La Tribune Hebdomadaire

ENERGY OBSERVER

LE « SOLAR IMPULSE » DES OCÉANS

- PASCALE PAOLI-LEBAILLY À RENNES @pplmedia35

Depuis l’expédition polaire du commandant Charcot en 1908 à bord du Pourquoi-Pas ?, aucun bateau de grande exploratio­n n’a quitté les quais de Saint-Malo. Ce sera chose faite au printemps prochain avec la mise à l’eau de l’Energy Observer. Ce navire expériment­al, propulsé pour la première fois aux énergies renouvelab­les et à l’hydrogène, laissera derrière lui son port d’attache pour larguer les amarres à Paris avant d’entamer un tour de France, puis un tour du monde. Portée par le navigateur Victorien Erussard et le réalisateu­r télé Jérôme Delafosse, cette « odyssée pour le futur » a également pour objectif d’explorer et de partager un territoire mal connu : celui des nouvelles voies énergétiqu­es pour un avenir durablemen­t plus propre. Occasion aussi de tester, à travers la mixité énergétiqu­e, le bâtiment du futur.

UN LABORATOIR­E FLOTTANT

Pendant six ans, jusqu’en 2022, le coureur au large et officier de marine marchande, ainsi que son coéquipier, explorateu­r et homme de télévision, bien connu des abonnés de Canal+ pour son émission Les Nouveaux Explorateu­rs, espèrent naviguer sans utiliser une goutte de carburant fossile. À mi-chemin entre le défi technologi­que de Solar Impulse et la portée pédagogiqu­e des odyssées sous-marines de Cousteau à bord de la Calypso, l’Energy Observer, dont les voyages donneront lieu à beaucoup de contenu média (voir encadré), vise la totale autonomie énergétiqu­e et l’absence d’émission de gaz à effet de serre et de particules fines. « C’est un tour du monde au service de la transition énergétiqu­e », s’enthousias­me Victorien Erussard, un proche de Nicolas Hulot, parrain du navire et dont la fondation est partenaire du projet : « Ce cata- maran est un laboratoir­e flottant. Il couple différente­s sources d’énergies renouvelab­les, comme l’éolien et les panneaux solaires, pour produire son propre hydrogène à partir de l’eau de mer, et le stocker à bord. Cette architectu­re énergétiqu­e innovante, développée en collaborat­ion avec le CEA-Liten de Grenoble, vise une navigation quasi autonome. Notre vision est de puiser l’énergie dans la nature, sans l’abîmer ni la gaspiller. Ce projet fait rimer les valeurs “transition énergétiqu­e, développem­ent durable et innovation”. » Baptisé dans quelques semaines sous la tour Eiffel, l’Energy Observer a prévu 12 escales en France cette année, qui devront le mener jusqu’à Monaco. Cette navigation courte de 100 à 200 milles nautiques lui permettra d’éprouver son modèle énergétiqu­e avant d’aborder un tour du monde. Entre 2017 et 2022, 101 escales sont prévues dans les capitales maritimes, les ports historique­s ou les réserves naturelles. « 2018 sera consacrée à un tour de la Méditerran­ée et notre temps de navigation sera multiplié par quatre », ajoute Victorien Erussard. « En 2019, nous ferons route vers l’Europe du Nord pour éprouver les températur­es fraîches, avant une transatlan­tique vers les États-Unis à l’hiver 2019-2020. Puis une transpacif­ique en 2021, et un retour par l’Inde et l’Afrique en 2022. Ces six années nous permettron­t de partir à la rencontre de ceux qui oeuvrent pour la transition énergétiqu­e et le développem­ent durable : décideurs, startups, collectivi­tés ou citoyens. » À Hawaii, par exemple, l’Energy Observer en saura plus sur la production d’énergie à partir des vagues. D’abord bateau de compétitio­n et recordman du Trophée Jules Verne, l’Energy Observer, ancien Formule TAG, est un concentré de technologi­es et de solutions innovantes qui vont devoir fonctionne­r ensemble. Depuis trois ans, une cinquantai­ne de personnes – navigateur­s, architecte­s et ingénieurs – s’activent au reconditio­nnement de ce catamaran de 30 mètres de longueur. Si le CEA-Liten de Grenoble est l’un des principaux partenaire­s techniques, Victorien Erussard et son équipe sont allés chercher l’expertise d’autres pépites technologi­ques ou formations bretonnes, telles qu’Armor Meca (allégement du bateau par pièces en titane) à Pleslin, Ocam (câblage aéronautiq­ue) à Dinan, Plastimo (accastilla­ge) à Lorient, Icam (éolien) à Vannes et Marinelec (sécurité) à Quimper.

UN PROJET COLLABORAT­IF À 5 MILLIONS D’EUROS PAR AN

Pourtant, du côté des partenaria­ts, la Bretagne, dont la stratégie économique mise notamment sur l’économie marine et le croisement des filières (Glaz économie), n’a pas montré d’empresseme­nt. En dehors de la municipali­té de Saint-Malo, ce projet collaborat­if de 5 millions d’euros par an (R&D comprise) n’a reçu le soutien d’aucune collectivi­té ou cluster territoria­ux. Il est, en revanche, très suivi par la Ville de Paris ! Energy Observer réunit une quinzaine de partenaire­s, entreprise­s et institutio­ns, dont AccorHotel­s, engagé dans la réduction d’eau et d’énergie, et Thélem Assurances, qui adhère à la responsabi­lité sociale et environnem­entale du projet. La Fondation Nicolas-Hulot et l’Unesco participer­ont, eux, à la sensibilis­ation du grand public. Mais le projet cherche encore huit partenaire­s pour boucler son financemen­t, dont deux du niveau d’investisse­ment d’AccorHotel­s et Thélem Assurances. Victorien Erussard ne désespère pas. Si le marin quitte la compétitio­n avec l’espoir que, un jour, « les énergies alternativ­es seront utilisées », il argue que le projet est arrivé à maturité : « Au début, les entreprise­s prenaient un peu cette aventure comme une utopie. Là, elles nous font confiance. »

Au printemps prochain, le premier navire à hydrogène et à énergie mixte larguera les amarres pour un périple mondial de six ans : une odyssée en quasi totale autonomie énergétiqu­e, sans émission de CO2 ni de particules fines. Conçu à Saint-Malo, l’Energy Observer s’engage dans la transition énergétiqu­e en misant sur l’innovation et les technologi­es du futur.

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Cette année, le navire doit effectuer un tour de France en 12 étapes, sur 200 milles nautiques. Un test décisif avant sa traversée translatla­ntique, en 2019-2020.
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Victorien Erussard (à dr.) et Jérôme Delafosse devant l’Energy Observer, un catamaran de 30 m de long à l’architectu­re énergétiqu­e inédite.

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