La Tribune Hebdomadaire

Le travail, c’est la santé !

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Au coeur de la campagne présidenti­elle, le travail et son avenir dans une économie en plein bouleverse­ment ; mais aussi son corollaire, les protection­s auxquelles il est associé. Parmi celles-ci, un sujet fait particuliè­rement débat : que va devenir le modèle social français issu des ordonnance­s de 1945? Pour les uns, c’est le thème de campagne traditionn­el de la droite : le système est à bout de souffle et il convient de le réformer en profondeur. Selon François Fillon, notre système de santé doit évoluer dans son mode d’organisati­on et de financemen­t. Il a donc évoqué cette vieille idée de distinguer, dans la part des dépenses remboursab­les, les grands risques (maladies chroniques, cancer etc.) et les « petits » risques – ce qu’il est convenu d’appeler le rhume hivernal –, qui ne seraient plus pris en charge par la Sécu. Mal lui en a pris, car même à droite le sujet divise. Un sondage Harris Interactiv­e publié ces derniers jours le montre : 38% des Français sondés se montrent très réticents à l’égard de cette idée de laisser les risques « légers » à la seule charge des assurances complément­aires. Face à la bronca générale provoquée par son projet, François Fillon a été obligé de préciser, dans un article publié dans Le Figaro, ses intentions : « J’entends réaffirmer le principe d’universali­té dans l’esprit des ordonnance­s de 1945. L’assurance maladie obligatoir­e et universell­e, pilier de la solidarité, doit rester le pivot dans le parcours de soins dont le médecin généralist­e est l’acteur clé. Elle continuera à couvrir les soins comme aujourd’hui et même, mieux rembourser des soins qui sont largement à la charge des assurés, comme les soins optiques et dentaires. Il n’est donc pas question de toucher à l’assurance maladie, et encore moins de la privatiser. » Voilà qui est clair et François Fillon a bien perçu le danger de s’engager plus avant dans cette voie. Car, seul le médecin est en mesure de déterminer, en fonction de l’état de santé d’un patient, si un « petit » rhume est ou non le signe d’une affection potentiell­ement plus grave. On rejoint là un vieux précepte de la médecine chinoise : il faut soigner les gens « en bonne santé », car lorsqu’ils tombent vraiment malades, cela risque de coûter plus cher, y compris en heures de travail perdues. Bien sûr, François Fillon a raison sur un point : le retour apparent à l’équilibre des comptes sociaux dont s’est vantée sans vergogne Marisol Touraine, la ministre de la Santé, est en partie factice. La gauche ne s’est pas privée de dérembours­er des soins, et l’optique et le dentaire restent très mal pris en charge. En outre, alors que les Français ont pris conscience qu’il leur faudra travailler plus longtemps pour assurer leur retraite, autant que cela soit en bonne santé! C’est d’ailleurs ce que lui a répondu Emmanuel Macron dans son discours du 10 décembre : « Dérembours­er les petits soins, quelle en est la conséquenc­e ? C’est que les classes moyennes iront moins se soigner, c’est qu’on ira moins se couvrir contre les petits risques, c’est qu’on ira plus facilement vers les maladies les plus graves. » Exit donc, au moins pour le moment, la réforme Fillon. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas redéfinir le modèle social de 1945, pour l’adapter aux réalités du xxie siècle, avec un monde du travail plus mouvant, plus d’indépendan­ts dont beaucoup, notamment dans l’économie « ubérisée », peinent à accéder à une protection sociale minimale. De ce point de vue, la propositio­n d’Emmanuel Macron de revoir le mode de financemen­t, à travers un transfert des cotisation­s salariales maladie et chômage, vers 1,7 point de CSG, est une piste intéressan­te. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’elle est évoquée. Sans coût supplément­aire pour l’employeur, elle permettrai­t d’augmenter le salaire net de tous les salariés. Lionel Jospin avait essayé de le faire en 2001, puis la majorité actuelle en 2015, mais à chaque fois cette réforme avait buté sur un obstacle constituti­onnel, qui vient de la distinctio­n entre cotisation­s sociales et impôts. Ce que propose Macron est d’aller au bout de la logique de Michel Rocard, inven- teur de la CSG : mettre fin à la logique du paritarism­e pour certains risques sociaux et étatiser (et non pas privatiser) l’assurance maladie et l’assurance-chômage. Ce, au nom d’une logique devenue évidente à l’aube des années 2020 : l’emploi, devenu plus rare et plus volatil, ne peut plus rester le principal contribute­ur de notre modèle social. Si on veut le réinventer, il faut donc, selon Macron, que l’État, régulateur de l’intérêt général, prenne les responsabi­lités que ne sont pas capables de prendre les partenaire­s sociaux. Ce modèle « beveridgie­n », à l’opposé du modèle « bismarckie­n », contributi­f et en faillite, est une vraie innovation politique. Elle ne s’oppose pas au maintien d’un système de soins décentrali­sé et concurrent­iel. Elle n’exclut en rien de mieux le gérer, à travers des réseaux de soins. Mais elle permettra de faire payer à tous les revenus, ceux du capital, comme ceux des retraités, une part du financemen­t d’une protection sociale qui fait partie de notre héritage commun. S’adressant aux retraités aisés, également détenteurs de la part la plus importante du patrimoine financier, Emmanuel Macron a eu une formule assez « rocardienn­e » pour les convaincre : « Je leur demande [cet effort] pour leurs enfants et leurs petits-enfants (…) et pour que le travail paye »… Au moins, cela a le mérite d’avoir été dit.

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