La Tribune Hebdomadaire

LE PAIEMENT PAR MOBILE, UNE ARME POUR LES TERRORISTE­S

Selon le rapport annuel sur les « Tendances et analyse des risques de blanchimen­t de capitaux et de financemen­t du terrorisme » de Tracfin, la cellule anti-blanchimen­t de Bercy, le paiement par mobile recèle de graves vulnérabil­ités.

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Avec la montée du risque terroriste et les bouleverse­ments technologi­ques, l’activité de la cellule de « Traitement du renseignem­ent et action contre les circuits financiers clandestin­s » plus connue sous le nom de Tracfin, grimpe en flèche. En 2015, suivant les mêmes tendances qu’en 2014, la cellule anti-blanchimen­t de Bercy a reçu 45266 informatio­ns contre 38419 un an plus tôt, ce qui représente une hausse de 18% selon le rapport annuel sur les « Tendances et analyse des risques de blanchimen­t de capitaux et de financemen­t du terrorisme » dévoilé la semaine dernière. Un point précis, et relativeme­nt nouveau, inquiète la cellule dirigée par Bruno Dalles : le paiement par mobile. Déjà, dans un rapport publié en juin 2013 et consacré aux risques présentés par les nouveaux modes de paiement, le GAFI (Groupe d’action financière) estimait que ce nouveau type de paiements devait faire « l’objet d’une attention particuliè­re dans le cadre de l’approche par les risques en termes de blanchimen­t de capitaux et de financemen­t du terrorisme ». C’est aujourd’hui d’autant plus vrai que le paiement mobile se développe très rapidement. En 2015, il était disponible dans 93 pays du monde et les opérateurs de télécommun­ications géraient en moyenne 33 millions de transactio­ns par jour pour 411 millions de comptes d’utilisateu­rs, soit une augmentati­on de 31% par rapport à 2014. À noter que le terme de « paiement mobile » recouvre plusieurs pratiques. Il s’agit du paiement mobile adossé à une carte bancaire (c’est-à-dire le paiement sans contact dans les commerces), des paiements sur Internet auprès d’e-commerçant­s (débités sur un compte bancaire), des achats en ligne directemen­t imputés sur la facture télécom du client et enfin de cash transfer (transfert d’argent) de mobile à mobile, national ou internatio­nal, qui implique un point de vente physique où le client dépose une somme en espèces contre la remise d’un code adressé par SMS au bénéficiai­re. Ce dernier, muni du code, peut retirer les espèces dans un autre point de vente.

POURQUOI LE « CASH TRANSFER » INQUIÈTE BEAUCOUP TRACFIN

C’est en particulie­r le développem­ent du cash transfer qui inquiète Tracfin, cette méthode de paiement ayant connu un développem­ent rapide en Afrique au cours des cinq dernières années en raison de la faiblesse du taux de bancarisat­ion des économies. « Les opérateurs télécoms proposent des services financiers élémentair­es et à faible coût qui correspond­ent aux besoins des consommate­urs », précise le rapport de Tracfin qui cite par exemple la transmissi­on de fonds mais aussi le paiement de biens et de services. « Les services de cash transfer par téléphone mobile apparaisse­nt aujourd’hui en France, ciblant en priorité les population­s issues de la diaspora africaine qui désirent envoyer des fonds vers leur pays d’origine. Si les services proposés se limitent à ce jour aux flux de la France vers certains pays d’Afrique, il n’y a aucun obstacle, ni juridique ni technique, à ce que les flux puissent être ouverts à l’avenir de l’étranger vers la France, d’autant plus avec l’arrivée probable de nouveaux opérateurs », poursuit Tracfin, qui s’en inquiète. Comment s’effectuent ces services de transfert d’espèces par téléphone mobile ? Comme l’explique Tracfin, ils reposent sur une infrastruc­ture (dans le pays expéditeur comme dans le pays destinatai­re) composée d’un Prestatair­e de services de paiement (PSP), partenaire voire filiale, d’un opérateur télécom, d’un réseau d’agents distribute­urs gérant des points de vente physiques et chargés de collecter ou remettre les espèces. « Les agents peuvent être des vendeurs de produits télécoms, des chaînes de distributi­on et commerçant­s divers voire des kiosques dédiés à l’activité de transactio­ns en espèces. Au regard du code monétaire et financier, ce service s’analyse juridiquem­ent comme un virement en monnaie scriptural­e, initié par le prestatair­e de services de paiement (PSP) du pays de l’expéditeur, vers le PSP du pays du bénéficiai­re. Dans ce cas, les risques de blanchimen­t des capitaux et de financemen­t du terrorisme (LBC/FT) s’apparenten­t à ceux des services de transmissi­on de fonds. Le dispositif LBC/FT s’impose aux PSP proposant ce type de services sur le territoire français » , précise le rapport.

PLUSIEURS VULNÉRABIL­ITÉS, DONT L’ANONYMAT POSSIBLE DES PAIEMENTS

C’est cette infrastruc­ture qui pose problème, « au-delà de l’alimentati­on du compte en espèces », constate Tracfin qui relève des points faibles et plusieurs vulnérabil­ités. La cellule cite en premier lieu l’identifica­tion du client expéditeur : les éléments d’identifica­tion client sont collectés par les points de vente et doivent être transmis immédiatem­ent au PSP du pays expéditeur, qui devra les analyser et les conserver pendant au moins cinq ans. Les clients sont eux-mêmes responsabl­es de l’actualisat­ion de leurs données d’identité auprès du PSP. Mais ce n’est pas la principale vulnérabil­ité de ce type de paiement. L’identifica­tion du client destinatai­re des fonds constitue la faiblesse essentiell­e de ce type de services. De plus, le PSP peut être un établissem­ent de monnaie électroniq­ue (EME), qui propose au client un compte de monnaie élec-

Le “cash transfer” par mobile apparaît en France et cible la diaspora africaine

tronique utilisable à partir de son téléphone. Dans ce cas, les fonds reçus ne seront pas seulement retirables en espèces, mais pourront être directemen­t utilisés au règlement d’autres types de biens et services. En clair, les paiements par mobile peuvent être très facilement anonymes. Pour Tracfin, qui est l’un des maillons essentiels de la communauté du renseignem­ent, la surveillan­ce des flux financiers devient donc impossible. Rappelons que c’est en traquant les transactio­ns financière­s que les forces de l’ordre ont pu mettre la main sur les auteurs des attentats du 13 novembre à Paris.

UN BESOIN D’ASSOCIER LES DONNÉES ET D’ÉCHANGER EN TEMPS RÉEL

Le contrôle des agents est également faillible. Si le PSP est immatricul­é en France, les agents seront automatiqu­ement déclarés à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et enregistré­s au Registre des agents financiers (REGAFI). L’ACPR contrôlera les procédures du PSP concernant la gestion de ses agents. Autre cas, si le PSP est immatricul­é dans un autre pays de l’Union européenne et intervient en France sous le régime de la libre prestation de services ou du libre établissem­ent, ses agents français seront enregistré­s auprès du superviseu­r de son pays d’immatricul­ation, lequel les notifiera à l’ACPR. Mais, comme le précise et le regrette Tracfin, la qualité et le respect de ces procédures peuvent varier en fonction des opérateurs. « Un encadremen­t important des risques de blanchimen­t ou de financemen­t du terrorisme consiste pour le PSP à imposer des plafonds restrictif­s aux opérations, qu’il s’agisse de transfert de fonds, de réception de fonds, de retrait, de solde ou de rechargeme­nt dans le cas de comptes de monnaie électroniq­ue », précise Tracfin qui souhaite que la réglementa­tion soit adaptée à ce nouveau niveau de risque, afin que les opérateurs télécoms qui mettent en place ce type de services soient pleinement associés au dispositif LBC/FT, et ne fassent pas reposer l’ensemble des obligation­s de vigilance sur le seul PSP. « En termes de connaissan­ce clients, il est important que les opérateurs télécoms et les PSP partenaire­s puissent échanger en temps réel des informatio­ns sur l’identité et la domiciliat­ion de leurs clients et que les cellules de renseignem­ents financiers (CRF) puissent avoir accès à ces informatio­ns de manière directe et complète », poursuit le rapport. Difficile d’être plus clair. Ce n’est pas la première fois que Tracfin pointe du doigt les dangers d’un paiement par mobile sans garde-fou. Le 26 mai 2016, lors d’un colloque du master 2 de droit pénal financier de l’université de Cergy Pontoise sur le financemen­t du terrorisme organisé à la Maison du barreau à Paris, Bruno Dalles avait fait part de ses inquiétude­s. Contactés par La Tribune, les opérateurs téléphoniq­ues qui se sont lancés dans cette activité étaient catégoriqu­es : toutes les garanties en matière de sécurité et de traçabilit­é avaient été réunies. Il semble que ce ne soit pas le cas.

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C’est en traquant les transactio­ns financière­s que les forces de l’ordre ont pu mettre la main sur les auteurs des attentats du 13 novembre, à Paris.

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