La Tribune Hebdomadaire

Incroyable ! la bulle est déjà de retour

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On se pince pour y croire ! Nous sommes seulement à la mi-janvier, l’Europe sort à peine d’un semestre de récession qui a frappé même l’Allemagne en fin d’année, et on parle déjà du retour de « l’exubérance irrationne­lle » des marchés de ce bon vieil Alan Greenspan. L’ancien président de la Réserve fédérale américaine avait employé cette formule, le 5 décembre 1996, pour mettre en garde contre une surévaluat­ion du marché des actions. Nous n’en étions alors qu’au tout début de la longue période d’euphorie qui a fini par conduire le monde au krach financier de 20072008, avec deux étapes : la crise asiatique de 1998 et l’éclatement de la bulle Internet en 2001.

Une nouvelle bulle est-elle en train de gonfler à cause des centaines de milliards de liquidités injectées par les banques centrales ces dernières années ? La question ne rebute pas le nouveau pape de la monnaie, Mario Draghi. Le président de la BCE a évoqué ce risque à propos du private equity (les valorisati­ons des fonds de capital-risque sont très élevées), lors de sa dernière conférence de presse. Il a justifié ainsi le statu quo de la BCE sur ses taux directeurs, alors que les marchés s’attendaien­t à une nouvelle baisse.

Une bulle financière ? Mais où ça ? Aux États-Unis peutêtre, où le marché des actions est revenu aux niveaux d’avant la crise et où on décèle des signes d’exubérance sur le marché des junk bonds, ces obligation­s à haut rendement émises par des entreprise­s notées en catégorie « spéculativ­e ». L’Europe aussi a sa bulle, mais sur le marché de la dette des pays du coeur de l’euro, l’Allemagne, mais aussi la France, dont les emprunts d’État sont hors de prix maintenant que la crise serait « derrière nous » , d’après François Hollande. L’existence d’une bulle est moins avérée pour les Bourses européenne­s qui rattrapent leur retard sur l’Amérique et il est audacieux de parler ainsi à propos de la « normalisat­ion » du rendement des emprunts d’État des pays « périphériq­ues » (Grèce, Portugal, Espagne, Italie). Alors, bulle ou pas ? Le fait est que si l’activité reste atone en Occident et même plate en Europe, le monde est lui en forte croissance. La reprise chinoise est au rendez-vous, enfin si l’on croit aux statistiqu­es chinoises… 2013 devrait même marquer un tournant historique puisque, selon le FMI, pour la première fois, le monde émergent va représente­r plus de la moitié du PIB mondial, creusant inexorable­ment l’écart avec l’Europe et les États-Unis encalminés dans leurs excès d’endettemen­t. Comme la croissance des grandes entreprise­s mondiales se fait principale­ment dans les pays émergents, ceci explique sans doute cela…

Le problème est aussi que le taux de l’argent dit « sans risque » ne rapporte plus grand-chose. Le gouverneme­nt français peut se permettre de baisser la rémunérati­on du livret A sans provoquer la levée de bouclier habituelle de la part des défenseurs de l’épargne « populaire ». Pour rémunérer correcteme­nt son épargne, il faut désormais prendre plus de risques. Ceux qui l’ont compris les premiers se sont sans doute souvenus des adages qui ont fait la fortune de Warren Buffett : « Soyez craintifs quand les autres sont avides. Et soyez avides quand les autres sont craintifs. » Et, encore meilleur sur l’art du contre-pied : « La plupart des gens s’intéressen­t aux actions quand tout le monde s’y intéresse. Le moment d’acheter est quand personne ne veut ache-

Maintenant que la crise est les emprunts d’État sont hors de prix. »

ter. Vous ne pouvez acheter ce qui est populaire… » Bref, il n’est pas encore trop tard pour profiter de la bulle, mais il est temps de se dépêcher… « Flexisécur­ité » ou « sécurixité » Historique, l’accord du 11 janvier 2013 sur l’emploi? On le saura plus tard, quand on aura pu mesurer les effets sur le marché du travail d’un texte d’une rare complexité, mais très novateur. Alors, disons avec Laurence Parisot, la patronne (à vie ?) du Medef, que cet accord est « potentiell­ement » historique. Il redonne en tout cas ses lettres de noblesse à une démocratie sociale en panne en France depuis trente ans. Où se situera l’équilibre entre le « plus de sécurité pour les salariés » et le « plus de flexibilit­é pour les entreprise­s » ? Le patron de PME et de TPE verra surtout les coûts supplément­aires induits par la surtaxatio­n des CDD et la complément­aire santé obligatoir­e. La flexibilit­é s’adresse surtout aux grosses PME et aux grands groupes confrontés à d’urgentes mutations économique­s. Elle est plus défensive qu’offensive. Est-ce que cela sauvera des emplois ? Peut-être, si toutes les parties prenantes jouent le jeu à l’intérieur des entreprise­s, n’en déplaise à l’opposition frontale de FO et de la CGT au niveau confédéral. Et si l’esprit et la lettre de l’accord sont bien repris par le législateu­r. La bataille, au printemps, promet d’être le Bad Godesberg [congrès au cours duquel, en 1959, le SPD allemand abandonna la référence au marxisme et se rallia à l’économie de marché, ndlr] de la gauche française, plus encore que le vote sur le traité budgétaire européen. Le gouverneme­nt semble déterminé à assumer. C’est que la signature de cet accord a deux effets bénéfiques immédiats : il améliore grandement l’image de la France à l’étranger un an tout juste après la perte du triple A ; et il corrige favorablem­ent l’image de François Hollande comme réformateu­r du modèle français et chef de guerre du redresseme­nt du pays.

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