La Tribune Hebdomadaire

ASSURANCE CHÔMAGE : POURQUOI MACRON VEUT LA FISCALISER

Le candidat à la présidenti­elle, désormais au coude à coude avec Fillon, veut supprimer les cotisation­s maladie et chômage à la charge des salariés. Elles seraient remplacées par une hausse de la CSG. Concernant le chômage, il s’agirait d’une vraie révolu

- IVAN BEST @Iv_Best

Pour permettre à chaque Française et Français de pouvoir vivre plus dignement de son travail, on a besoin de répondre à un problème, celui de diminuer l’écart qu’il y a entre le salaire brut et le salaire net », a affirmé le 8 décembre l’ex-ministre de l’Économie et candidat à l’élection présidenti­elle, Emmanuel Macron. « Ce que je veux faire, c’est supprimer les cotisation­s maladie et les cotisation­s chômage que paie le salarié », a-t-il dit en précisant que cette mesure s’appliquera­it « sur tous les salaires » et « pour les indépendan­ts aussi » (ces derniers ne paient pas de cotisation­s à ce jour). « Pour un couple qui est au SMIC aujourd’hui, le gain net par an serait d’au moins 500 euros », affirme Emmanuel Macron. Il estime qu’il financerai­t cette mesure « par de la CSG », qui « a une base beaucoup plus large », incluant les actifs, mais aussi les retraités et les revenus du capital. « Toutes les petites retraites auront leur pouvoir d’achat protégé », précise cependant le candidat à la présidenti­elle. A priori, la propositio­n Macron apparaît généreuse à l’égard des actifs et beaucoup moins envers les retraités, dont la CSG augmentera­it sans aucun avantage en contrepart­ie. Si la cotisation maladie à la charge des salariés est désormais faible -0,75 % du salaire brut, soit une recette pour la sécurité sociale proche de 2 milliards d’euros, les cotisation­s à l’assurance chômage sont supérieure­s (2,4% du salaire brut). Au total, une quinzaine de milliards d’euros seraient ainsi transférés sur la CSG qui devrait augmenter de 1,1 point pour compenser le manque à gagner pour les comptes sociaux. Le calcul d’Emmanuel Macron d’un gain de 500 euros par an pour le smicard est erroné : cette somme correspond seulement à la baisse des cotisation­s, elle ne prend pas en compte l’augmentati­on de la CSG. Le gain net serait en réalité d’environ 330 euros.

INSPIRÉ PAR MICHEL ROCARD

Surtout, cette réforme du financemen­t de la protection sociale – qui s’inscrit apparemmen­t dans la logique du créateur de la CSG, Michel Rocard – qui consiste à élargir la base de taxation des cotisation­s au-delà du seul travail, et à transférer du pouvoir d’achat aux salariés au détriment des autres revenus, serait en fait lourde de changement­s. Pas concernant l’assurance maladie. Il est logique que cette assurance désormais universell­e, couvrant toute la population, soit financée par un prélèvemen­t obligatoir­e touchant la totalité des revenus. En revanche, l’idée de financer l’assurance chômage par un impôt – tel est bien le statut de la CSG – est beaucoup plus révolution­naire au sens où l’entend Emmanuel Macron. Ce serait introduire une toute nouvelle logique dans l’organisati­on de la protection sociale en France. L’amorce du passage d’un modèle surtout bismarckie­n à une logique beveredgie­nne. Qu’est-ce à dire? Pour résumer, le modèle bismarckie­n est basé sur l’assurance du travailleu­r qui finance, avec son employeur, sa protection au moyen de cotisation­s proportion­nelles à son salaire. Quand le « risque » se matérialis­e, les prestation­s versées – qu’il s’agisse de retraite ou de chômage – dépendent des montants cotisés auparavant (on parle de système contributi­f ). Le modèle beveredgie­n, du nom de William Beveridge qui l’a conçu pendant la guerre pour le gouverneme­nt britanniqu­e, s’inspire d’une logique radicaleme­nt différente. Ce n’est plus le travailleu­r qui est protégé, c’est toute la population, selon un principe d’universali­té. Le financemen­t n’est donc pas assuré par des cotisation­s sociales payées par les salariés mais par toute la population, via l’impôt. En conséquenc­e, la prestation versée ne dépend plus du revenu antérieur, elle est uniforme. En général, elle est d’un niveau faible : il s’agit d’un simple filet de sécurité. C’est pourquoi on parle aussi de modèle « assistanci­el » (il s’agit d’assister les personnes qui risqueraie­nt de tomber dans le dénuement le plus total) par opposition au système bismarckie­n, « assurantie­l ». Décider de financer par la CSG l’assurance maladie, qui est désormais universell­e – elle profite effectivem­ent à tout le monde – et dont les prestation­s ne dépendent évidemment pas des revenus, voilà qui n’est guère surprenant. Pour l’essentiel c’est d’ailleurs déjà le cas s’agissant des salariés, dont la cotisation maladie a été fortement diminuée par Lionel Jospin, pour être basculée sur une CSG d’un mon- tant moins élevé (d’où un gain de pouvoir d’achat pour les salariés). Cette propositio­n d’Emmanuel Macron ne change donc pas grand chose au système actuel.

L’ASSURANCE CHÔMAGE FINANCÉE PAR L’IMPÔT, UN BOULEVERSE­MENT MAJEUR

En revanche, vouloir faire payer les allocation­s-chômage par l’impôt, c’est-à-dire par l’ensemble de la population (qui n’en bénéficie pas toujours), constituer­ait un bouleverse­ment majeur. Un véritable changement de philosophi­e pour l’assurance chômage. L’idée d’Emmanuel Macron est d’étendre les allocation­s à des actifs qui n’y ont pas droit aujourd’hui (indépendan­ts), comme il l’a déclaré récemment dans une interview accordée à Mediapart. Mais les retraités? En quoi sont-ils intéressés au financemen­t de prestation­s chômage? Ils ne le sont évidemment pas, sauf si elles sont ramenées à un simple filet de sécurité qui, au nom de la solidarité nationale, permettrai­t à leurs concitoyen­s d’éviter de tomber dans l’extrême pauvreté. On passerait d’une logique assurantie­lle à un principe de solidarité : beaucoup plus de gens sont couverts, mais reçoivent alors une allocation nettement plus faible. Il s’agit bien de la philosophi­e de Lord Beveridge – c’est celle qui fonctionne d’ailleurs toujours au Royaume Uni – où les allocation­s-chômage sont uniformes. À partir de 25 ans, un chômeur touche 65,45 livres par semaine, quel que soit son revenu antérieur. C’est cette logique beveredgie­nne et anglo-saxonne que veut manifestem­ent promouvoir Emmanuel Macron. Présentant sa propositio­n politique comme du pouvoir d’achat supplément­aire pour les salariés, Emmanuel Macron oublie au passage d’en décrire les conséquenc­es. Il oublie d’évoquer en outre la nécessaire nationalis­ation de l’Unedic puisqu’elle serait financée par l’impôt, voté au nom de la nation. Exit, alors, les partenaire­s sociaux…

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Emmanuel Macron veut « diminuer l’écart entre le salaire brut et le salaire net ». Mais il ne prend pas en compte tous les effets de la réforme qu’il propose.

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