« Il n’y aura plus de duopole Airbus/
Réussir la montée en cadence, poursuivre la réussite des développements de l’A350 et l’A330 neo et transformer Airbus sur le plan opérationnel sont les trois grands défis de Fabrice Brégier. Un succès qui passe par l’utilisation des nouvelles technologies
– Vous allez fêter vos dix ans chez Airbus, six comme directeur général (2006-2012), puis quatre en tant que PDG. Quel est votre bilan ?
FABRICE BRÉGIER – Mon action s’est faite dans la continuité au cours de ces dix années. Parmi les défis que nous avons relevés, je citerai notamment la remise sur pied du programme A380 et le lancement de l’A350 dans un contexte difficile pour Airbus, mais jugé depuis comme l’un de ceux qui ont été les mieux conduits. Parallèlement, Airbus s’est développé à l’international, notamment en Chine et aux États-Unis, avec l’implantation de la chaîne d’assemblage de Mobile. Ces dernières années ont également été marquées par des succès commerciaux importants, avec plus de 4000commandes nettes engrangées au cours de ces trois dernières années. Ce chiffre représente plus du double des avions livrés pendant la même période.
L’entreprise a-t-elle changé ?
Airbus est devenue une société complètement intégrée et plus internationale. À sa création, elle était marquée par des rivalités internes, parfois même au niveau du top management.
Quels sont vos futurs défis ?
Il faut réussir la montée en cadence de la production de la famille A320, en particulier de l’A320 neo, et celle de l’A350. Mais aussi poursuivre la réussite, en temps et en heure, des développements de l’A350-1000, qui devrait entrer en service en 2017, et de l’A330 neo qui devrait être certifié d’ici à la fin 2017. Nous devons enfin continuer à transformer Airbus sur le plan opérationnel.
De quelle manière ?
En utilisant des nouvelles technologies, notamment numériques, dans le développement des programmes et de la production. C’est un axe majeur sur lequel insiste à juste titre Tom Enders, le président d’Airbus Group, depuis plus d’un an. Nous sommes sur des cycles longs qui vont en se raccourcissant. Ces nouvelles technologies peuvent nous apporter beaucoup, notamment pour renforcer notre compétitivité. Dans le manufacturing, par exemple, nous testons, depuis un an, des impressions en 3D et nous visons la continuité numérique avec la capacité de maîtriser l’ensemble de la chaîne, de la conception de l’avion jusqu’à sa livraison. Nous voulons aussi mettre l’accent sur l’analyse de plus gros volumes de données, afin d’avoir une connaissance plus fine, mais aussi plus exhaustive, des avions en service ou pendant les essais en vol.
Que peut apporter l’industrie du futur ?
Atteindre un niveau d’excellence supplémentaire. Les nouvelles technologies permettront une réactivité accrue dans la production et, vraisemblablement, de rapatrier des productions en Europe.
Est-ce vraiment possible de rapatrier des productions en Europe ?
Dès lors que des technologies autorisent plus de flexibilité et de réactivité dans la production et optimisent le design et la production des pièces, l’écart de compétitivité lié à la dimension salariale se réduit. Je reste convaincu, par exemple, que nous serons capables de produire dans dix ans de grandes pièces en titane avec des imprimantes 3D et les technologies de fabrication ALM ( Additive Layer Manufacturing). Même si le coût de fabrication est plus élevé, ces pièces seront compétitives, car leur design permettra de consommer beaucoup moins de titane qu’un design classique. Aujourd’hui, le ratio entre le titane utilisé et celui conservé dans la pièce est de 1 à 10, le reste devenant des copeaux. Il y a donc encore beaucoup de pertes que l’on pourra fortement réduire demain avec les technologies ALM. L’usine du futur est de nature à redonner paradoxalement une compétitivité supplémentaire à nos usines.
Depuis la livraison du premier appareil en décembre 2014, la montée en cadence de l’A350 est difficile. Est-il réaliste de maintenir les objectifs de livraison de cet avion ?
Sur un nouvel avion comprenant autant de nouvelles technologies, la montée en cadence est en effet difficile. Nous avons livré 14appareils en 2015 et neuf depuis le début de l’année 2016. Il nous en reste donc au moins 41 à livrer d’ici au 31 décembre pour atteindre notre objectif d’au moins 50livraisons d’A350 cette année. Cet objectif reste un défi car un certain nombre de nos partenaires industriels connaissent des difficultés.
Ces difficultés que vous avez pointées en début d’année, notamment celles de Zodiac, ne sont donc pas résolues ?
La situation s’améliore mais pas assez pour permettre de tenir l’ensemble de nos engagements. Des plans de progrès ont été lancés, mais tardivement. Il est regrettable de perdre du temps parce que les sièges d’avion sont livrés en retard ou qu’ils n’ont pas la qualité requise ou bien que les toilettes ne sont pas complètes. C’est difficilement acceptable quand on vend des produits de l’ordre de 200 millions de dollars.
Les défis de la montée en cadence de la famille A320 sont-ils les mêmes ?
Sur l’A320, l’objectif est de passer de 42 à 60avions par mois d’ici à mi-2019. C’est moins compliqué que de passer de 1 à 14 ou de 14 à 50 comme sur l’A350, dans la mesure où nos partenaires industriels sur l’A320 neo sont déjà présents depuis longtemps. Sauf pour les nouveaux moteurs de Pratt & Whitney qui, bien que très performants, ont connu des problèmes de maturité au cours de ces derniers mois. Seuls six A320 neo ont été livrés depuis le début de l’année. Beaucoup d’avions sont dans l’attente de leur moteur et n’ont pu être remis. Les solutions pour résoudre ces problèmes ont été définies et sont testées sur des avions de Lufthansa et d’Indigo qui sont très satisfaites de leurs performances. Nous les mettrons en place à partir de cet été. Les difficultés sont en passe d’être réglées.