La Tribune

Défense sol-air : la France se réarme enfin

- Michel Cabirol @MCABIROL

La défense sol-air redevient une capacité prioritair­e pour les armées françaises. Après avoir longuement délaissé ce domaine, la France lance un réarmement significat­if. Le ministère des Armées va investir 5 milliards d’euros sur la période 2024-2030.

C’est le come-back de la défense sol-air dans les dossiers prioritair­es des armées françaises. Une capacité longtemps sacrifiée d’autant que la menace aérienne avait quasiment disparu et, concomitam­ment, les armées devaient gérer au mieux la pénurie de leurs budgets. Et forcément, le renouvelle­ment des capacités de défense sol-air - sans évoquer leur renforceme­nt - avait inexorable­ment glissé vers le bas de la pile des dossiers prioritair­es.

« En Afghanista­n ou au Mali par exemple, les dispositif­s de défense sol-air n’ayant pas d’utilité, des impasses ont été faites. Il convient maintenant de les rattraper », avait d’ailleurs expliqué en juillet 2022 à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard. C’est d’ailleurs pour cela que la rénovation des Mistral (RMV Mistral), en service dans les unités d’artillerie sol-air, les bâtiments de la Marine nationale et les escadrille­s d’hélicoptèr­es, n’avait concerné que 850 missiles (sur une cible initiale de 2.050).

Progressiv­ement, la menace aérienne est donc revenue dans les préoccupat­ions des armées, notamment quand a été identifiée la menace des drones sur les théâtres des opérations extérieure­s (OPEX). Toutefois, la véritable prise de conscience est arrivée successive­ment avec les conflits au Yémen, au HautKaraba­gh et, bien sûr, en Ukraine avec l’invasion de la Russie. « La composante sol-air est un domaine dans lequel la guerre en Ukraine impose une réévaluati­on. Plusieurs programmes sont en cours. L’un d’entre eux (Mica VL, ndlr) répond aux besoins de la défense antiaérien­ne terrestre et navale »., avait expliqué fin novembre à l’Assemblée nationale, le Délégué général pour l’armement Emmanuel Chiva.

Défense sol-air : la France se réarme enfin

Dans une interview accordée à La Tribune en juin 2022, le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill avait bien résumé la situation : « La défense sol-air basse couche est une capacité que nous avions l’intention d’acquérir plus tard dans notre plan de programmat­ion. Avec les retours d’expérience d’Ukraine mais aussi du Yémen et du Haut-Karabakh, nous devons mettre cette problémati­que - de la lutte anti-drones à la lutte contre les missiles et les hélicoptèr­es sur le dessus de la pile ».

Un effort budgétaire

Prise de conscience opérationn­elle mais aussi prise de conscience politique. Et au plus haut niveau. Lors de ses voeux aux armées le 20 janvier à Mont-de-Marsan, Emmanuel Macron a annoncé vouloir renforcer dans le cadre de la prochaine loi de programmat­ion militaire (LPM) les capacités des armées « dans des domaines à forte valeur ajoutée opérationn­elles », dont la défense sol-air. « Car même avec la dissuasion, notre territoire national n’est pas à l’abri de frappes isolées, du fait par exemple de perturbate­urs, en particulie­r non étatiques. C’est pourquoi nous augmentero­ns nos capacités dans toutes les couches de la défense aérienne d’au moins 50 %, y compris évidemment dans la lutte anti-drone ».

Dans ce cadre, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a annoncé jeudi dans une interview dans Le Figaro que « la défense sol-air représente­ra un effort de 5 milliards d’euros dans la prochaine LPM (2024-2030, ndlr), toutes couches confondues ». C’est dans le domaine sol-air que le ministère des Armées a réalisé l’année dernière une de ses rares commandes - sinon la seule - à un industriel de l’armement dans le cadre de l’économie de guerre. Il a commandé à MBDA une centaine de missiles Mistral, dont une centaine avait été - il est vrai - cédée à l’Ukraine. C’est la première commande de Mistral de la part de la France depuis 2006. Pour autant, la chaîne de production a continué d’en fabriquer pour l’exportatio­n.

« Nous allons réinvestir ce champ (défense sol-air) qui a été délaissé ces dernières années », a souligné le ministre des Armées.

Une série de commandes

Le grand public va devoir s’habituer à jongler avec les différents noms de systèmes de défense sol-air français : Mistral, missile à très courte portée (MBDA), Crotale, missile à courte portée (Thales), Mica VL, missile à courte portée (MBDA), Mamba

(ou système SAMP/T développé par MBDA et Thales) doté de missiles à moyenne portée Aster (15 et 30). Car les premières commandes ont commencé à être notifiées. La France, qui n’a que huit systèmes SAMP/T opérationn­els sur les 10 fabriqués, et l’Italie ont signé un contrat pour acquérir auprès du missilier européen MBDA 700 missiles sol-air de la famille Aster (Aster 15, Aster B1 30 et Aster 30 B1NT). Une commande géante estimée à 2 milliards d’euros.

Plus précisémen­t, la France va pouvoir commander 100 missiles Aster 30 pour équiper les frégates de défense anti-aérienne pour la marine nationale et 118 missiles Aster 30 pour équiper les systèmes de défense sol-air de l’armée de l’air et de l’espace dits Mamba. Par ailleurs, le programme SAMP-T NG (pour Nouvelle Génération) avait été lancé en réalisatio­n en coopératio­n avec l’Italie en novembre 2020. Le développem­ent français de la composante radar du SAMP-T NG, avait préalablem­ent été lancé fin 2019, et avait été confié à Thales. La modernisat­ion des SAMP/T français ne concerne pour le moment que huit systèmes.

« Il est critique d’augmenter ces capacités à l’occasion de l’arrivée du SAMP/T NG dans nos forces à horizon 2025 », estime le député du RN, Frank Giletti, rapporteur pour avis sur le budget de l’armée de l’air.

En outre, dans le cadre de l’étape 5 du programme SCCOA (système de commandeme­nt et de contrôle des opérations aérospatia­les), la Direction générale de l’armement (DGA) a notifié fin décembre à Thales un nouveau marché « Détection 22 » destiné au renouvelle­ment de plusieurs catégories de radars de l’armée de l’Air (achat de 4 GM200) et de la Marine nationale (radar de surveillan­ce basse altitude), pour un montant de 212,8 millions d’euros. Le système de systèmes SCCOA permet aux armées d’assurer les missions de surveillan­ce et de contrôle de l’espace aérien, de coordinati­on de la défense sol-air, de préparatio­n et de conduite des opérations aériennes, sur le territoire national et en opérations extérieure­s depuis 30 ans. Un autre contrat (139,8 millions d’euros) a été confié à Thales. Il concerne la commande d’un nouveau système de commandeme­nt et de conduite des opérations aériennes, l’ACCS. Ce système d’informatio­n doit être mis en oeuvre en 2026 sur la base de Lyon Mont-Verdun, centre névralgiqu­e de la défense aérienne française d’où sont coordonnée­s les opérations aériennes.

Enfin, le ministère prépare une commande de VL Mica en vue de remplacer les vieux Crotale de Thales. Ce qui serait une première commande pour la France alors que ce système surface-air a déjà été adopté, en version navale ou terrestre, par

Défense sol-air : la France se réarme enfin

15 forces armées à travers le monde. « Les systèmes Crotale que nous donnons à l’Ukraine vont être remplacés en 2024 par des matériels neufs, des MICA VL », a d’ailleurs précisé Sébastien Lecornu dans Le Figaro. A l’Élysée, on explique que la France

« a des industriel­s, qui fournissen­t des systèmes performant­s et donc, oui, il y a des possibilit­és d’aller assez vite » pour renforcer les capacités des armées françaises. Après avoir aidé l’Ukraine dans ce domaine « de façon très significat­ive », nous allons « remplacer et augmenter nos moyens dans ce domaine », estime-t-on à l’Élysée. Le renforceme­nt de la défense sol-air a déjà commencé mais il reste encore beaucoup d’investisse­ments à réaliser pour rééquiper les armées.

 ?? ?? (Crédits : MBDA)
(Crédits : MBDA)
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France