CINQ DÉFIS À RELEVER POUR ASSURER UNE CROISSANCE D’AVENIR
Le patron de Thales, Patrice Caine, a lancé son groupe sur la voie d’une croissance intensive. Il devra jouer les équilibristes entre la rentabilité et la préparation de l’avenir, tout en transformant son groupe en un acteur majeur du numérique.
Pour Thales, 2017 sera l’année des confirmations… ou pas. Son PDG, Patrice Caine, qui a porté son groupe vers des sommets historiques en 2016 – en termes de résultats et de rentabilité – va-t-il pouvoir piloter Thales à ce rythme de croissance dans la durée? C’est bien là l’une des interrogations majeures du PDG du groupe électronique, qui impose déjà fortement sa marque, ainsi que sa vision de ce que sera Thales dans dix ans. À savoir un grand acteur du monde du numérique. Pour gagner son pari, le groupe de Patrice Caine, qui a su gagner la confiance de Charles Edelstenne, l’homme fort du groupe Dassault, doit surmonter cinq défis stratégiques, certains de court terme et d’autres de long terme.
1ITRADUIRE LES CONTRATS EN CHIFFRES D’AFFAIRES
Depuis deux ans, Thales fait le plein de commandes dans le monde entier. Les trois contrats Rafale (Égypte, Qatar et Inde) y sont pour beaucoup mais le groupe d’électronique engrange des commandes importantes dans toutes ses activités, au point que son carnet surfe sur des sommets. Au 30 juin 2016, il atteignait 30,3 milliards d’euros, soit près de 2,1 années de chiffre d’affaires. Bref, Thales a de quoi voir venir. C’est donc aujourd’hui l’heure pour le groupe de traduire tous ses contrats en chiffre d’affaires. Très clairement, Thales doit réaliser ce sur quoi il s’est engagé à l’automne dernier auprès de ses actionnaires et du marché. Très prudent et conservateur jusqu’ici, Patrice Caine a en effet révisé à la hausse ses prévisions de croissance sur les deux prochaines années. Il a promis de croître de 5% par an en 2017 et 2018. C’est à la portée du groupe à la condition de bien exécuter les programmes, en livrant à l’heure et à la qualité promise.
2ICREVER LE PLAFOND DES 9 % D’EBIT
Au printemps 2014, Jean-Bernard Lévy, alors patron de Thales, et son numéro deux, Patrice Caine, s’étaient engagés à l’horizon 2018 sur des niveaux de rentabilité jamais atteints par le groupe d’électronique. C’était osé, très osé quand on sait que le groupe a toujours plafonné entre 7% et 8% de résultat Ebit. En outre, Thales était redescendu bien en dessous de ces standards à la fin des années 2000, après le nettoyage des comptes endossé par Luc Vigneron (5,7% en 2011). Mais à partir de 2012, la marge du groupe a régulièrement progressé, passant de 6,5% en 2012 à 8,6% en 2015. Avec un léger accroc en 2014, dû aux pertes de DCNS qui ont pénalisé l’Ebit de Thales, actionnaire à 35% du groupe naval (7,6% contre 8% en 2013). Hors pertes de DCNS, l’EBIT de l’électronicien aurait dû s’élever à 8,6%. En 2016, Thales devrait pour la première fois de son histoire crever le plafond des 9% d’EBIT (9,1%). Le groupe a pourtant affiché pour le premier semestre 2016 un Ebit de 551 millions d’euros (8,1% du chiffre d’affaires). « Arriver à ce niveau de performances pour un groupe comme Thales, qui ne l’a jamais réalisé, est un sacré défi », explique-t-on à La Tribune. D’autant que le groupe n’a pas non plus négligé son avenir en maintenant son effort en recherche et développement (R&D) à 20% du chiffre d’affaires. En outre, Thales a également dû faire face à ses obligations de compensations industrielles ( offsets) dans le cadre des commandes gagnées en investissant dans des projets à l’étranger.
3ISTRATOBUS ET AUTRES INNOVATIONS DE RUPTURE
Trois milliards d’euros environ pour la R&D et la R&T (recherche et technologie), c’est ce que Thales consacre à la préparation de l’avenir, souligne-t-on au sein du groupe. Des moyens à la hauteur des ambitions du groupe semble-t-il. À condition toutefois d’accélérer les phases de développement dans un monde qui va plus vite et, surtout, de sortir le bon produit au bon moment. Ainsi, le groupe vise plus particulièrement des innovations de rupture pour réussir des percées spectaculaires dans la technologie et conforter la croissance future du groupe. Il doit également garder un ancrage fort dans la défense. Car les militaires sont aujourd’hui les seuls à prendre encore les risques technologiques pour disposer à
terme d’un avantage opérationnel déterminant. Le programme spatial Stratobus est l’exemple même d’innovations de rupture que souhaite Thales. Ce dirigeable stratosphérique stationnaire développé par Thales Alenia Space, est le « futur couteau suisse du spatial » en étant réutilisable, reconfigurable (missions télécoms et optiques, ou de surveillance des frontières) et, enfin, réparable. Stratobus est un dirigeable d’observation d’une zone de 200 km. Un premier prototype devrait être mis au point en 2018 et, à l’horizon de 2020, le programme devrait être opérationnel. C’est le cas aussi des drones sousmarins développés par Thales. Le groupe travaille également d’arrache-pied sur la distribution du wi-fi à très haut débit à bord des avions commerciaux, un programme développé en partenariat avec l’opérateur de satellites luxembourgeois SES. Avec cette offre, les prix du wi-fi à bord des avions seront semble-t-il très compétitifs. C’est pour cela que cette innovation de rupture est considérée comme prioritaire par Thales.
4IRÉUSSIR SA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE
La révolution numérique est l’une des chances de croissance phénoménale de Thales. Patrice Caine, qui l’a bien compris, ne veut rater sous aucun prétexte le train du numérique. Charles Edelstenne, qui a lancé la success-story Dassault Systèmes, ne semble pas s’y opposer. C’est d’ailleurs le grand dessein du patron de Thales, sa pièce maîtresse en matière de stratégie de développement du groupe à l’avenir. Thales fera-t-il partie des groupes qui mettront à la retraite les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)? Thales dispose en tout cas de nombreux arguments pour réussir. Ce qui ne veut pas dire qu’il y parviendra. Mais le groupe est, et restera, avant tout un producteur de logiciels, aussi bien dans les domaines de la défense et de l’aéronautique civile que du transport terrestre. Ainsi, 80 % de la valeur ajoutée des programmes vendus à ses clients sont des logiciels, dont 20 % de matériels durcis via des systèmes de cybersécurité. De plus, 22 000 personnes environ sur les 62 000 salariés de Thales travaillent dans la R&D (3 000 dans la R&T). Sur ces 22 000, 17 000 sont des ingénieurs travaillant sur des systèmes de logiciels. Si Patrice Caine arrive à libérer les énergies créatives des jeunes ingénieurs, il gagnera son pari. Pour réussir la rupture vers un monde numérique, le groupe doit donc développer et conserver son expertise digitale dans au moins quatre technologies fondamentales. Ainsi, la maîtrise des technologies liées à la connectivité, qui ont été développées pour les militaires avec la numérisation du champ de bataille, est l’une des conditions de réussite. Notamment en vue de mieux maîtriser l’Internet des objets (IoT), qui peut faire peur aux industriels soucieux de la cybermenace. C’est le cas également des mégadonnées où Thales a une carte à jouer en développant des algorithmes. Le groupe doit par ailleurs s’aventurer dans le monde encore inconnu de l’intelligence artificielle. Enfin, la cybersécurité reste l’un des atouts compétitifs de Thales, qui propose à tous ses clients, en accompagnement de ses programmes, une protection contre la cybermenace. C’est d’ailleurs pour cela que le géant de l’énergie Engie travaille avec Thales.
5IRECRUTER DES JEUNES TALENTS
Enfin, comme pour beaucoup d’entreprises françaises et européennes, l’un des défis de Thales pour devenir un acteur majeur du numérique, est de recruter de jeunes et brillants talents. Ce qui est loin d’être facile face aux Google, Facebook, Apple et consorts, qui séduisent des milliers de jeunes ingénieurs du monde entier grâce à leur marque très emblématique. C’est une vraie guerre au niveau mondial que se livrent les groupes pour attirer les jeunes ingénieurs les plus talentueux. Thales, comme beaucoup d’autres groupes qui le font, ne devrait-il pas s’intéresser plus aux startups de la French Tech, qui étonnent jusqu’aux Américains ?