La Tribune Hebdomadaire

QUELLE COOPERATIO­N ENTRE LOW COST ET COMPAGNIES CLASSIQUES ?

Le développem­ent des compagnies à bas coûts sur les grands aéroports renouvelle la question de partenaria­ts avec les compagnies traditionn­elles. Alimentero­nt-elles un jour le transfert des hubs des opérateurs classiques ? Un sujet explosif qui aurait un i

- PAR FABRICE GLISZCZYNS­KI @fgliszczyn­ski

Le développem­ent des compagnies à bas coût sur les grands aéroports renouvelle la question de partenaria­ts avec les compagnies traditionn­elles. Alimentero­nt-elles un jour le transfert des hubs des opérateurs classiques ?

Quelle sera demain la coopératio­n entre les compagnies classiques et les compagnies low cost ? Autrement dit, comment les premières, dont le coeur d’activité se fonde sur un système de correspond­ances entre des vols court et long-courriers, travailler­ont-elles avec les secondes, spécialisé­es principale­ment dans les vols de courte distance, dits de point à point? C’est l’un des grands enjeux stratégiqu­es des prochaines années, même si, en mai, plusieurs low cost asiatiques ont décidé de s’allier.

TOUS LES INGRÉDIENT­S SEMBLENT RÉUNIS

Au moment de la naissance du phénomène low cost en Europe il y a plus de vingt ans, ces deux modèles étaient jugés incompatib­les par les experts. Depuis, après le premier accord entre une compagnie classique et une low cost fin 2002 – United Airlines et la toute jeune australien­ne Virgin Blue –, d’autres coopératio­ns ont vu le jour, comme celles par exemple d’Air France avec la brésilienn­e Gol en 2007, puis avec la canadienne Westjet en 2010, ou encore celle d’Emirates et d’Ea- syjet en 2013. Mais elles restent marginales. Cependant, avec le fort développem­ent des low cost sur les grands hubs, les difficulté­s des compagnies classiques à rentabilis­er leur réseau court et moyen-courrier et la création par ces dernières de filiales low cost, tous les ingrédient­s pour une coopératio­n poussée entre les deux types de compagnies semblent réunis.

DES ACCORDS DE COMPAGNIES S’ÉLARGISSEN­T AUX ALLIANCES

Les types de partenaria­ts sont multiples. Notamment quand, pour pénétrer certains marchés verrouillé­s par les low cost, les compagnies classiques n’ont d’autre choix que de s’allier avec elles. C’est le sens de l’accord entre Air France et Gol. Les accords de partage de codes signés avec la low cost brésilienn­e permettent à Air France de placer son code sur les vols intérieurs brésiliens de Gol, en continuati­on avec ses vols en provenance de Paris, et de proposer à ses passagers des destinatio­ns qu’elle n’assure pas. Même s’ils posent la question de l’harmonisat­ion du produit sur l’ensemble du trajet, ces accords accroissen­t de facto la présence des compagnies classiques sur certains marchés et apportent en contrepart­ie aux low cost des

passagers supplément­aires, souvent bienvenus en phase de fort développem­ent. Confinées jusqu’ici au choix de chaque compagnie, de telles coopératio­ns commencent à être portées au niveau des trois grandes alliances du ciel que sont Star Alliance (Lufthansa, United, Singapore Airlines...), Skyteam (Air France, KLM, Delta…), Oneworld (American, British Airways, Cathay Pacific), lesquelles transporte­nt les trois quarts du trafic mondial. Star Alliance, la plus importante, a même décidé de frapper à leurs portes. En décembre 2015, elle a lancé un concept permettant à ses 28 membres de proposer au départ de certains hubs un vol en correspond­ance sur une compagnie à bas coûts. « Nos passagers expriment le besoin d’avoir accès à des marchés que nous ne desservons pas de manière optimale. Dans la plupart des cas, les compagnies traditionn­elles ne sont pas en mesure de combler ce vide» , explique Mark Schwab, directeur général de Star Alliance. Fin 2016, la low cost sud-africaine Mango sera la première à coopérer avec Star. Ce système lèvera-t-il une contradict­ion pour ces grandes alliances—: celle de continuer à offrir un réseau mondial de destinatio­ns (leur raison d’être) quand un grand nombre de lignes ne cessent de leur échapper au profit des low cost ou/et que certains de leurs membres développen­t une filiale low cost en parallèle de leur activité (Scoot pour Singapore Airlines, par exemple), voire transfèren­t une partie de leur activité court et moyen-courrier à une telle filiale, comme le fait Lufthansa avec Eurowings. Une telle coopératio­n peut également concerner certaines compagnies du Golfe. Le partenaria­t entre Emirates et Easyjet autorise les passagers de la compagnie de Dubaï à utiliser leurs miles sur le réseau européen de la compagnie britanniqu­e. Demain, rien n’empêche les deux compagnies de signer des partages de codes qui permettrai­ent à Easyjet d’amener des passagers vers les aéroports européens d’où décollent les vols long-courriers d’Emirates pour Dubaï. Mais, au-delà de ces accords, un autre type de coopératio­n fait débat depuis quelques années dans le transport aérien : celui de l’alimentati­on des hubs des majors par des low cost. Autrement dit, le transfert de tout ou partie des réseaux court et moyen-courriers d’une compagnie classique à une low cost. Aujourd’hui déjà, de nombreux passagers choisissen­t une compagnie à bas coûts pour aller d’une métropole régionale à Roissy, afin d’embarquer ensuite sur un long courrier. Michael O’Leary, le directeur général de Ryanair, y croit dur comme fer en Europe. « Lufthansa, British Airways et Air France vont être obligées de changer de modèle. Avec la concurrenc­e des compagnies du Golfe [Emirates, Etihad, Qatar, ndlr], elles ne peuvent plus vivre sur un réseau long courrier bénéficiai­re qui subvention­ne un réseau court courrier déficitair­e (…). Elles continuero­nt de perdre de l’argent sur le réseau court-courrier et confieront un certain nombre de leurs routes courte-distance à une compagnie comme Easyjet ou Ryanair pour alimenter leurs vols internatio­naux au départ de leur(s) hub(s) » , indiquait-il l’an dernier, à La Tribune. « LA QUESTION EST DE SAVOIR QUEL EST NOTRE INTÉRÊT » Tout est une question de rapports de force. Contrairem­ent aux accords précédemme­nt cités où les compagnies à bas coûts se sont adaptées aux compagnies classiques, Ryanair ou même Easyjet ne veulent pas qu’une telle coopératio­n avec une compagnie classique dénature leur modèle. «Pour une compagnie classique, cela a du sens d’aller voir Easyjet. La question pour nous, c’est de savoir quel est notre intérêt et comment on gagne de l’argent» , expliquait récemment Carolyn McCall, directrice générale d’Easyjet, en insistant sur le fait qu’elle ne voulait pas déroger à la simplicité du modèle qui a fait le succès de sa compagnie—: «Si nous réalisons des accords interligne­s [des accords tarifaires, ndlr] ou des partages de codes, cela devient compliqué, vous devenez dépendant.» Michael O’Leary partage l’argument et propose sa solution : « Ryanair ou Easyjet peuvent opérer des vols pour le compte d’Air France sur des routes et des numéros de vols Air France car nos coûts sont inférieurs. Dans une telle coopératio­n, Air France pourrait nous payer 50 euros le siège pour que nous opérions telle ou telle de ses routes» . DES SUPPRESSIO­NS MASSIVES D’EMPLOIS Pas question, c’est trop compliqué, renchériss­ent les compagnies classiques, en citant par exemple la problémati­que des transferts de bagages. Surtout, confier l’alimentati­on des hubs aux low cost entraînera­it des suppressio­ns massives d’emplois et des conflits sociaux d’envergure. De telles pistes semblent écartées aujourd’hui. L’heure est aux restructur­ations et, avec la baisse du prix du carburant, les comptes s’améliorent. Pour autant, à terme –—sauf à imaginer que les compagnies classiques européenne­s parviennen­t, comme aux États-Unis, à ramener leurs coûts au niveau de ceux des low cost–, la question de l’alimentati­on des hubs par les compagnies à bas coûts se posera. Moins avec des « low cost-pure players » comme Easyjet ou Ryanair, qu’avec les filiales low cost des grandes compagnies classiques, Eurowings pour Lufthansa, Vueling pour British Airways et Iberia, ainsi que Transavia pour Air France-KLM. Un sujet, là aussi, explosif sur le plan social de ces grands groupes. À plus long terme, si certaines de ces filiales low cost devaient finir par prendre l’eau face aux pure players, la prophétie de Michael O’Leary pourrait bien se réaliser un jour.—

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© REA Easyjet ne veut pas qu’une coopératio­n avec une compagnie classique dénature son modèle. Easyjet do not want such cooperatio­n with a convention­al carrier to distort his model.

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