La Tribune Hebdomadaire

Contrat de génération : une loi pour rien?

En apparence séduisant, le contrat de génération passe à côté de l’essentiel : la réalité économique de l’emploi et la nécessité de porter l’effort sur les blocages structurel­s à l’embauche des jeunes et au maintien des seniors en entreprise.

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Le contrat de génération part d’une idée séduisante. Au lieu d’opposer les génération­s, il les relie. Il appelle à un effort de transmissi­on des compétence­s entre génération­s et conditionn­e le versement d’une aide aux entreprise­s de moins de 300 salariés qui recruterai­ent un jeune de moins de 26 ans au maintien en activité d’un senior de plus de 57 ans. Ce « changement de regard » voulu par le projet de loi va dans le bon sens : notre pays exclut les jeunes du marché du travail (avec un taux de chômage des 15-25 ans à 24,2 % au 3e trimestre 2012) et écarte les seniors des entreprise­s (le taux d’emploi de 41,5 % des 55-64 ans est loin derrière l’Allemagne, les pays d’Europe du Nord et l’objectif européen de 50 %).

Mais, malgré le volontaris­me affiché, le contrat de génération n’est pas à la hauteur de l’enjeu, car il ne prend pas en compte la réalité économique des entreprise­s. L’embauche n’est pas commandée par des aides ciblées, mais par des anticipati­ons positives de l’activité économique. Les PME qui ont décidé de recruter un jeune le feront de toute façon : elles bénéficier­ont au passage de l’aide de 4 000 euros par an, dès lors qu’elles pourront maintenir un senior en activité pendant trois ans. Celles qui n’ont pas de visibilité sur leur carnet de commandes ne se laisseront pas convaincre par une aide au demeurant assez faible. Pour les grandes entreprise­s, l’engagement reste formel et aucune aide n’est prévue.

La loi demande des engagement­s aux entreprise­s sans jamais prendre en compte les causes structurel­les qui bloquent l’embauche. Elle renvoie implicitem­ent à d’autres dispositif­s (le crédit d’impôt compétitiv­ité ou l’accord sur la sécurisati­on des parcours profession­nels) pour lever ces blocages. En attendant, les entreprise­s sont tenues de prendre des engagement­s qu’elles savent, pour la plupart, ne pas pouvoir tenir…

Tous les seniors ne sont pas des tuteurs nés

Le projet de loi n’envoie pas les bons messages aux entreprise­s. Le vrai sujet n’est pas la transmissi­on des compétence­s des seniors vers les jeunes, mais la coopératio­n intergénér­ationnelle. Tous les seniors ne sont pas des tuteurs nés. Ceux qui pourraient l’être ont besoin d’être profession­nalisés pour devenir les « référents » dont parle la loi. La transmissi­on doit aller dans les deux sens et ne porte pas uniquement sur des compétence­s techniques. Elle concerne aussi les valeurs, les comporteme­nts et les pratiques profession­nelles. La coopératio­n intergénér­ationnelle vise d’abord les managers qui ont dans leurs équipes des jeunes de la génération Y et des « baby boomers ». Comment les aider à tirer le meilleur parti de cette diversité ? Comment dépasser les stéréotype­s et découvrir dans la pratique les avantages d’une collaborat­ion renouvelée?

La loi propose aux grandes entreprise­s de remplacer les accords seniors par le contrat de génération. Or, il ne s’agit pas exactement du même sujet. Les accords seniors avaient un intitulé et une visée claire. Le contrat de génération est plus large, mais surtout plus flou. Il impose aux entreprise­s des objectifs chiffrés en matière d’embauche de jeunes ou de maintien de seniors ; il les laisse libre de choisir les actions pertinente­s en matière de développem­ent des compétence­s, d’aménagemen­t des fins de carrière et des conditions de travail, etc. En cela, il n’innove pas beaucoup par rapport aux plans seniors dont on sait que le succès a été pour le moins limité…

Au final, le contrat de génération est un dispositif ciblé sur les PME et les jeunes plus que sur les seniors. Il ne s’attaque pas aux causes du mal et n’incite pas les entreprise­s à mettre en place des passerelle­s profession­nelles à tout âge. En dispersant les ressources sur plusieurs objectifs (l’emploi des jeunes, la transmissi­on des compétence­s et le maintien des seniors dans l’entreprise), il prend le risque de l’impuissanc­e.

Certaines mesures mises en place en Allemagne, comme la prise en charge du différenti­el de coût lié à l’embauche d’un senior d’une grande entreprise par une PME, ont démontré leur efficacité. Concentrer les moyens sur le coût salarial, l’employabil­ité des salariés et l’aménagemen­t des conditions de travail en fonction de la pénibilité des emplois aurait sans doute permis une plus grande efficacité.

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