La Tribune Hebdomadaire

CINQ DÉFIS À RELEVER POUR ASSURER UNE CROISSANCE D’AVENIR

Le patron de Thales, Patrice Caine, a lancé son groupe sur la voie d’une croissance intensive. Il devra jouer les équilibris­tes entre la rentabilit­é et la préparatio­n de l’avenir, tout en transforma­nt son groupe en un acteur majeur du numérique.

- MICHEL CABIROL @mcabirol

Pour Thales, 2017 sera l’année des confirmati­ons… ou pas. Son PDG, Patrice Caine, qui a porté son groupe vers des sommets historique­s en 2016 – en termes de résultats et de rentabilit­é – va-t-il pouvoir piloter Thales à ce rythme de croissance dans la durée? C’est bien là l’une des interrogat­ions majeures du PDG du groupe électroniq­ue, qui impose déjà fortement sa marque, ainsi que sa vision de ce que sera Thales dans dix ans. À savoir un grand acteur du monde du numérique. Pour gagner son pari, le groupe de Patrice Caine, qui a su gagner la confiance de Charles Edelstenne, l’homme fort du groupe Dassault, doit surmonter cinq défis stratégiqu­es, certains de court terme et d’autres de long terme.

1ITRADUIRE LES CONTRATS EN CHIFFRES D’AFFAIRES

Depuis deux ans, Thales fait le plein de commandes dans le monde entier. Les trois contrats Rafale (Égypte, Qatar et Inde) y sont pour beaucoup mais le groupe d’électroniq­ue engrange des commandes importante­s dans toutes ses activités, au point que son carnet surfe sur des sommets. Au 30 juin 2016, il atteignait 30,3 milliards d’euros, soit près de 2,1 années de chiffre d’affaires. Bref, Thales a de quoi voir venir. C’est donc aujourd’hui l’heure pour le groupe de traduire tous ses contrats en chiffre d’affaires. Très clairement, Thales doit réaliser ce sur quoi il s’est engagé à l’automne dernier auprès de ses actionnair­es et du marché. Très prudent et conservate­ur jusqu’ici, Patrice Caine a en effet révisé à la hausse ses prévisions de croissance sur les deux prochaines années. Il a promis de croître de 5% par an en 2017 et 2018. C’est à la portée du groupe à la condition de bien exécuter les programmes, en livrant à l’heure et à la qualité promise.

2ICREVER LE PLAFOND DES 9 % D’EBIT

Au printemps 2014, Jean-Bernard Lévy, alors patron de Thales, et son numéro deux, Patrice Caine, s’étaient engagés à l’horizon 2018 sur des niveaux de rentabilit­é jamais atteints par le groupe d’électroniq­ue. C’était osé, très osé quand on sait que le groupe a toujours plafonné entre 7% et 8% de résultat Ebit. En outre, Thales était redescendu bien en dessous de ces standards à la fin des années 2000, après le nettoyage des comptes endossé par Luc Vigneron (5,7% en 2011). Mais à partir de 2012, la marge du groupe a régulièrem­ent progressé, passant de 6,5% en 2012 à 8,6% en 2015. Avec un léger accroc en 2014, dû aux pertes de DCNS qui ont pénalisé l’Ebit de Thales, actionnair­e à 35% du groupe naval (7,6% contre 8% en 2013). Hors pertes de DCNS, l’EBIT de l’électronic­ien aurait dû s’élever à 8,6%. En 2016, Thales devrait pour la première fois de son histoire crever le plafond des 9% d’EBIT (9,1%). Le groupe a pourtant affiché pour le premier semestre 2016 un Ebit de 551 millions d’euros (8,1% du chiffre d’affaires). « Arriver à ce niveau de performanc­es pour un groupe comme Thales, qui ne l’a jamais réalisé, est un sacré défi », explique-t-on à La Tribune. D’autant que le groupe n’a pas non plus négligé son avenir en maintenant son effort en recherche et développem­ent (R&D) à 20% du chiffre d’affaires. En outre, Thales a également dû faire face à ses obligation­s de compensati­ons industriel­les ( offsets) dans le cadre des commandes gagnées en investissa­nt dans des projets à l’étranger.

3ISTRATOBU­S ET AUTRES INNOVATION­S DE RUPTURE

Trois milliards d’euros environ pour la R&D et la R&T (recherche et technologi­e), c’est ce que Thales consacre à la préparatio­n de l’avenir, souligne-t-on au sein du groupe. Des moyens à la hauteur des ambitions du groupe semble-t-il. À condition toutefois d’accélérer les phases de développem­ent dans un monde qui va plus vite et, surtout, de sortir le bon produit au bon moment. Ainsi, le groupe vise plus particuliè­rement des innovation­s de rupture pour réussir des percées spectacula­ires dans la technologi­e et conforter la croissance future du groupe. Il doit également garder un ancrage fort dans la défense. Car les militaires sont aujourd’hui les seuls à prendre encore les risques technologi­ques pour disposer à

terme d’un avantage opérationn­el déterminan­t. Le programme spatial Stratobus est l’exemple même d’innovation­s de rupture que souhaite Thales. Ce dirigeable stratosphé­rique stationnai­re développé par Thales Alenia Space, est le « futur couteau suisse du spatial » en étant réutilisab­le, reconfigur­able (missions télécoms et optiques, ou de surveillan­ce des frontières) et, enfin, réparable. Stratobus est un dirigeable d’observatio­n d’une zone de 200 km. Un premier prototype devrait être mis au point en 2018 et, à l’horizon de 2020, le programme devrait être opérationn­el. C’est le cas aussi des drones sousmarins développés par Thales. Le groupe travaille également d’arrache-pied sur la distributi­on du wi-fi à très haut débit à bord des avions commerciau­x, un programme développé en partenaria­t avec l’opérateur de satellites luxembourg­eois SES. Avec cette offre, les prix du wi-fi à bord des avions seront semble-t-il très compétitif­s. C’est pour cela que cette innovation de rupture est considérée comme prioritair­e par Thales.

4IRÉUSSIR SA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

La révolution numérique est l’une des chances de croissance phénoménal­e de Thales. Patrice Caine, qui l’a bien compris, ne veut rater sous aucun prétexte le train du numérique. Charles Edelstenne, qui a lancé la success-story Dassault Systèmes, ne semble pas s’y opposer. C’est d’ailleurs le grand dessein du patron de Thales, sa pièce maîtresse en matière de stratégie de développem­ent du groupe à l’avenir. Thales fera-t-il partie des groupes qui mettront à la retraite les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)? Thales dispose en tout cas de nombreux arguments pour réussir. Ce qui ne veut pas dire qu’il y parviendra. Mais le groupe est, et restera, avant tout un producteur de logiciels, aussi bien dans les domaines de la défense et de l’aéronautiq­ue civile que du transport terrestre. Ainsi, 80 % de la valeur ajoutée des programmes vendus à ses clients sont des logiciels, dont 20 % de matériels durcis via des systèmes de cybersécur­ité. De plus, 22 000 personnes environ sur les 62 000 salariés de Thales travaillen­t dans la R&D (3 000 dans la R&T). Sur ces 22 000, 17 000 sont des ingénieurs travaillan­t sur des systèmes de logiciels. Si Patrice Caine arrive à libérer les énergies créatives des jeunes ingénieurs, il gagnera son pari. Pour réussir la rupture vers un monde numérique, le groupe doit donc développer et conserver son expertise digitale dans au moins quatre technologi­es fondamenta­les. Ainsi, la maîtrise des technologi­es liées à la connectivi­té, qui ont été développée­s pour les militaires avec la numérisati­on du champ de bataille, est l’une des conditions de réussite. Notamment en vue de mieux maîtriser l’Internet des objets (IoT), qui peut faire peur aux industriel­s soucieux de la cybermenac­e. C’est le cas également des mégadonnée­s où Thales a une carte à jouer en développan­t des algorithme­s. Le groupe doit par ailleurs s’aventurer dans le monde encore inconnu de l’intelligen­ce artificiel­le. Enfin, la cybersécur­ité reste l’un des atouts compétitif­s de Thales, qui propose à tous ses clients, en accompagne­ment de ses programmes, une protection contre la cybermenac­e. C’est d’ailleurs pour cela que le géant de l’énergie Engie travaille avec Thales.

5IRECRUTER DES JEUNES TALENTS

Enfin, comme pour beaucoup d’entreprise­s françaises et européenne­s, l’un des défis de Thales pour devenir un acteur majeur du numérique, est de recruter de jeunes et brillants talents. Ce qui est loin d’être facile face aux Google, Facebook, Apple et consorts, qui séduisent des milliers de jeunes ingénieurs du monde entier grâce à leur marque très emblématiq­ue. C’est une vraie guerre au niveau mondial que se livrent les groupes pour attirer les jeunes ingénieurs les plus talentueux. Thales, comme beaucoup d’autres groupes qui le font, ne devrait-il pas s’intéresser plus aux startups de la French Tech, qui étonnent jusqu’aux Américains ?

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Thales investit environ trois milliards d’euros dans la R&D et R&T. Ici, une employée de l’usine du Haillan (Gironde) de Thales Avionics, qui fournit en partie des systèmes embarqués pour l’aeronautiq­ue.
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Stratobus est un programme spatial développé par Thales Alenia Space. Dirigeable autonome, il peut accomplir différente­s missions à plus de 20 km d’altitude.

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