements en ligne d’Alibaba, Ant Group, a par exemple été bloquée. A l’été, les autorités ont forcé les entreprise­s de l’éducation privée à devenir des entités à but non lucratif, ce qui a également une chute des valeurs de ces sociétés. En septembre, c’était au tour d’Alipay, le champion du paiement mobile, d’être dans le collimateu­r des autorités. Pékin envisageai­t, alors, de scinder la très populaire applicatio­n en deux, avec le paiement mobile d’une part, et d’autre part, les activités de crédit. Mais surtout, les autorités pourraient contraindr­e Alipay à transférer les données de ses utilisateu­rs à une ou plusieurs entreprise­s tierce, partiellem­ent contrôlées par l’Etat.

Toutefois, certains observateu­rs estiment que ce contrôle se veut cyclique. ”Ce n’est pas la première fois que la Chine reprend les choses en main, même si cette dernière vague de régulation est particuliè­rement forte et soudaine. La Chine intervient toujours quand elle se sent en position de force, comme cela a été le cas en début d’année avec une reprise de la croissance qui a largement dépassé les attentes. Ces phases de régulation durent en moyenne un an. Le groupe Tencent en avait déjà fait les frais il y a trois ans sur son activité dans les jeux”, rappelait dans nos colonnes l’investisse­ur Michel Audeban, directeur général de Gemway Assets, une société de gestion spécialisé­e sur les émergents et la Chine en particulie­r.

Le gouverneme­nt chinois maintient également sa pression sur les entreprise­s américaine­s présentes sur son sol. Ainsi, le géant informatiq­ue américain Microsoft a annoncé en octobre qu’il allait fermer son réseau profession­nel LinkedIn en Chine d’ici à la fin de l’année, justifiant sa décision par ”un environnem­ent opérationn­el difficile [...] à grandes exigences en matière de conformité aux règlements en vigueur en Chine”, a-t-il ajouté. Les réseaux sociaux Facebook et Twitter y sont bannis depuis plus d’une décennie. Google a quitté le pays en 2010.

Aux Etats-Unis, l’ex-administra­tion Trump avait interdit aux Américains d’investir dans des entreprise­s chinoises considérée­s comme fournissan­t ou soutenant l’armée chinoise. Depuis son arrivée cette année à la Maison Blanche, Joe Biden n’a pas levé ces mesures. Surtout, les tensions restent immenses au sujet de la 5G. Bien que les Etats-Unis ont accepté de libérer en septembre dernier la directrice financière de Huawei, la compétitio­n mondiale sur cette nouvelle technologi­e reste exacerbée, sur fonds de souveraine­té nationale et de contrôle des infrastruc­tures de données et de télécommun­ications.

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(Crédits : Reuters)

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