La Tribune Hebdomadaire

Au royaume initiatiqu­e des « radins malins »

- Sophie Peters

« Le client est roi » pourrait bien être l’adage du low cost. Car sa véritable nature et à chercher du côté de la demande finale, c’est-à-dire du consommate­ur, de son intérêt comme de sa psychologi­e.

Dans le low cost, c’est le point de vue du client qui définit ce qui est essentiel dans une offre, les performanc­es incontourn­ables d’un produit, la nature d’un service que l’on juge indispensa­ble » , résume Pascal Perri, économiste, consultant et auteur de Toujours moins cher, low cost, discount, et Cie (Éd. de l’Atelier). La volonté chez le consommate­ur d’en avoir pour son argent, au prix le plus juste rencontre une offre désormais dépouillée de ses oripeaux marketing et de ses prétendues promesses jamais tenues.

désacralis­ation et inversion des valeurs

« Le low cost désacralis­e. Il ne promet pas grand-chose et ne raconte aucune histoire » , admet Emmanuel Combe, vice-président de l’Autorité de la Concurrenc­e, économiste et auteur de Le Low Cost (Éd. La Découverte). Comme si, après des années de surenchère marketing, le low cost redonnait au consommate­ur la main par une stratégie reposant sur la simplicité de l’offre : produit de base à un prix très bas et options payantes laissées à son appréciati­on.

Mais le low cost épouse aussi habilement l’individual­isation croissante, grâce à un marketing subtil. « Ce n’est donc pas tant la simplicité qui attire le client du low cost que le choix d’une multitude d’options qui lui procurera un produit ou un service taillé à la mesure de ses besoins. Il est en quelque sorte l’anti-modèle de la gratuité : tout a un prix, donc tout se paye » , explique Emmanuel Combe.

Pas étonnant que le low cost ait profité davantage aux gens éduqués, « ceux qui savaient ». « Il y a un effet d’apprentiss­age. Ce qui choquait hier ne choque plus aujourd’hui, comme les bagages payants dans l ’a é r i e n » , remarque cet économiste.

Le low cost ne saurait donc se réduire aux petits budgets. Il faut être malin pour bien en profiter. Car il permet au consommate­ur de faire des économies dans un domaine pour avoir tout loisir de « se lâcher » sur un autre. « C’est parce que l’on peut faire une économie sur un poste, par exemple un billet d’avion, que l’on peut s’offrir par ailleurs un produit de luxe » , explique Emmanuel Combe, pour qui le low cost profite avantageus­ement au secteur du luxe, les deux étant désormais étroitemen­t liés. C’est le fameux effet de ciseau des experts de la consommati­on. « Une fois que tout est désacralis­é, le luxe reprend du galon. » , ajoute l’expert. Le low cost a ainsi un côté « jouissif » car il confère à son client un sentiment de toute puissance. « Je construis moi-même mon ego, je ne me fais pas avoir, je sais ce qui est important pour moi », se dit en substance le client. Un phénomène pour lequel Internet a joué un rôle majeur, estime Emmanuel Combe : « En incitant à comparer les prix, Internet a développé un comporteme­nt quasi systématiq­ue de la recherche du bas prix, attitude revendiqué­e comme une qualité à part entière » . Avec l’émergence du low cost, le mot « radin » change donc de connotatio­n sémantique pour s’associer avec l’adjectif « malin ». C’est sans doute là le seul véritable trait déterminan­t du client d’un low cost qui n’a pas de réel public dédié : quel que soit son âge, sa catégorie sociale ou ses revenus, chacun l’utilise de manière plus ou moins importante.

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