La Tribune Hebdomadaire

La mer, terre d’entreprene­urs

BIEN QU’ELLE POSSÈDE LE DEUXIÈME DOMAINE MARITIME MONDIAL, LA FRANCE TIRE TROP PEU PARTI DE SES IMMENSES RICHESSES MARINES ET SOUS-MARINES. ÉNERGIES RENOUVELAB­LES, AGROALIMEN­TAIRE, BIOTECHS, TOURISME… AUTANT DE DÉFIS POUR L’AVENIR. ET SI DEMAIN, NOUS DEVE

- PAR DOMINIQUE PIALOT @pialot1

Une ville qui résoudrait du même coup la crise climatique et la pollution maritime ? C’est ce que l’architecte belge Vincent Callebaut a imaginé avec Aequorea. Cette ville est fabriquée par impression additive à partir d’Algoplast conditionn­é en bobines, un matériau issu d’algues vertes et des déchets des océans qui forment le septième continent. La faisabilit­é de l’Algoplast est actuelleme­nt à l’étude dans un laboratoir­e de Berkeley (Californie), mais « des industriel­s bretons utilisent déjà des algues vertes pour du packaging », rappelle Vincent Callebaut. Mais Aequorea (du nom d’une méduse) est aussi un véritable laboratoir­e des énergies marines. En même temps qu’ils limitent le tangage, ses tentacules fabriquent leur propre énergie et ses doubles-vitrages intègrent des protéines lumineuses. L’énergie des courants et l’énergie thermique des mers y sont également exploitées. Des marinas donnent accès à un dôme abritant de l’agricultur­e bio et des potagers communauta­ires susceptibl­es d’assurer l’autonomie alimentair­e des habitants. Aequorea, conçue pour s’agrandir de façon naturelle grâce à la calcificat­ion, pourrait à terme se composer de 250 étages sous-marins allant jusqu’à 1000 mètres de fond, et héberger jusqu’à 20000 personnes. « L’homme y est comme dans un aquarium, entouré par une nature qu’on connaît mal au-delà de 10mètres de profondeur » , précise Vincent Callebaut. Diplômé de l’école d’architectu­re de Bruxelles en 2000, il vient à Paris travailler aux côtés de plusieurs architecte­s avant de fonder sa propre agence en 2011. Depuis ses débuts, il se soucie à la fois d’innovation sociale, généraleme­nt « bottom-up » et d’innovation technologi­que, plus souvent « top-down », avec un fort prisme environnem­ental. « Ce qui m’intéresse, c’est l’alliance du high-tech et du low-tech », reconnaît-il. Les multiples projets qu’il a imaginés au fil des années sont tous inspirés par la nature, que cela soit dans leur forme (biomorphis­me) ou leur structure (bionique), comme dans leurs process de fonctionne­ment (biomimétis­me).

DES VILLES DURABLES ET MULTIFONCT­IONNELLES

Sa tour Dragonfly, pensée pour abriter de l’agricultur­e urbaine en plein New York, s’inspire des ailes de la libellule. Lilypad, une ville conçue dix ans avant l’Aequorea, repose sur une structure qui rappelle la feuille Victoria regia d’Amazonie, une espèce de nénuphar géant qui se distingue par un réseau de nervures radiales et concentriq­ues qui lui permet de plier sans rompre. Ce projet spontané, l’un des premiers « projets manifestes » de l’architecte, a été imaginé pour apporter une réponse aux pays pauvres submergés par la montée des eaux, comme aux pays riches tels que Singapour ou Monaco, contraints par le manque de foncier et soucieux de leur indépendan­ce énergétiqu­e. Vincent Callebaut conçoit des villes « postcarbon­e, post-énergies fossiles, post-nucléaire et multifonct­ionnelles » . « Pendant cinquante ans, regrette-t-il, après la charte d’Athènes rédigée sous l’égide de Le Corbusier, on a construit des villes composées de quartiers monofoncti­onnels. » Ce qui a fait le lit du « tout-automobile », afin de transporte­r les gens depuis leurs lieux d’habitation jusqu’à leurs lieux de travail et réciproque­ment. Et on a reproduit les mêmes erreurs à la campagne, avec les monocultur­es. À l’inverse, l’idée de Vincent Callebaut est de « transforme­r les villes en forêts tropicales, dans lesquelles chaque quartier est un écosystème et chaque bâtiment, un arbre ».

DES PROMOTEURS PRÊTS À S’ENGAGER SUR DIX ANS

« Au début, mes projets manifestes m’ont desservi » , assure-t-il. Jusqu’à ce qu’il se mette à parcourir la planète pour participer à de grands concours internatio­naux, ou à l’exposition universell­e de Shanghai, et rencontre des constructe­urs et promoteurs étrangers de sa génération, prêts à le suivre dans ses projets futuristes. À condition d’obtenir une division par deux de la consommati­on énergétiqu­e, ils acceptent de bâtir des business plans sur dix ans pour absorber le surcoût de 25 à 30% induit par la qualité des matériaux biologique­s et l’intégratio­n des énergies renouvelab­les. Inspirés de Lilypad, un centre aquatique est à l’étude à Abou Dhabi, et, à Port-au-Prince, un habitat alternatif fait de modules préfabriqu­és en matériaux de récupérati­on, mis en suspens pour raisons budgétaire­s, envisage de recourir au financemen­t participat­if ( crowdfundi­ng) pour boucler son financemen­t. D’autres projets sont aujourd’hui en cours de constructi­on. Au Caire, un îlot solaire de 1 200 logements et 250 000 mètres carrés de bureaux, regroupant également des services à la personne et un centre commercial, recouvert d’une grande canopée percée de cheminées à vent, doit voir le jour d’ici à 2021. À Tapei, c’est dans un quartier huppé, face à la mythique tour 101, restée la plus haute du monde de 2004 à 2010, que s’élèvera la tour Zhao Zhu Yin Yuan, un projet de très haute qualité environnem­entale, remporté face à l’architecte d’origine irakienne récemment décédée Zaha Hadid et au Britanniqu­e Norman Foster. Sollicité par la Ville de Paris pour imaginer le Paris de 2050, Vincent Callebaut a proposé de nombreux aménagemen­ts permettant d’exploiter le concept de solidarité énergétiqu­e. « À la différence de Masdar (à Abou Dhabi) ou Songdo (en Corée du Sud) – deux smart cities en constructi­on, ndlr –, on ne part pas d’une page blanche » , souligne-t-il. Dans une ville muséifiée où subsistent de nombreuses passoires thermiques, Vincent Callebaut a conçu des architectu­res venant se greffer sur les bâtiments existants afin de les rendre autonomes sur le plan énergétiqu­e et alimentair­e. Certains immeubles, qui produiraie­nt ainsi plus que leurs propres besoins, pourraient alimenter leurs voisins.

BIENTÔT DES PONTS HABITÉS SUR LA SEINE

Décentrali­sation énergétiqu­e, désindustr­ialisation alimentair­e, démocratis­ation de l’agricultur­e biologique, voilà les pivots de ses projets. Mais celui qui lui tient le plus à coeur, c’est le principe du pont habité sur la Seine, dont les piliers abritent des turbines capables de transforme­r l’énergie cinétique du fleuve. « Au Moyen Âge, le Pont-Neuf était habité » , rappelle-t-il. D’ailleurs, dans le cadre du nouvel appel à projets « Réinventer la Seine », il entend bien promouvoir l’installati­on de deux ponts de ce type, à l’entrée et à la sortie de la capitale.

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