La Tribune Hebdomadaire

Économie : un programme des plus primaire

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Du dernier projet de budget du quinquenna­t Hollande, le Haut conseil des finances publiques, autorité indépendan­te chargée de juger de la crédibilit­é de la copie présentée par Bercy, n’a dit qu’un mot, cruel et définitif : « improbable ». Improbable, la prévision de croissance de 1,5%, déjà révisée par l’Insee à 1,3%. Improbable aussi, l’objectif en pleine année électorale d’un retour du déficit à 2,7% du PIB, qui n’engage que la crédulité des plus naïfs puisqu’il est très improbable que ceux qui l’ont fixé soient encore là pour le constater… En 2017, si la droite l’emporte, le scénario est déjà téléphoné : quel que soit le candidat élu, un audit des finances publiques affirmera que tout était faux dans ce budget; et une loi de finances rectificat­ive appliquera dès l’été un programme qui repose dans tous les cas sur un creusement – temporaire ? – du déficit pour remettre les compteurs à zéro. Certains prévoient même d’enclencher un contrechoc fiscal immédiat, bien sûr non financé, ce qui alourdira un peu plus la note pour un effet économique incertain. Adieu les 3% du PIB. Il faudra tenter de renégocier avec Bruxelles et l’Allemagne un nouveau délai. Et ce sera reparti pour un tour, à moins que l’élastique européen ne se casse… Le débat économique gagnerait à se fonder sur un diagnostic mieux établi et partagé par tous. L’un d’entre eux ne fait pas débat : on sait que le PIB par habitant en France, rapporté au même indicateur en Allemagne, a perdu près de dix points en dix ans (voir le graphique ci-contre). La droite et la gauche en assument la même paternité. Bien sûr, l’une des explicatio­ns est démographi­que : la population allemande stagne, alors qu’elle conserve une croissance en France. Mais, c’est justement pour cela que c’est grave, car avec moins de croissance que l’Allemagne et de plus en plus d’habitants, c’est bien notre niveau de vie qui décline à grande vitesse. Une stratégie économique cohérente pourrait se fixer comme objectif d’inverser cette courbe. Cela a été le cas entre 1986 et 1988, puis du milieu des années 1990 au milieu des années 2000. Comme quoi la droite sait le faire ! Et d’appliquer pour cela les bons remèdes, à commencer par une politique favorisant vraiment la croissance. C’est le drame de la politique française : ses dirigeants, de droite comme de gauche, arrivent au pouvoir mal préparés, avec un diagnostic partiel et souvent erroné de la réalité économique. Se sentant engagés par leurs promesses de campagne, ils appliquent sans réfléchir leur programme, la plupart du temps bâclé, inopérant et à contre-emploi; et ils finissent au bout d’un an ou deux par se rendre compte de leur erreur avant de passer la fin de leur mandat à essayer – dans le meilleur des cas – de la corriger. Comme les alternance­s politiques se succèdent de plus en plus rapidement avec le quinquenna­t, la majorité en place manque le plus souvent de temps pour vérifier que sa stratégie économique était la bonne. Et si tel est effectivem­ent le cas, c’est en général la suivante qui dilapide cet héritage… Il est à craindre que l’alternance promise à nouveau à la droite ne conduise à la même impasse. Pour s’en convaincre, il suffit d’étudier les propositio­ns économique­s des principaux candidats aux primaires. Peu ou prou, ils préconisen­t les mêmes mesures, à quelques nuances près – Fillon est le plus libéral, avec NKM ; Juppé le plus prudent, avec Sarkozy. Baisses d’impôts, surtout pour les riches, et de charges pour les entreprise­s, électrocho­c sur les dépenses publiques (sans dire lesquelles), réforme des retraites et du marché du travail. Est-ce la nostalgie de tout ce que la droite n’a pas su, pas pu ou pas voulu faire depuis 1995 ? Le manque d’imaginatio­n des candidats à la primaire est assez stupéfiant. Le volontaris­me leur tient lieu de raisonneme­nt. Surtout, on peine à trouver le début de quelque chose qui ressembler­ait même de façon infime à une stratégie de nature à résoudre notre problème principal : le manque de croissance. Il n’y a rien sur la nécessité d’une relance de l’investisse­ment public, qui fait pourtant consensus jusqu’au FMI ou à l’OCDE. Rien ou presque sur la nouvelle économie et les actions à mener pour créer les nouveaux emplois de demain. Presque rien, enfin, sur la nécessité de conclure un nouveau contrat social pour adapter notre modèle aux évolutions du marché du travail. Se contenter d’affirmer que la suppressio­n de l’ISF va faire mécaniquem­ent revenir l’argent des expatriés fiscaux, et qu’il va s’investir massivemen­t dans la nouvelle économie, c’est un peu primaire comme raisonneme­nt. Et c’est même sans doute prendre les riches pour des « pigeons ».

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