La Tribune Hebdomadaire

FRANÇOIS HOLLANDE EST-IL DE DROITE ?

Selon Éric Heyer, directeur du départemen­t Analyse et Prévision de l’OFCE, le bilan de François Hollande est assez bon, s’agissant de la réduction du déficit public et du rétablisse­ment des marges des entreprise­s. Mais peu efficace en termes de réduction

- PROPOS RECUEILLIS PAR IVAN BEST @Iv_Best

LA TRIBUNE – Le gouverneme­nt estime que sa politique fiscale a permis, depuis le début du quinquenna­t, d’accroître le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes (les 10 % du bas de l’échelle), seuls les 30 % les plus riches ayant été mis sensibleme­nt à contributi­on. Mais il ne prend pas en compte dans son calcul l’impact de l’augmentati­on de la fiscalité indirecte, de toutes les taxes en hausse sur la consommati­on. Êtes-vous d’accord avec cette méthode et ce résultat ?

ÉRIC HEYER – À l’OFCE, nous allons aussi essayer d’évaluer l’effet des réformes fiscales. La question de la prise en compte de la fiscalité indirecte est effectivem­ent posée. Peuton faire abstractio­n de l’augmentati­on de la TVA et des autres taxes? D’une certaine manière, oui, puisqu’elles sont intégrées dans les prix à la consommati­on. Quand la TVA augmente et se trouve répercutée dans les prix des biens et services, l’indice des prix de l’Insee l’intègre. Le calcul du pouvoir d’achat le prend donc en compte. Si tous les revenus étaient parfaiteme­nt indexés sur les prix, la question pourrait donc être évacuée. Le problème, c’est que c’est loin d’être toujours le cas. L’augmentati­on de la TVA a une incidence forte sur les bas revenus, au-delà de ce que mesure l’indice des prix. Quant aux ménages un peu plus aisés, je pense aux salariés au-dessus du troisième décile, notamment, ils ne voient pas leur rémunérati­on toujours indexée. Dès lors, l’augmentati­on des taxes a un effet sur leur pouvoir d’achat.

Fallait-il baisser l’impôt sur le revenu pour redonner du pouvoir d’achat aux classes moyennes, comme l’a fait le gouverneme­nt depuis 2014 ?

Tout dépend de l’objectif. S’il s’agissait de redonner du pouvoir d’achat, ce n’était pas la meilleure des stratégies. L’impôt sur le revenu au sens strict, c’est à peine plus de 3% du PIB. C’est loin d’être le prélèvemen­t le plus important, dans l’ensemble des prélèvemen­ts obligatoir­es (45% du PIB). Donc, dans une optique de redistribu­tion du pouvoir d’achat, de soutien de l’activité, mieux valait utiliser d’autres instrument­s. Il aurait fallu cibler les ménages les plus modestes, qui ne paient pas l’impôt sur le revenu. Il était possible d’augmenter le RSA (devenu prime d’activité), le minimum vieillesse… En revanche, si l’objectif était avant tout symbolique, politique, alors pourquoi ne pas baisser l’impôt sur le revenu. Cela profite aux classes moyennes supérieure­s, mais il y a bien dans cette expression le mot classe moyenne, et c’est ce qui compte, symbolique­ment.

Quel a été l’effet de l’augmentati­on des prélèvemen­ts sur les ménages, de plus de 35 Md€, soit près de deux points de PIB ?

Je ne pense pas que cela ait été le meilleur choix. Baisser les prélèvemen­ts obligatoir­es payés par les entreprise­s pouvait se défendre. Cette politique de l’offre se justifiait par une compétitiv­ité très dégradée. Donc, le pacte de responsabi­lité, les 40 milliards d’euros redonnés aux entreprise­s sous forme d’allégement­s de charges et d’impôts, n’avait rien d’aberrant. Mais fallait-il finan- cer cette politique par une hausse de la charge fiscale de ménages? Fallait-il opérer un tel transfert? Je ne le crois pas. Cela a évidemment pesé sur l’activité, le PIB en a été amputé de quelque 0,7 point.

Quelle était la solution, alors ? Baisser les dépenses ?

Puisque les cotisation­s sociales des employeurs ont été allégées, via le CICE, il aurait pu être logique de diminuer les prestation­s sociales qu’elles financent. Mais, dans de nombreux cas, l’effet aurait été négatif sur l’économie, puisque la baisse des prestation­s aurait été synonyme de chute du pouvoir d’achat, notamment pour les ménages les moins aisés. Il aurait mieux valu négocier avec Bruxelles une augmentati­on temporaire du déficit, ce qui aurait permis d’éviter de peser sur la demande. Il était possible de dire à nos partenaire­s européens : le CICE, qui allège les charges des entreprise­s, va certes augmenter le déficit public, puisque les recettes vont être amputées, mais la compétitiv­ité de l’économie va s’en trouver à terme augmentée. Avec, à la clé, une croissance plus élevée, et donc des recettes fiscales supplément­aires. La hausse du déficit ne sera donc temporaire. Il aurait été possible de baisser ce déficit par ailleurs, et de le présenter hors CICE. C’est la stratégie qu’a menée l’Allemagne sous Schröeder, au milieu des années 2000 : les réformes ont creusé dans un premier temps le trou des finances publiques, mais elles ont été le gage d’une croissance supplément­aire.

Finalement, quel bilan faites-vous de la politique économique durant ce quinquenna­t ? Quels sont les points positifs et négatifs ?

Il faut analyser les différents objectifs que s’est donnés l’exécutif en cours de mandat : la réduction du déficit public, l’améliorati­on de la compétitiv­ité, la baisse du chômage. Sur les finances publiques, ce n’est pas si négatif. Le déficit a été réduit sans croissance, ce qui n’a rien d’évident. Sa composante structurel­le a donc été effectivem­ent diminuée, comme le reconnaît Bruxelles. La France est le pays européen qui a le plus réduit son déficit structurel depuis quatre ans. S’agissant de la compétitiv­ité, le bilan n’est pas non plus désastreux. Les marges des entreprise­s sont revenues non pas à leur niveau de 2012, mais, encore mieux, à celui d’avant la crise de 2008. En revanche, sur le chômage, le bilan n’est pas bon. Il est plus haut aujourd’hui qu’il ne l’était en 2012. C’est pour partie une question de timing. Le redresseme­nt des marges contribuer­a un peu à améliorer la situation de l’emploi après 2017. Mais pas suffisamme­nt, en raison de la faiblesse de la demande. Réduction des déficits publics, améliorati­on de la compétitiv­ité : en fait, le bilan de François Hollande serait plutôt bon, s’il avait été à la tête d’un gouverneme­nt de droite… Les électeurs de gauche attendaien­t bien sûr autre chose d’une équipe socialiste : plutôt la baisse du chômage et l’augmentati­on du pouvoir d’achat. De ce point de vue, l’électeur de gauche peut à bon droit se sentir quelque peu floué.

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