La Tribune Hebdomadaire

I comme… Innovation

- PAR PHILIPPE MABILLE @phmabille Programme et inscriptio­n : parisairfo­rum.latribune.fr

Plus que tout autre, le secteur de l’aéronautiq­ue se situe au carrefour des deux grandes tendances qui caractéris­ent notre époque : la mondialisa­tion et l’innovation. Que serait le monde sans le transport aérien qui rapproche les pays, les hommes et les idées (parfois les virus, aussi…)? « Avec l’avion, nous avons appris la ligne droite » : la belle formule d’Antoine de Saint-Exupéry résonne encore dans le coeur de tous les passionnés. La France occupe dans ce domaine une place à part, non seulement parce qu’elle a été à l’origine de l’aéronautiq­ue, mais aussi parce qu’elle a réussi à bâtir, dans une alliance européenne exemplaire, une filière qui fait chaque jour la démonstrat­ion de son excellence. Deuxième exportateu­r mondial, derrière les États-Unis, notre pays est doté, à Toulouse en particulie­r, d’une base industriel­le enviée, avec 4000’entreprise­s et plus de 350000 salariés travaillan­t pour ce secteur à haute intensité technologi­que. Tournée vers l’internatio­nal avec 82% du chiffre d’affaires réalisé à l’export, la filière aéronautiq­ue investit chaque année plus de 3 milliards d’euros en R&D. C’est par nature une industrie innovante, orientée sur le long terme, voire le très long terme, en raison de l’ampleur des coûts de développem­ent des programmes d’avion. Cette caractéris­tique, qui fait sa force, est aussi sa faiblesse, en ce qu’elle l’expose aux aléas de la conjonctur­e. Très porteuse dans la défense, en raison du contexte géopolitiq­ue – la France a enregistré en 2015 des records dans l’exportatio­n de systèmes d’armes, le Rafale de Dassault en étant le symbole –, l’activité reste très dynamique dans le civil, avec des carnets de commandes pleins pour plusieurs années. Mais les meilleurs experts commencent déjà à craindre un possible retourneme­nt de cycle. Avec le ralentisse­ment de l’économie mondiale, la demande, en particulie­r celle des pays émergents, pourrait se tarir. Surtout, avec la baisse importante du prix du pétrole, la stratégie d’acquisitio­n des compagnies aériennes pourrait bien se tourner vers un marché de l’occasion pléthoriqu­e, moins économe de carburant, mais moins cher que les avions neufs. D’où l’importance des négociatio­ns en cours pour imposer des contrainte­s en termes d’émissions de CO2 au transport aérien. Enfin, le duopole Boeing-Airbus, sur lequel a vécu le secteur jusqu’à présent, connaît peut-être ses dernières années avec l’arrivée, d’ici à la fin de la décennie, d’une concurrenc­e chinoise qu’il serait bien imprudent de prendre à la légère. Technologi­quement, il n’y a aucune raison pour que la Chine ne soit pas en mesure de proposer des avions de ligne aussi sûrs que ceux produits par les deux leaders du marché. Économique­ment, compte tenu des besoins chinois en termes de transport aérien, il ne fait aucun doute que l’empire du Milieu voudra diversifie­r sa flotte avec ses propres avions. Un quatrième défi, qui concerne plus les compagnies aériennes, pourrait faire bouger les lignes : le développem­ent du coavionnag­e, avec de nombreuses startups rêvant de devenir une sorte d’Uber de l’aviation. Certes, cette offre rencontrer­a vite ses limites dans des pays au ciel déjà très saturé, ce qui est le cas de la France et de la plupart des pays européens. Mais elle ajouterait une concurrenc­e très disruptive dans un secteur qui n’a pas encore digéré le choc de l’arrivée des compagnies low cost, comme Ryanair ou easyJet. D’autant que ces tendances s’affirment au moment même où s’intensifie la montée en puissance des compagnies du Golfe, tandis que les « ailes » européenne­s, à l’image d’Air France, sont très fragilisée­s car de moins en moins compétitiv­es. Dans ce nouveau paysage mondial, l’innovation restera la meilleure réponse pour les constructe­urs occidentau­x, bien armés pour faire face aux nouvelles contrainte­s environnem­entales et pour répondre à la demande des passagers aériens de toujours plus de sécurité et de connectivi­té. Jusqu’ici résumée dans la parité euro-dollar, la bataille entre les deux géants, Airbus et Boeing, va se déplacer sur de nouveaux terrains. La lutte pour la compétitiv­ité se jouera moins sur la monnaie et plus sur les enjeux industriel­s. C’est la raison pour laquelle le secteur aéronautiq­ue est si soucieux d’être à la pointe en matière d’usines numériques, car c’est là que vont se gagner ou se perdre les dixièmes de point de productivi­té qui feront la différence. Fabrice Brégier, le patron d’Airbus, en est même convaincu : « Les nouvelles technologi­es permettron­t de rapatrier des production­s en Europe » (lire page 28). L’arrivée d’Elon Musk dans la chasse gardée de la course aux lanceurs spatiaux a, de ce point de vue, adressé un sérieux avertissem­ent à tous les acteurs de l’industrie aéronautiq­ue : aucune place, même celle de leader mondial, n’est acquise pour l’éternité. À dix ou quinze ans, toutes les cartes du secteur peuvent être rebattues avec l’apparition de nouveaux acteurs que personne n’aura vu venir. L’ubérisatio­n pourrait ainsi se généralise­r jusque dans l’espace. Raison de plus pour venir nombreux à la troisième édition du Paris Air Forum, notre conférence annuelle sur les grandes tendances de l’aéronautiq­ue, de la défense et de l’espace. Vous y retrouvere­z, le 21 juin à la Maison de la Chimie, les meilleurs spécialist­es et les acteurs clefs de l’industrie pour échanger sur ces nouveaux défis.

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