Chaos-Lanta à l’Élysée
Sans précédent dans l’histoire de la Ve République, la décision de François Hollande de renoncer à concourir pour un deuxième mandat à l’Élysée a rouvert le jeu politique pour 2017. Avec cet acte salué par tous ses adversaires, de droite comme de gauche, et approuvé par 94% des Français, le chef de l’État a réussi un coup assez florentin, somme toute assez semblable à la démission du pape Benoît XVI en 2013. En provoquant, de son vivant, l’élection d’un nouveau pape – François, premier du nom –, l’Allemand a imposé une remise en ordre à la curie romaine qu’il ne parvenait pas à réformer. L’argentin Jorge Mario Bergoglio s’y est employé, en imposant une ligne politique très à gauche à l’Église catholique, dans un monde où les inégalités explosent et où la mondialisation financière ne parvient plus à créer de la croissance pour tous. Ce parallèle avec le pape François, François Hollande n’y a sans doute pas pensé quand il a pris la décision de « se démissionner » luimême. Les effets de ce coup de théâtre n’en sont pas moins très comparables sur la gauche, qui vu disparaître d’un coup d’un seul celui qui, par son incapacité à faire l’union, bloquait tout le système et empêchait, par son indécision sur sa candidature, toute recomposition politique. Avec son départ, François Hollande se place dans une nouvelle stature, plus élyséenne, de faiseur de roi, prenant de la hauteur jusqu’à son départ, prévu le dimanche 7 mai 2017, à 20h00. En nommant son ministre de l’Intérieur – le fidèle Bernard Cazeneuve – à Matignon, le chef de l’État s’assure donc six mois de tranquillité pour, si possible, réussir la fin d’un mandat qui a tourné au fiasco. Sans doute en partie injuste, la défiance des Français à l’égard de leur président n’a plus lieu d’être puisqu’il n’est plus en première ligne. Avec son nouveau Premier ministre, François Hollande va pouvoir se consacrer à sa stature internationale (on lui prête une ambition européenne) et peser sur le choix des Français en vantant le bilan de son quinquennat, avec un frémissement perceptible sur le front de l’emploi et des comptes publics certes toujours très dégradés, mais en amélioration constante, sans trop de casse sur la fonction publique ni le système de protection sociale. Un argument qu’il opposera au projet de François Fillon, que même Alain Juppé avait jugé trop « brutal ». Politiquement, l’élection présidentielle de 2017 prend donc un tour inédit. Avec l’élimination de Nicolas (Sarkozy), Bruno (Le Maire), Nathalie (Kosciusko-Morizet), JeanFrançois (Copé) et Alain (Juppé), le KohLanta de la primaire de la droite et du centre a fait émerger un nouveau leader de l’équipe jaune, François Fillon. Désormais incontesté, le Sarthois a réussi à unir son camp dans l’espoir d’une alternance qu’il place sous le signe d’un électrochoc libéral et conservateur. « Je ne suis pas candidat pour m’asseoir dans un fauteuil à l’Élysée et attendre que le temps passe, mais je suis candidat pour redresser mon pays » , a prévenu l’ancien Premier ministre de 2007 à 2012, dont le slogan de campagne pourrait ressembler à celui de Donald Trump : « Make France great again ». Face à cette dynamique, la gauche, l’équipe rouge, est confrontée à une responsabilité historique. Après avoir divisé son camp, n’hésitant pas à parler de « deux gauches irréconciliables » , Manuel Valls veut rassembler à l’occasion de la primaire citoyenne des 22 et 29 janvier. En fait de « Belle alliance populaire », c’est plutôt Chaos-Lanta avec pas moins de huit candidats déclarés. Manuel Valls aura la difficile tâche de défendre le bilan de François Hollande tout en affrontant Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), Jean-Luc Bennahmias (Front Démocrate), François de Rugy (Écologistes !), l’ancien inspecteur du travail Gérard Filoche, MarieNoëlle Lienemann (aile gauche du PS), Benoît Hamon et, sans doute le plus difficile pour lui, Arnaud Montebourg, l’ancien ministre du Redressement productif (qui avait fait 17,19 % à la primaire de l’automne 2011). Sans compter un(e) possible candidat(e) aubryste (la maire de Lille ayant renoncé)… Même si Manuel Valls sort victorieux de cette étape, ce sera plus par résignation des électeurs de gauche que par adhésion, et cela ne suffira pas à réunir un camp qui se partage actuellement 35% des voix avec trois autres candidats hors primaire : Sylvia Pinel pour le PRG, Jean-Luc Mélenchon pour le Front de gauche allié aux communistes, et enfin Emmanuel Macron pour En Marche ! La gauche est-elle capable de clarifier enfin son offre politique pour espérer figurer au second tour et éviter un nouveau 21 avril 2002, avec un duel Fillon-Le Pen? Autant dire, au train où vont les choses, que cette réunion des gauches est assez improbable. Si une alliance reste possible, pour éviter un duel des droites au second tour, ce serait plutôt celle des « progressistes » que veut incarner Emmanuel Macron qui s’adresse, lui, aux électeurs du centre – droit et gauche – pour tenter une recomposition. Or, chacun l’a noté, François Hollande a explicitement lancé un appel au camp progressiste dans sa déclaration de non-candidature. De là à s’attendre à le voir adhérer à En Marche!…