POURQUOI LE MAL-LOGEMENT
S’ENRACINE EN FRANCE
Les gouvernements passent et la crise du logement demeure… Alors que le quinquennat de François Hollande arrive à son terme, il y a, au bas mot, 14,6 millions de personnes touchées par la crise du logement, constate le rapport 2017 de la Fondation Abbé-Pierre… C’est la première fois que la fondation dresse un bilan aussi exhaustif des victimes de la crise. Concrètement, au sein de ces 14,6 millions de personnes, la fondation compte en premier lieu les mal-logés et les non-logés, qui représentent quelque 4 millions d’individus. Près de 900000 d’entre eux sont privés de logement personnel : 143000 sont sans domicile, 25000 résident de manière permanente et contrainte dans une chambre d’hôtel, 85000 dans une habitation de fortune, et 643000 sont contraints d’habiter chez des tiers. En outre, on compte aujourd’hui en France 2 millions de personnes privées de confort dans leur logement, c’est-à-dire ne disposant ni de toilettes intérieures, ni de douche, ni d’eau courante, ni de moyen de chauffage… ou cumulant ces problèmes. En parallèle, le nombre de personnes vivant dans un logement en situation de « surpeuplement accentué » s’élève à près de 1 million. Et, pour la première fois, la Fondation Abbé-Pierre a comptabilisé dans son rapport les gens du voyage qui subissent des mauvaises conditions d’habitat, ce qui représente 206000 personnes en France, ainsi que 39 000 travailleurs migrants résidant dans des foyers et dont la demande d’asile n’a pas été traitée. Au total, et en ne comptant qu’une fois les ménages concernés par plusieurs des problèmes mentionnés ci-dessus, ce sont donc 3,96 millions de personnes qui subissent la crise du mal-logement. Mais ce n’est malheureusement pas tout. Au-delà de ces presque 4 millions de personnes en situation critique, il y a aussi 12 millions de personnes en France qui sont fragilisées dans leur rapport au logement. Les causes ? Les copropriétés en difficulté (1,1 million de personnes), les locataires en situation d’impayés (1,2 mil- lion), les personnes en situation de « surpeuplement modéré » (4,3 millions), les personnes modestes souffrant du froid dans leur logement pour des raisons de précarité énergétique (3,5 millions de personnes), et les personnes modestes en situation d’effort financier excessif (5,7 millions de personnes).
BILAN PEU ÉLOGIEUX DU QUINQUENNAT DE FRANÇOIS HOLLANDE
Au total, l’ensemble de ces ménages (mallogés et en situation de fragilité) représente 14,6 millions de personnes. La crise du logement s’enracine en France. C’est un constat accablant, conséquence des échecs des politiques publiques passées et existantes, mais aussi de l’incapacité du secteur privé (qui représente 80% du parc des résidences principales en France) à satisfaire les besoins en logement de la population. Dès lors, que faire ? À très court terme, sensibiliser les candidats à l’élection présidentielle de 2017. Surtout que le logement est jusqu’ici abordé dans beaucoup de programmes électoraux de manière très marginale. La Fondation Abbé-Pierre a donc demandé à rencontrer les candidats à l’élection – sauf Marine Le Pen – ce 31 janvier pour discuter du mal-logement, la veille de l’anniversaire des 63 ans de l’appel de l’abbé Pierre, le 1er février 1954. Reste à savoir si les candidats seront sensibles aux propositions de la fondation. Car les deux grands partis au pouvoir n’ont pu résorber le mal-logement depuis l’après guerre. La fondation a notamment dressé un bilan peu élogieux du quinquennat de François Hollande. Elle fustige le désengagement de l’État du financement direct du logement social et très social, du fait des restrictions budgétaires. « Les politiques de bas loyers ont été très affaiblies au fil de ce quinquennat », regrette Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Ce qui rend d’autant plus difficile la réinsertion par le logement de dizaines de milliers de personnes en hébergement d’urgence. Par ailleurs, priorité a été donnée, durant le quinquennat en cours, aux logements sociaux intermédiaires et aux logements intermédiaires. Ce qui n’a, dans l’absolu, rien de choquant, surtout dans les zones urbaines où leur production répond à une forte demande. Ce que déplore en revanche la Fondation Abbé-Pierre, c’est l’arbitrage budgétaire au profit de ce type d’habitation, et ce au détriment des logements très sociaux, pourtant les plus à même de répondre à la situation actuelle du mal-logement.
LA LOI PINEL, UN FREIN À LA MOBILITÉ SOCIALE DANS LE PARC LOCATIF
Plus globalement, Christophe Robert regrette le revirement de François Hollande après la nomination de Manuel Valls en tant que Premier ministre. Par exemple, il déplore l’évolution du dispositif Duflot en dispositif Pinel, qui donne la possibilité notamment aux investisseurs particuliers de louer à leurs descendants. Un dispositif d’investissement locatif qui exclut un peu plus la mobilité sociale dans le parc locatif privé. Pourtant, l’instauration de la loi Pinel a, sans conteste, fait revenir les investisseurs particuliers sur le marché du logement neuf. Dont acte. « Mais avec le dispositif Pinel, les fonds des investisseurs particuliers sont moins redirigés vers les ménages qui en
ont le plus besoin, comme c’était davantage le cas avec le Duflot », précise Christophe Robert. Enfin, la Fondation Abbé-Pierre regrette que, sous Manuel Valls, l’encadrement des loyers ait été limité à Paris intramuros, et demande son extension à 28 agglomérations françaises. Le quinquennat Hollande n’aura toutefois pas été si négatif que cela. Sur les ques- tions du financement du logement social (TVA à taux réduit, exonération de taxe foncière, augmentation du plafond du livret A), de la rénovation énergétique (loi pour la transition énergétique), de la part de logements sociaux obligatoires par commune (loi SRU 2), ou même de l’encadrement des loyers à la relocation (décret du 31 août 2012), la Fondation Abbé-Pierre dresse un bilan très satisfaisant. Néanmoins, il faudrait aller plus loin. La fondation livre donc une batterie de propositions aux candidats. Leur but premier : ériger le logement pour tous en priorité absolue, et sans attendre. De façon à sortir de la logique actuelle qui veut donner le temps au marché d’attribuer seul et « naturellement » des logements décents à prix abordables à ceux qui en ont le plus besoin. Désormais, les mal-logés n’ont plus le temps d’attendre. Pour ce faire, une nouvelle politique d’attribution des logements sociaux prioritairement aux mal-logés est nécessaire, selon la Fondation Abbé-Pierre, qui constate que, au-delà des 143000 personnes sans domicile, 160000 personnes « Dalo », c’est-à-dire prioritaires pour l’accès à un logement, restent dans l’attente. Surtout, la fondation demande que l’État se réengage directement dans sa politique d’aide à la pierre, que ce soit par le biais des bailleurs sociaux ou privés. Cela coûtera cher, certes. Mais, comme le note Christophe Robert : « C’est une question de priorité! »
L’État doit se réengager dans sa politique d’aide à la pierre