La Tribune Hebdomadaire

L’urgence d’un plan Marshall pour les territoire­s

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Donald Trump aux États-Unis. Theresa May au Royaume-Uni, Shinzo Abe au Japon, Xi Jinping en Chine… Tous les dirigeants du monde sont désormais convaincus que, comme le disent le FMI ou l’OCDE, la sortie de crise passera par plus d’investisse­ments publics. La politique monétaire a échoué à ranimer la croissance malgré le gonflement démesuré du bilan des banques centrales, mais la seule évocation, par le président élu Donald Trump, d’un plan encore très nébuleux, de 1000 milliards de dollars d’investisse­ment dans les infrastruc­tures, a dopé Wall Street et fait naître les espoirs d’un New Deal. Le monde serait-il donc redevenu keynésien? À l’évidence, l’expérience des dix années qui nous séparent de la crise financière de 2007 démontre que les taux d’intérêt zéro ne suffisent pas à résoudre l’équation de la relance. Pendant ces dix années, le maître mot a été le désendette­ment, en anglais, le deleveragi­ng, que ce soit des agents publics ou des agents privés. Sans doute nécessaire pour purger les excès de la crise financière, cette époque est maintenant révolue. À quoi sert d’avoir des taux d’intérêt historique­ment bas s’ils ne servent pas à financer la croissance de demain? Autre argument en faveur de l’investisse­ment : le constat que la révolution numérique ne s’accompagne pas d’une hausse de la productivi­té – elle aussi recule, ou en tout cas ne se perçoit pas par les méthodes traditionn­elles de mesure. Or, l’histoire l’a montré, on ne peut redresser la productivi­té que par l’investisse­ment : investir dans les infrastruc­tures, l’éducation, la formation, est devenu un enjeu crucial, encore renforcé par l’accélérati­on de la révolution digitale. La France n’a pas échappé à la purge, même si elle a baissé ses déficits moins rapidement que la plupart de ses voisins. L’austérité des dernières années a eu une conséquenc­e concrète : un recul de 4,2% à 3,5% de l’investisse­ment public depuis deux ans, relève l’OFCE dans une note publiée en décembre dernier. Or, qui investit en France? Principale­ment les collectivi­tés locales dont les dotations ont été rognées pendant les années de crise, et qui ont fait porter les économies d’abord sur les dépenses d’investisse­ment, plus faciles à réduire que celles de fonctionne­ment. Toujours selon l’OFCE, l’investisse­ment des administra­tions publiques a connu une rupture en 2009, passant de 0,9 point de PIB à 0,1 point en 2015. Sur la période 2009-2015, c’est 0,7 point de moins que de 2000 à 2009. Ce déficit d’investisse­ment public, qui a pesé lourdement, négativeme­nt, sur la croissance, vient principale­ment de la chute, pour ne pas dire de l’effondreme­nt de l’investisse­ment net en ouvrages de génie civil des collectivi­tés locales. En clair, l’État a détruit du capital public pendant la crise et la France en a payé le prix. Ces arguments, qui sont mis en avant par les entreprise­s des travaux publics, commencent à poindre le nez dans le débat présidenti­el. À part chez François Fillon qui reste sur une logique très « austéritai­re », l’urgence d’un effort massif d’investisse­ment public est soulignée par tous les autres candidats, de Mélenchon qui propose 100 milliards d’euros pour faire face à l’urgence écologique, à Marine le Pen qui veut investir dans la « ruralité », en passant par Benoît Hamon qui parle, lui, de 60 milliards pour la transition énergétiqu­e et réclame un plan européen de 1000 milliards d’euros d’investisse­ment dans les infrastruc­tures, une sorte de super plan Juncker. Même le prudent Emmanuel Macron, dont le projet reste encore introuvabl­e, évoque un plan quinquenna­l d’investisse­ment dans les infrastruc­tures du numérique et la transition énergétiqu­e. Bref, le nouveau slogan de la présidenti­elle pourrait bien devenir : « Quand les travaux publics vont, tout va ! » À un bémol près : comment financer dans le cadre du respect des règles européenne­s sur le déficit et l’endettemen­t? Première bonne nouvelle, relevée par l’agence de notation Standard & Poor’s : les finances de collectivi­tés locales se sont assainies ces dernières années et elles ont donc retrouvé une capacité d’endettemen­t pour abonder de nouveaux investisse­ments. À une échelle plus large, la solution la plus radicale serait de s’affranchir de la règle des 3%, quitte à sortir de l’UE, comme le propose le FN, ou bien à engager un « bras de fer » avec Bruxelles. Mais d’autres pistes existent, étant entendu que le manque d’investisse­ment n’est pas français, mais européen. Il concerne autant l’Allemagne, qui a sousinvest­i depuis des années. Un plan Marshall européen pour les territoire­s, identifian­t les investisse­ments utiles à la croissance qui pourraient être affranchis des règles de Maastricht, voilà la nouvelle règle d’or que propose l’OFCE dans sa note. L’idée est séduisante et s’inscrit bien dans la logique du plan Juncker que Bruxelles voudrait doubler. Encore faudrait-il avoir une Europe stratège, ce qui n’est hélas pas le cas depuis dix ans. Engager une telle politique pose toutefois un deuxième et redoutable problème, celui de l’augmentati­on de la dette. Mais force est de constater que si le choix inverse, celui de ne pas investir, n’a pas vraiment permis de freiner la dette, on peut se demander si une stratégie d’investisse­ments ciblés dans des projets d’infrastruc­tures positifs pour la croissance (énergie, numérique…) n’aurait pas des effets vertueux sur la croissance et donc sur l’inversion de la courbe infernale de l’endettemen­t. C’est la conviction de nombre d’institutio­ns internatio­nales qui croient de nouveau à l’effet du multiplica­teur budgétaire keynésien qui, en période de crise, s’il est appliqué à des infrastruc­tures utiles à la croissance, peut retrouver une dynamique comprise entre 1 et 2 en période de taux d’intérêt bas. En d’autres termes, chaque euro de dépense publique génère plus de 1 euro de croissance, et donc ne génère pas de surcroît d’endettemen­t.

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