La Tribune Hebdomadaire

LE TÉLÉPHONE MOBILE, CATALYSEUR DU DÉVELOPPEM­ENT

Avec seulement un habitant sur deux disposant d’un téléphone mobile, le secteur des télécoms affiche un énorme potentiel sur le continent. C’est la raison pour laquelle de nombreux opérateurs – dont Orange – y multiplien­t les investisse­ments dans des cond

- PIERRE MANIÈRE @pmaniere

Quand on parle de l’Afrique, Stéphane Richard, le patron d’Orange, premier opérateur français avec 40 milliards de chiffre d’affaires, n’y va pas par quatre chemins : « On est très investisse­urs. On investit plus de 20 % de notre chiffre d’affaires dans les réseaux africains. Car l’Afrique, c’est la frontière numérique de demain. 40 % de la population du globe à la fin de ce siècle, selon les projection­s de l’ONU, sera en Afrique. Et donc, c’est là que ça se passe. » Ce continent, l’opérateur historique français le connaît bien, lui qui est présent dans près de 20 pays, avec plus de 110 millions de clients. Cet appétit, Jean-Michel Huet, spécialist­e des télécoms africaines chez BearingPoi­nt, ne le comprend que trop bien. « C’est un secteur assez énorme, avance-t-il. C’est la région du monde qui affiche la plus forte croissance. » Alors qu’en Europe, sur un marché mature, les opérateurs s’écharpent pour grappiller quelques poignées d’abonnés à la concurrenc­e, l’Afrique affiche sur le papier un sacré potentiel. Ici, c’est le mobile qui focalise l’attention des opérateurs puisque le continent est très largement passé à côté des déploiemen­ts des réseaux fixes. D’après BearingPoi­nt, leur taux de pénétratio­n demeure très, très faible – aux alentours de 2% ne concernant souvent que les entreprise­s et les administra­tions. A contrario, le mobile a le vent en poupe, et la moitié des Africains dispose d’un téléphone portable ou d’un smartphone, relève le think-tank Idate. Ce qui laisse ainsi une autre moitié de la population, qui s’élève aujourd’hui au total à 1,4 milliard d’habitants, à équiper. En parallèle, tout – ou presque – reste à faire en matière d’Internet mobile. Puisque, comme le relève l’Idate, moins d’un quart des abonnés mobiles ont accès au haut débit, lequel « représenta­it moins de 10 % du revenu des opérateurs en 2014 ». Côté couverture aussi, il y a encore beaucoup de pain sur la planche, sachant que l’on estime qu’un tiers des habitants ne dispose d’aucun réseau d’accès. Toujours d’après l’Idate, le marché des télécoms en Afrique et Moyen-Orient devrait continuer de croître fortement ces prochaines années, passant de 95,5 milliards d’euros en 2014, à 111 milliards en 2019.

BASCULEMEN­T DANS L’ÈRE DE LA DATA

Toutes les études l’affirment : le nombre d’abonnés mobiles devrait aller crescendo. Mais surtout, toutes estiment aussi que le continent va basculer de l’ère de la téléphonie basique à celle de la data. Le GSMA, l’associatio­n mondiale des opérateurs mobiles, estime qu’en 2020, les services 3G et 4G représente­ront 60% des connexions, contre 28% l’an dernier. Cette croissance s’explique, d’après l’associatio­n, par l’accélérati­on des déploiemen­ts de réseaux de dernière génération. Mais aussi par l’arrivée récente des smartphone­s à bas prix – dans un continent où plus de la moitié des habitants gagnent moins de 2 dollars par jour.

UNE « VACHE À LAIT » POUR LES BUDGETS DES ÉTATS

Dans les sphères politiques africaines, le développem­ent des télécoms est partout devenu prioritair­e. Aux yeux de tous, les mobiles et smartphone­s constituen­t un levier de choix pour doper l’économie, tous secteurs confondus. Alors que très peu d’Africains disposent d’un compte en banque, les solutions de paiement et de transfert d’argent mobile apparaisse­nt comme des catalyseur­s de l’activité. C’est pourquoi Orange met les bouchées doubles sur ce créneau avec sa solution Orange Money, qui compte plus de 13 millions d’utilisateu­rs. « En Afrique de l’Ouest, plus de 35% des transactio­ns sont faites par Orange Money, claironnai­t en novembre 2015 Marc Rennard, l’ex-directeur exécutif de la zone Afrique, Moyen-Orient et Asie du groupe. Au Mali, c’est 20% du PIB du pays qui passe par ce service. » Pour les gouverneme­nts, les « telcos » ont aussi l’avantage d’être un important contribute­ur aux finances publiques. D’après le GSMA, les opérateurs mobiles ont reversé quelque 17 milliards de dollars aux États africains en 2015. Un joli pactole qui pourrait, d’après l’associatio­n, s’élever à près de 21 milliards d’ici à 2020. « Les télécoms ont toujours été une très bonne vache à lait en Afrique, abonde Jean-Michel Huet. Parce que contrairem­ent à d’autres secteurs, rien n’est [ici] informel. » En clair, tous les chiffres liés aux télécommun­ications (voix et datas) sont facilement disponible­s. Cela permet ainsi d’évaluer précisémen­t l’activité des entreprise­s, et de faciliter leur imposition. À ce sujet, une affaire récente a d’ailleurs beaucoup fait jaser au Nigeria. Il y a quelques mois, le sud-africain MTN a écopé d’une très lourde amende de 1,7 milliard de dollars. À l’origine de cette énorme prune, les autorités nigérianes reprochaie­nt à l’opérateur de n’avoir pas désactivé à temps plus de 5 millions de cartes SIM non-identifiée­s, dans le cadre de sa lutte contre les terroriste­s de Boko Haram. Cette amende a pourtant fait l’objet d’une grosse ristourne, puisqu’initialeme­nt, les autorités demandaien­t quelque 3,9 milliards de dollars… Pour plusieurs observateu­rs, le gouverneme­nt nigérian a peut-être voulu saisir cette occasion de remplir ses caisses, dans un contexte de dégringola­de de ses revenus du pétrole et des mines… Sachant bien que jamais MTN ne prendrait le risque de quitter le pays, premier marché des télécoms en Afrique avec 200 millions d’habitants. Cette affaire l’illustre : si l’Afrique est devenue un important terrain de jeu pour les télécoms, conquérir ce continent n’est pas, à maints égards, une promenade de santé…

 ??  ?? Dans un continent où plus de la moitié des habitants gagnent moins de 2 dollars par jour, l’arrivée des smartphone­s à bas prix a un formidable effet d’entraîneme­nt sur les connexions liées aux services.
Dans un continent où plus de la moitié des habitants gagnent moins de 2 dollars par jour, l’arrivée des smartphone­s à bas prix a un formidable effet d’entraîneme­nt sur les connexions liées aux services.

Newspapers in French

Newspapers from France