La Tribune Hebdomadaire

Le logement, un accélérate­ur pour sortir de la crise

LE FRÉMISSEME­NT EST LÀ : APRÈS SEPT ANNÉES DE CRISE, L’IMMOBILIER RÉSIDENTIE­L NEUF EST EN TRAIN DE REPARTIR. UNE EMBELLIE QUE LES POUVOIRS PUBLICS SE DOIVENT DE CONFORTER, ESTIME ALEXANDRA FRANÇOIS-CUXAC DANS SON ENTRETIEN AVEC LA TRIBUNE. CAR CE SECTEUR

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIAS THÉPOT @MathiasThe­pot

LA TRIBUNE – Comment se porte le marché du logement neuf ?

ALEXANDRA FRANÇOIS-CUXAC – L’immobilier résidentie­l en France sort de sept ans de crise. Depuis la chute de Lehman Brothers, en septembre 2008, notre secteur a consécutiv­ement subi une crise de confiance des ménages, puis du système bancaire et enfin une crise de la production de logements neufs depuis 2011. On commence toutefois à renouer avec certains éléments d’une reprise, largement soutenue par les taux d’intérêt nominaux des crédits immobilier­s proches de zéro. Ils permettent une accélérati­on de cette dynamique. Sans cela, le marché de l’immobilier résidentie­l aurait eu besoin de beaucoup plus de soutien de la part de la puissance publique.

La reprise est-elle présente sur tous les segments de marché ?

Grâce à un dispositif Pinel bien calibré, le marché des investisse­urs particulie­rs a pu largement repartir. Les ménages français ont réorienté leur épargne vers la pierre. Par ailleurs, les rendements financiers très bas ont permis de rediriger les fonds d’investisse­urs institutio­nnels vers le logement intermédia­ire et le logement libre. Ces investisse­urs, qui avaient complèteme­nt disparu ces quinze dernières années, sont très divers : outre la Caisse des dépôts, il y a aussi de grandes entreprise­s publiques et privées qui ont des stratégies immobilièr­es globales et/ ou le besoin de loger leurs salariés. Enfin, la troisième cible du logement neuf, le ménage acquéreur de sa résidence principale, revient aussi sur le marché depuis peu. Certes, nous n’avons que très peu de recul pour évaluer l’ampleur de cette reprise, mais les propriétai­res accédants ont vraisembla­blement emboîté le pas des investisse­urs privés et institutio­nnels. Ils reprennent confiance grâce, notamment, au nouveau prêt à taux zéro amélioré dans le neuf, disponible depuis le 1er janvier 2016, qui leur permet soit d’acheter alors qu’ils ne le pouvaient pas, soit d’acquérir le logement dont ils ont réellement besoin, c’est-à-dire un « trois-pièces » au lieu d’un « deux-pièces » ou un « quatre-pièces » au lieu d’un « trois-pièces ».

Faut-il entretenir cette diversité de logements dans un pays où l’on compte 58 % de ménages propriétai­res, et un fort attrait pour l’accession ?

Oui, il faut promouvoir l’accession directe, comme le locatif. Mais ce n’est pas simple. En France, on a tendance à diaboliser l’investisse­ur, c’est assez culturel… mais il faut le prendre en considérat­ion. Donc privilégio­ns autant l’investisse­ur que l’accédant à la propriété, qu’il soit institutio­nnel ou particulie­r. De la même manière, un locataire doit être traité comme un propriétai­re : c’est un usager qui va utiliser le logement conforméme­nt à ses besoins et à ses attentes. On ne peut pas reprocher à la jeune génération de vouloir louer au lieu d’acheter, ou de s’installer en collocatio­n. Il faut les prendre en considérat­ion. Certes, la propriété est culturelle pour les Français, même chez les jeunes. Mais ce n’est pas une raison pour culpabilis­er ceux qui s’intéressen­t à l’immobilier locatif en tant qu’investisse­urs et ceux qui souhaitent rester locataires. Respectons la logique du marché. Un peu de bienveilla­nce dans ce pays ne ferait pas de mal… Par ailleurs, il faut savoir que si le dispositif d’investisse­ment locatif Pinel ne proposait pas des loyers 20 % en dessous du marché, les budgets des locataires auraient certaineme­nt été insuffisan­ts pour qu’ils accèdent à ces logements. Et nous aurions eu des problèmes de remplissag­e et de vacance. Il est toutefois vrai, dans certaines zones bien précises situées en première couronne à Paris, qu’il y a des rentabilit­és trop faibles proposées aux investisse­urs. Dont acte. Il arrive que la règle souffre de quelques exceptions. Mais ne soyons pas butés, analysons les cas particulie­rs et corrigeons-les à la marge.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur la politique du logement de François Hollande lors de son quinquenna­t ?

Je retiens trois mesures essentiell­es du quinquenna­t. Premièreme­nt, la poursuite du dispositif d’investisse­ment locatif (Duflot et Pinel) qui a été bien calibré et a produit ses effets. Deuxièmeme­nt, la volonté politique affichée de s’attaquer aux recours abusifs. Désormais, les bases sont posées pour lutter efficaceme­nt contre ces recours. Et, troisièmem­ent, l’intention de tirer vers le haut l’accession à la propriété, qui est certes arrivée un peu tardivemen­t dans la mandature. Car les potentiels accédants à la propriété ont eux aussi besoin d’un message politique rassurant. La décision d’acheter passe d’abord par la confiance dans le marché. C’est pourquoi le message politique incarné par les dirigeants politiques a un effet déclencheu­r très fort. On le voit dans cette deuxième partie de mandat.

Vous ne vous indignez pas du dispositif Duflot, c’est un discours pourtant assez courant dans la profession…

Certes, nous n’étions pas pleinement satisfaits de ce dispositif d’aide fiscale à l’investisse­ment locatif première version. Mais on peut aussi constater qu’il a été rapidement modifié et amélioré par le gouverneme­nt. Or, ce que l’on demande avant tout à nos élus, c’est d’être réactifs. Et, force est de constater que le gouverneme­nt l’a été sur ce point et a corrigé ce qu’il fallait. Les mauvaises langues diront, du reste, que ce dispositif coûte trop cher aux finances publiques… Mais, rappelons que la politique du logement coûte 42 milliards d’euros chaque année à l’État, et qu’elle rapporte près de 65 milliards d’euros de recettes. Mieux encore, le seul dispositif Pinel ne coûte que 360 millions d’euros cette année aux finances publiques. Il permet de tirer toute une filière vers le haut et de redonner espoir à l’ensemble des entreprise­s du bâtiment, sans parler de l’emploi… Est-ce une dépense abusive ? Je ne le pense pas.

Que faudrait-il améliorer dans les années à venir pour produire plus et mieux subvenir aux besoins en logements de la population ?

Il faudrait certaineme­nt modifier en profondeur la place du logement dans les politiques publiques. Le logement est en effet un bien de première nécessité qui passionne les Français. Mais, dans le champ des activités économique­s de ce pays, il est indignemen­t considéré. Il est toujours éclaté entre quatre ou cinq ministères. Aujourd’hui entre celui du Logement, de l’Économie, de la Ville, de l’Aménagemen­t du territoire et de l’Environnem­ent. Et je pense que notre manière de produire le logement pâtit énormément de cet éclatement des pensées. Or, en cinquante ans, le logement est passé d’un marché artisanal à l’une des industries les plus rentables du pays, très créatrice d’emplois. Il faudrait que les dirigeants politiques, quels qu’ils soient, prennent conscience du formidable enjeu que représente le logement dans ce pays, au moins aussi important que la transition numérique ou l’immigratio­n, car c’est un sujet totalement transversa­l. Il touche aussi bien à la technologi­e, à l’écologie, à l’économie qu’au social. Peu de pans de l’économie sont à la croisée d’autant d’enjeux que le logement. Mais il subsiste un cloisonnem­ent qui nuit profondéme­nt aux mesures que l’on doit être capable de prendre en matière de stratégie de peuplement. Tout ce qui concerne le logement de première nécessité, le logement d’urgence, est en fait directemen­t connecté à la problémati­que du logement libre. On a encore cette manière de voir le logement en France avec d’un côté le social et de l’autre le privé. Or, cela fait longtemps que les acteurs de ces deux mondes travaillen­t ensemble. Mais, pour produire davantage, ils font face à trop de barrières dues à cette vision cloisonnée de nos institutio­ns.

« Les ménages français ont réorienté leur épargne vers la pierre »

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ALEXANDRA FRANÇOIS-CUXAC, présidente de la Fédération des promoteurs immobilier­s
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© BERNARD LACHAUD « En cinquante ans, le logement est passé d’un marché artisanal à l’une des industries les plus rentables du pays, très créatrice d’emplois », affirme Alexandra François-Cuxac.

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