GUERRE DES HUBS, QUI SERONT LES VAINQUEURS ?
L’essor des aéroports du Moyen-Orient chamboule les flux de trafic longcourrier et concurrence fortement les hubs traditionnels d’Europe et d’Asie.
L’essor des aéroports du Moyen-Orient chamboule les flux de trafic long-courrier et concurrence fortement les hubs traditionnels d’Europe et d’Asie.
Paris, Amsterdam, Londres, Francfort, Madrid, Dubaï, Doha, Abu Dhabi, Istanbul, Bangkok, Singapour, Kuala Lumpur… plus que jamais la bataille du transport long-courrier sera celle des hubs, ces aéroports où les passagers font des transits durant leur voyage pour prendre un autre vol en correspondance et se rendre vers leur lieu de destination. Même si le nombre des vols « non-stop » augmentera plus vite sur le long-courrier que celui des vols en connexion –du fait de l’arrivée d’avions à long rayon d’action qui permettent de court-circuiter les grands noeuds de correspondances–, les itinéraires avec escale (45% des déplacements, selon l’association internationale du transport aérien, Iata) continueront également d’augmenter en valeur absolue en raison de la croissance globale du trafic aérien, appelée à doubler d’ici à vingt ans, à 7 milliards de passagers. DES MODIFICATIONS DES FLUX DE TRAFIC Surtout, avec l’essor des hubs du MoyenOrient depuis une dizaine d’années, le champ de bataille s’élargit considérablement avec des modifications sensibles des flux de trafic. Jusque-là, les schémas étaient relativement simples. En Europe par exemple, les compagnies disposant d’un réseau international ont créé, dans les années 1990, des systèmes de correspondances très pointus sur leur base aéroportuaire principale (Roissy pour Air France, Amsterdam pour KLM, Francfort pour Lufthansa, Londres-Heathrow pour Bri- tish Airways...), leur permettant d’aller chercher des passagers partout en Europe pour les ramener sur leur base principale et alimenter leurs vols long-courriers. La bataille était uniquement régionale. Le schéma était le même en Asie du Sud-Est avec la rivalité entre Bangkok, Singapour et Kuala Lumpur. Aujourd’hui, ces canevas demeurent, mais sont bousculés par les compagnies du Golfe, Emirates (Dubaï), Etihad (Abu Dhabi), Qatar Airways, mais aussi par Turkish Airlines, notamment quand elles ouvrent des lignes directes entre les métropoles régionales européennes et leur hub du Moyen-Orient. Un tel procédé leur permet de court-circuiter les grands hubs européens sur les axes reliant l’Europe au MoyenOrient, l’Inde, l’Asie centrale et du Sud-Est, l’Australie, l’Afrique de l’Est et australe. Un Lyonnais, par exemple, qui passe par Paris, Francfort ou Munich pour se rendre à Bangkok, peut transiter par Dubaï en utilisant le vol direct Lyon-Dubaï d’Emirates, ou par Istanbul en voyageant avec Turkish Airlines. La concurrence du Moyen-Orient redistribue également les cartes du marché des correspondances entre deux vols intercontinentaux. Plaques tournantes pour les grands flux de trafic entre l’Amérique du Nord et l’Inde ou entre l’Asie et l’Afrique, les grands hubs européens se trouvent, là aussi, sous la pression des hubs du MoyenOrient, à partir desquels Emirates, Qatar Airways, Etihad Airways ou encore Turkish Airlines ont bâti des réseaux immenses qu’elles exploitent avec des flottes d’avions à long rayon d’action. Un passager chinois souhaitant se rendre en Afrique n’est plus obligé de passer par l’Europe (Paris essentiellement), mais peut aujourd’hui transiter par le Golfe ou Istanbul. Idem pour les Américains à destination de l’Inde. Enfin, l’essor des compagnies du MoyenOrient menace la connectivité directe des grands aéroports européens et asiatiques. En fragilisant les compagnies européennes, au point de les contraindre à fermer des lignes, elles détricotent ainsi le nombre de dessertes directes proposées au départ des grands hubs européens. L’enjeu dépasse le cadre aéroportuaire, puisqu’il touche au rayonnement économique politique et diplomatique des pays européens. Quand Emirates assure sept vols quotidiens entre Dubaï et Bangkok, et une soixantaine entre l’Europe et Dubaï, les chances pour les compagnies européennes et thaïlandaises de maintenir leur desserte sur cet axe s’effondrent. Au point que certains se demandent si, dans vingt ans, tout le trafic des aéroports européens vers l’Asie du SudEst ne transitera pas par le Golfe. Aujourd’hui déjà, le volume de correspondances entre deux vols intercontinentaux de l’aéroport de Dubaï est 3,6 fois supérieur à ceux de Londres, Paris et Francfort réunis! DES INFRASTRUCTURES MODERNES ET EFFICACES Un exemple qui traduit la puissance et l’attractivité de ces hubs du Moyen-Orient. Leurs atouts sont nombreux. Leur situation géographique est idéale, leurs infrastructures financées essentiellement par l’État sont modernes et efficaces, et leurs compagnies, soutenues, pour certaines, directement ou indirectement par leurs États-actionnaires, sont dynamiques. Pour ces États, transport aérien et tourisme sont stratégiques. C’est pourquoi ils donnent à leurs compagnies aériennes les moyens de leurs ambitions en mettant à leur disposition un outil aéroportuaire ultra-performant. Que se passera-t-il demain? Au regard des projets aéroportuaires pharaoniques du Moyen-Orient, les hubs d’Europe et d’Asie du Sud-Est peuvent trembler. Les aéroports du Moyen-Orient vont atteindre des tailles jamais observées dans l’histoire du transport aérien. Le prochain aéroport d’Istanbul pourra en effet accueillir jusqu’à 160 millions de passagers par an, le double du trafic de Roissy en 2015. Une fois achevé, le nouvel aéroport de Dubaï pourra en recevoir autant. Un développement qui fait débat. « Au total, les aéroports du Moyen-Orient pourront accueillir un demi-milliard de passagers au cours des prochaines années. On peut penser qu’il y a une sorte de bulle » , explique un expert aéroportuaire. D’autres estiment au contraire que les capacités des aéroports du Golfe sont réalistes et accompagnent la croissance effrénée du trafic aérien (plus de 5% par an d’ici à vingt ans), sans porter préjudice aux aéroports européens. Compliqué de faire des pronostics. Les éléments qui influeront sur cette guerre des hubs sont multiples. Tout d’abord, celle-ci dépendra de la capacité des grands hubs européens à augmenter leur capacité de pistes –pas si simple, pour des raisons environnementales–, et à continuer d’améliorer la qualité de leurs services, afin de pouvoir rivaliser avec leurs homologues du MoyenOrient. Mais il leur faudra aussi renforcer leur compétitivité, contribuant ainsi à améliorer celle des compagnies européennes, aujourd’hui à la peine face à leurs concurrentes du Moyen-Orient. Cette guerre des hubs dépendra également du jeu des alliances du ciel. Signée début 2016, l’alliance entre l’américaine Delta, Air France-KLM et l’indienne Jet Airways constitue un bon bouclier contre les compagnies du Golfe pour continuer à faire passer les flux de trafic entre les États-Unis et l’Inde par l’Europe. L’alliance entre Air France-KLM, China Eastern et Southern est également un bel atout pour que les passagers chinois se rendant en Afrique transitent encore par Paris. À l’inverse, la capacité de certaines compagnies du Golfe à bâtir le ur propre système d’alliances s’avère impressionnante. En signant un partenariat stratégique avec Qantas, Emirates a réussi à convaincre la compagnie australienne de transférer son hub international de Singapour à Dubaï. S’il perdure, le modèle de prises de participations capitalistiques partout dans le monde d’Etihad contribuera, quant à lui, à attirer du trafic vers Abu Dhabi. Mais l’issue de la bataille des hubs de demain dépendra aussi de la capacité des compagnies du Moyen-Orient à pouvoir développer leur réseau. Autrement dit, de la capacité des Émirats et du Qatar à résister aux États européens, américains et autres, qui souhaitent geler ou encadrer l’obtention de nouveaux droits de trafic (autorisations de vols). Ce qui est encore loin d’être acquis.