La Tribune Hebdomadaire

La guerre de l’influence est rouverte

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Miroir, miroir, dis-moi que je suis la plus belle. » Il y a quelque chose de l’angoisse touchante de la sorcière de Blanche Neige dans l’obsession hexagonale de toujours se comparer aux autres. L’un des terrains les plus fertiles pour ces cruels exercices est celui de l’influence dans les sphères européenne­s. À intervalle­s réguliers, une bou#ée d’angoisse décliniste saisit l’exécutif français qui appelle au sursaut face à la relégation nationale. À LIRE LES LOBBYISTES Stéphane Desselas et Natacha Clarac, le lobbying des entreprise­s françaises à Bruxelles ne se serait pourtant jamais aussi bien porté. Dans leur tout récent ouvrage sur Les règles d’or du lobbying*, ils louent les progrès faits notamment par les grands groupes qui ont mis beaucoup de temps à s’acculturer et à ne plus plaquer leur modèle du pouvoir très exécutif et très centralisé sur la capitale européenne. Bruxelles n’est pas Paris. Ce n’est pas parce qu’on y aura convaincu un ou deux commissair­e(s) que la partie sera gagnée, car le pouvoir y est éclaté. Or, un pouvoir di#us appelle une influence di#use. La croisade tardive, maladroite et vaine d’un ancien président de BNP Paribas contre la fair value, cette modalité de comptabili­sation des actifs au prix du marché, a mar- qué le sommet d’un « malentendu » politique qui appartient désormais au passé. La victoire la plus marquante de ces dernières années reste sans doute l’arrivée, dans le vocabulair­e de la Commission de Bruxelles, du concept de « réciprocit­é » dans les marchés publics internatio­naux. L’exécutif européen, longtemps très hostile, s’est retrouvé sous les feux croisés de grands groupes (pas seulement français) et des diplomates ce qui a eu pour effet l’adoption en mars 2012 d’un projet de règlement marquant une réelle inflexion dans sa tradition très libreéchan­giste. Cependant, les négociatio­ns patinent. La ministre française du commerce extérieur, Nicole Bricq, a dû hausser le ton en décembre, appelant à une adoption en première lecture en mai 2013. LA LEÇON DU CAS « RÉCIPROCIT­É », comme le message qui ressort en filigrane du manuel de Stéphane Desselas et Natacha Clarac, est que, pour gagner, il faut savoir s’allier et ajuster ses objectifs à la baisse. En d’autres termes, il faut maîtriser l’art du compromis. Quand Arnaud Montebourg propose des mesures dirigistes pour bloquer le déclin de la production d’acier en Europe, il distrait, au mieux, ses confrères ministres. C’est pourquoi toute initiative générale sur le thème de l’influence qui avance sous le seul drapeau national laisse un peu dubitatif. Pourquoi les intérêts de toutes les grandes entreprise­s et de toutes les PME, de toutes les régions, devraient être alignés sous prétexte qu’ils sont français!? Les intérêts des céréaliers de la Beauce coïncident-ils avec ceux des producteur­s de légumes bretons et, partant, débouchent-ils sur une unique stratégie en matière de politique agricole!? LE 23 AOÛT, dans une tribune remarquée, le ministre des A#aires étrangères, Laurent Fabius, appelait à faire de « la diplomatie économique une priorité pour la France » . « Le réflexe économique sera désormais une instructio­n prioritair­e et permanente » , écrivait-il. Mais l’intérêt national, en matière de diplomatie économique, est-il si évident à définir de façon générale, au-delà des intérêts d’une poignée de très grands groupes!? La leçon que les profession­nels de l’influence tirent de leur expérience bruxellois­e est précisémen­t qu’il faut savoir dépasser les frontières nationales et accepter l’idée que les alliances pertinente­s sont transnatio­nales. La tentative parisienne de se réappropri­er le thème de la diplomatie économique n’est-elle pas celle d’un monde politique qui reste encore et toujours un peu stupéfait face aux réalités de l’économie globalisée!?

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