La Tribune

Hydrogène issu du nucléaire : la France dénonce la volte-face allemande

- Marine Godelier

Enième rebondisse­ment dans l’épineux dossier de la certificat­ion de l’hydrogène « durable » par l’Union européenne. Alors que fin 2022, Berlin a accepté que ce vecteur énergétiqu­e puisse être produit à partir d’électricit­é nucléaire et plus uniquement renouvelab­le, et se voir quand même étiqueté « vert », les négociateu­rs allemands semblent faire fi de cet accord lors des discussion­s à huis clos. Un double discours « inacceptab­le » pour la France, qui a cédé sur plusieurs dossiers en échange de la promesse d’un appui politique outre-Rhin.

Et rebelote. Alors que fin 2022, la France avait réussi à obtenir de l’Allemagne qu’elle reconnaiss­e comme « durable » l’hydrogène produit à partir d’électricit­é nucléaire, aux côtés des énergies renouvelab­les, les négociatio­ns tombent à nouveau au point mort. En effet, jeudi soir, la ministre de la Transition énergétiqu­e Agnès Pannier-Runacher a réuni des journalist­es dans la précipitat­ion, afin de leur signaler qu’à Bruxelles, la position de l’Hexagone se heurte toujours à des résistance­s fortes malgré le deal entre le chancelier Olaf Scholz et Emmanuel Macron. « Derrière les accords politiques, les négociateu­rs allemands manifesten­t encore un refus net face aux propositio­ns françaises dans les discussion­s à huis clos », abonde à La Tribune une source proche du dossier. Un énième rebondisse­ment dans une saga longue de plus de deux ans, signe que les positions divergent fondamenta­lement en Europe sur la question de l’avenir de l’atome. Au point d’être irréconcil­iables ?

De fait, dans ce dossier aussi épineux que crucial pour la transition énergétiqu­e, chacun campe sur ses positions. Paris, aux côtés de huit autre pays (Roumanie, Bulgarie, Pologne, Slovénie, Croatie, Slovaquie, Hongrie, République tchèque), milite pour que le courant abondant et décarboné issu de ses centrales nucléaires puisse être utilisé pour produire de l’hydrogène étiqueté « vert », lequel sera arrosé de subvention­s par l’UE. Mais Berlin, qui promet d’atteindre un mix électrique 100% renouvelab­le d’ici à 2030, compte, lui, ranger l’atome aux côtés des hydro

Hydrogène issu du nucléaire : la France dénonce la volte-face allemande

carbures, malgré son faible impact sur le climat. Et refuse par conséquent de qualifier de « durable » l’hydrogène généré à partir de la fission de l’uranium, tout comme le Danemark, l’Autriche et les Pays-Bas.

Une position « climaticid­e » selon l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher

Le sujet doit pourtant être réglé rapidement, dans le cadre de la directive sur les renouvelab­les (REDIII) actuelleme­nt discutée entre des représenta­nts du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. Mais les échanges « ne prennent pas une tournure satisfaisa­nte », et risquent d’aboutir à « imposer des objectifs qui ne tiennent pas compte des réalités des Etats-membres ayant déjà décarboné leur électricit­é [avec du nucléaire] », s’alarme-t-on dans l’entourage d’Agnès Pannier Runacher. Ce qui serait « climaticid­e », lâche-t-on même au ministère tricolore de la Transition énergétiqu­e, déterminé à ne pas relâcher la pression sur la dernière ligne droite.

Il faut dire que l’exécutif tricolore a de quoi être surpris. Car dès le 24 novembre, dans un accord ratifié avec la Première ministre française, Elisabeth Borne, Olaf Scholz reconnaiss­ait l’importance de l’hydrogène « bas carbone », qu’il soit d’origine renouvelab­le ou nucléaire. Deux mois plus tard, le chancelier signait même avec le président français, Emmanuel Macron, une déclaratio­n commune de très haut niveau remettant en avant ce principe.

Compromis politique non suivi d’effet

Et celui-ci comportait, bien sûr, une contrepart­ie. En échange, l’Hexagone devait lâcher du lest sur une demande pressante de

Berlin : celle de déployer un réseau transeurop­éen de pipelines d’hydrogène passant nécessaire­ment par la France, jusqu’ici réticente. Début décembre, Paris avait d’ailleurs lié un accord similaire avec l’Espagne à Alicante, afin d’obtenir là aussi le soutien du pays dans les négociatio­ns sur l’hydrogène « durable » issu du nucléaire. Et ce, contre la constructi­on d’un tuyau de transport de l’hydrogène entre Barcelone et Marseille, baptisé H2Med et voulu par Madrid et Berlin. Car sans nucléaire pour produire localement ce vecteur énergétiqu­e, l’Allemagne compte l’importer massivemen­t à bas coût, notamment depuis la péninsule ibérique ou le Maghreb.

« Berlin sera partie prenante dans H2Med, et a d’ailleurs obtenu de la France un autre projet de pipeline, Hyphen, visant à relier Marseille jusqu’à l’Allemagne en passant par la vallée du Rhône », explique un connaisseu­r du secteur.

C’est donc ce compromis éminemment politique dont plusieurs Etats membres, parmi lesquels l’Allemagne, semblent faire fi lors des discussion­s en cours. « Les Espagnols se montrent eux aussi réticents à l’idée d’inscrire dans REDIII que l’hydrogène issu du nucléaire sera “durable”, malgré les accords de ces dernières semaines. Ils s’y opposent moins fermement qu’outre-Rhin, mais les négociatio­ns ne sont pas non plus faciles », note d’ailleurs un proche du dossier ayant requis l’anonymat. Un revirement « pas acceptable », estime-t-on dans l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher, alors que la France n’a pour l’instant pas remis en cause sa volonté de remplir sa part du contrat. Et compte toujours sur ses voisins européens pour en faire autant.

 ?? ?? (Crédits : BENOIT TESSIER)
(Crédits : BENOIT TESSIER)

Newspapers in French

Newspapers from France