La Tribune Hebdomadaire

LES CLÉS DE LA RELANCE DE LA CROISSANCE

- ROMARIC GODIN @RomaricGod­in

Les attentes de relance budgétaire de Donald Trump ont enflammé les marchés depuis novembre. Dans les faits, ces projets keynésiens, s’ils reviennent à la mode, restent très limités. Les dirigeants préfèrent agir par la baisse des impôts, plutôt que par les grands projets d’infrastruc­tures. Un choix qui n’est pas forcément le meilleur pour ranimer la croissance.

Keynes est-il de retour ? Dans le contexte d’une économie mondiale qui peine à retrouver la croissance d’avant-crise et un commerce internatio­nal qui demeure désespérém­ent atone, l’espoir réside principale­ment dans une action des pouvoirs publics pour relancer la machine économique et tenter d’éviter les scénarios catastroph­e que d’aucuns prédisent : celui de la « grande stagnation » (Robert Gordon) ou celui d’une nouvelle crise financière majeure. Cette attente d’un « stimulus budgétaire », ou d’un plan de relance, a été parfaiteme­nt illustrée au lendemain de l’élection présidenti­elle américaine. Immédiatem­ent après la victoire de Donald Trump, les marchés ont bondi sur les anticipati­ons de relance promises par le président élu, alors que certains prédisaien­t que les investisse­urs allaient se montrer prudents en raison des incertitud­es nées de ce changement d’hôte à la Maison Blanche. Depuis cette date, l’indice Dow Jones 30 des principale­s valeurs industriel­les américaine­s a bondi de plus de 15 %, franchissa­nt le niveau record des 20000 points depuis le 3 février dernier. L’attente est donc forte aux ÉtatsUnis, mais aussi ailleurs puisque les grandes places boursières mondiales ont suivi l’enthousias­me des places outre-Atlantique. Il est vrai que les chiffres de la croissance mondiale ont de quoi décevoir. Selon les dernières perspectiv­es du FMI, la croissance mondiale en 2017 devrait se situer à 3,4% après 3,1% en 2016, mais ces chiffres restent largement en deçà des niveaux d’avant 2008. Les États-Unis eux-mêmes connaissen­t une croissance assez peu dynamique (1,9 % au dernier trimestre 2017, 2,2% prévus par le FMI en 2017). La Chine voit sa croissance ralentir en dépit de l’immense effort budgétaire de l’État. Les pays émergents vont mieux, mais la croissance demeure sans entrain et l’Inde, par exemple, doit abandonner ses précédents objectifs de croissance. Le Japon reste sur une tendance faible et la zone euro demeure désespérém­ent sous les 2 % annuels de croissance – en 2016, sa principale économie, l’Allemagne, a connu une croissance de 1,9 % en dépit du pleinemplo­i, du soutien de l’accueil des réfugiés et d’un record des exportatio­ns. La situation est d’autant plus inquiétant­e que, à l’exception des États-Unis, le soutien monétaire à l’activité est immense. Après le vote sur le Brexit le 23 juin dernier, la Banque d’Angleterre a baissé ses taux et engagé de nouveaux rachats d’actifs. Au Japon, la Banque du Japon n’a pas relâché son effort de rachats de titres et s’est enga- gée à maintenir à zéro les taux d’intérêt à dix ans de l’État nippon. Quant à la BCE, elle a jeté toutes ses forces dans la bataille, maintenant au moins jusqu’à la fin de l’année 2017 des rachats mensuels de 60 milliards d’euros. Certes, le rythme des rachats se réduit à partir d’avril, mais ce seront néanmoins encore pas moins de 480 milliards d’euros qui seront jetés sur les marchés entre avril et décembre. Depuis le début du programme, la BCE a déjà acheté pour 1 600 milliards d’euros d’actifs. Le soutien monétaire est donc considérab­le et constant, mais il est assez inefficace lorsque, face aux moyens mis en oeuvre, l’on considère les résultats en termes de croissance et d’investisse­ment. Résultat, le risque d’alimenter des bulles financière­s n’est pas négligeabl­e.

L’ÉCHEC DU SOUTIEN MONÉTAIRE

Ce qui manque clairement à la croissance mondiale, c’est bien un nouveau souffle qui passe par des investisse­ments productifs et innovants. Le soutien monétaire a clairement échoué à alimenter ce secteur et, en conséquenc­e, la productivi­té demeure sans entrain et la croissance potentiell­e faible. Les innovation­s liées à l’Internet ou à ce

que l’on nomme « l’ubérisatio­n » se révèlent actuelleme­nt incapables de conduire à ce type de « cercle vertueux » et, comme les réformes « structurel­les » là où elles ont eu lieu, renforcent plutôt le ralentisse­ment de la croissance de la productivi­té. Parallèlem­ent, les chefs d’entreprise semblent pris dans une série d’injonction­s contradict­oires qui les incitent d’abord à la prudence, avant de se lancer dans des investisse­ments risqués. L’absence de dynamique, la faiblesse persistant­e de l’inflation sous-jacente, la hausse des prix des matières premières et les envolées des marchés alimentés par l’argent des banques centrales sont autant de raisons de ne pas investir, mais de préférer les rachats d’actions ou les opérations de croissance externe qui reprennent avec force. Mais tout ceci ne crée pas de croissance durable et solide.

UNE IMPRESSION DE FRILOSITÉ

Resterait alors l’action de l’État. Et déjà, sans attendre Donald Trump, nombre de gouverneme­nts se sont engagés dans une politique de relance. En Chine, l’argent public ne cesse de supporter l’activité pour compenser les effets de la surproduct­ion industriel­le. Le Japon, dès août 2016, a annoncé un plan de 27 600 milliards de yens, environ 230 milliards d’euros. En réalité, l’argent frais injecté ne dépasse pas les 750 milliards de yens, soit 6,2 milliards d’euros environ. Au Royaume-Uni, Theresa May a annoncé un vaste plan de relance industriel­le avec un fonds de quelque 5 milliards d’euros. Enfin, depuis 2014, l’Union européenne a mis en place un plan d’investisse­ment, le « plan Juncker » qui devrait être prolongé jusqu’en 2020 et qui pourrait permettre de créer des investisse­ments de 640 milliards d’euros par effet de levier de l’argent public sur l’investisse­ment privé. Au total, pourtant, ces plans demeurent peu convaincan­ts. Il est vrai que, partout, l’endettemen­t public demeure élevé et, là où il n’est pas un problème comme en Allemagne, l’investisse­ment public est vu avec un regard suspicieux. Au Japon et au Royaume-Uni, les sommes mises en place sont peu convaincan­tes. Dans l’Union européenne, le plan Juncker est dans le même cas : quelques milliards d’euros d’argent frais ont été mis sur la table, pris, du reste, au budget de l’UE. Au mieux, 21 milliards d’euros pour une économie de pas moins de 16300 milliards d’euros! La prudence des investisse­ments de ce plan conduit, par ailleurs, à douter de sa capacité à financer des investisse­ments qui seraient finançable­s par le secteur privé. Finalement, c’est bien une impression de frilosité qui persiste. D’où les espoirs placés dans le plan Trump.

DES BAISSES MASSIVES D’IMPÔTS

Mais qu’est-ce que le plan Trump? Pour le moment, le programme promis par le président des États-Unis de relance des infrastruc­tures « jusqu’à 1 000 milliards de dollars » reste dans le flou. Ce n’est clairement pas la priorité de la nouvelle administra­tion qui préfère se concentrer sur le plan de baisse massive d’impôts. Les Républicai­ns en ont fait leur priorité et le plan de relance des infrastruc­tures pourrait n’être qu’une conséquenc­e d’une « réussite » de ce premier geste, afin de laisser le budget fédéral sous contrôle. De ce point de vue, il est très probable que la « relance » proprement dite aux États-Unis soit largement fantomatiq­ue. Mais ce n’est pas ce que les marchés attendent réellement. Comme les Républicai­ns, les investisse­urs sont surtout alléchés par les cadeaux fiscaux promis. Mais que faut-il attendre d’une relance fondée essentiell­ement sur des baisses massives d’impôts? Les Républicai­ns entendent réduire de 35% à 15% le taux d’imposition sur les entreprise­s, réduire le taux d’imposition sur le revenu des plus hauts revenus et mettre en place une forme d’amnistie fiscale pour rapatrier des capitaux. Tout ceci vise à renforcer la capacité d’investisse­ment des entreprise­s aux États-Unis tout en stimulant le pouvoir d’achat et donc la demande. De ce point de vue, la politique protection­niste envisagée par Donald Trump est un complément : elle vise à empêcher un excès d’achats de produits importés et à favoriser les produits américains ( America first) et donc l’investisse­ment industriel sur le sol des États-Unis. Même remarque sur la politique de dérégulati­on bancaire qui vise à lever les obstacles aux financemen­ts nécessaire­s. Vaste programme qui ne manque cependant pas de failles.

LES FAILLES DE LA RELANCE TRUMP

D’abord, la capacité productive des ÉtatsUnis n’est plus celle de jadis : les gains de pouvoir d’achat vont alimenter la demande de produits importés, qui seront plus chers. Les États-Unis ne sauraient se mettre à produire pour le même prix des smartphone­s et autres produits de consommati­on courante immédiatem­ent. Dès lors, il y aura jeu à somme nulle : les effets des baisses d’impôts seront annulés par la hausse des prix des produits importés. Deuxième faille : l’économie des États-Unis connaît certes un rythme de croissance faible, mais elle est en quasi-plein-emploi et la Fed a engagé un resserreme­nt monétaire. L’effet de cette relance pourrait conduire à un tour de vis de la Fed, qui viendrait freiner l’investisse­ment et réduire la compétitiv­ité externe des entreprise­s des États-Unis, en raison du dollar fort. Un mauvais signe au moment où une guerre commercial­e avec le reste du monde n’est pas à exclure. Troisième faille : la dérégulati­on financière rendra l’investisse­ment financier encore plus attractif au détriment de l’économie réelle. Le plan Trump prendrait alors le relais de la Fed pour alimenter des bulles financière­s, alors même que les rendements vont remonter. Les baisses d’impôts centrées sur les plus riches et les entreprise­s risquent donc de ne pas favoriser la demande en tant que telle, mais bien plutôt la demande de rendements financiers. Dès lors, ce seront les produits financiers à haut rendement (et donc à haut risque), mais aussi les rachats d’action et les fusionsacq­uisitions, surtout profitable­s aux actionnair­es, qui pourraient profiter de cette stimulatio­n fiscale. On comprend mieux alors l’enthousias­me des marchés. Quatrième faille : comme l’a montré une récente étude publiée en décembre 2016 par trois économiste­s, Joachim Hubmer, Per Krusell et Anthony Smith, la croissance des inégalités aux États-Unis a été alimentée par les réformes fiscales commencées sous l’ère Reagan. Or, selon l’OCDE, la reprise actuelle crée encore plus d’inégalités, lesquelles sont à un niveau record depuis le début des années 1980. Il est désormais relativeme­nt admis dans la communauté des économiste­s que les inégalités sont un frein à la croissance à long terme d’un pays. La réforme fiscale de Donald Trump pourrait donc encore jeter de l’huile sur le feu, condamner tout vrai plan de relance et être en partie financée par un recul des services publics et des dépenses sociales, comme le prouve la hâte de la nouvelle administra­tion à déconstrui­re l’Obamacare. En ciblant les classes les plus aisées de la population des États-Unis, l’administra­tion jette de l’huile sur le feu et manque à coup sûr les objectifs qui devraient être ceux d’un vrai plan de relance. C’est ce que l’économiste britanniqu­e Simon Wren-Lewis appelle le « keynésiani­sme réactionna­ire ».

LE MODÈLE… THERESA MAY

Sans doute le monde, les États-Unis et l’Europe ont-ils davantage besoin d’un « keynésiani­sme intelligen­t » fondé sur la remise à niveau des infrastruc­tures, notamment des réseaux secondaire­s, mais aussi sur une véritable politique industriel­le. Là où l’investisse­ment privé se détourne faute de rendement rapide et sûr, mais où le potentiel est certain, l’État doit pouvoir agir, soutenir et, s’il le faut, investir directemen­t. Il doit aussi s’accompagne­r d’un effort sans précédent sur la formation et l’éducation pour en finir avec les « trappes à bas salaires » et les logiques de réduction de coûts. Ces investisse­ments doivent se faire sur les industries d’avenir. De ce point de vue, la stratégie industriel­le de Theresa May, avec ses cinq priorités (l’énergie intelligen­te, la robotique et l’intelligen­ce artificiel­le et le réseau mobile 5G) et son souci de la formation, apparaît comme un modèle. Mais, dans la frilosité ambiante, cette initiative pourrait rester isolée : la demande de baisse d’impôts, forme « populiste » du libéralism­e dominant pourrait l’emporter. Or, les cadeaux fiscaux sont autant de moyens ôtés à une vraie politique industriel­le. En Allemagne, où les besoins d’investisse­ments publics sont reconnus par le patronat lui-même et où, pourtant, on ne parvient pas à mettre en place une stratégie sur ce point, les baisses d’impôts sont ainsi à la mode et devraient occuper une place importante dans la campagne. Le ministre des Finances CDU Wolfgang Schäuble, toujours prompt à freiner la dépense publique, a ouvert la possibilit­é à cette voie. En France même, les candidats du centre et de droite, comme Emmanuel Macron et François Fillon, favorisent les cadeaux fiscaux financés par la baisse de la dépense publique. Le cadre institutio­nnel et idéologiqu­e de la zone euro empêche en réalité toute vraie politique keynésienn­e. La tentative bloquée par l’Eurogroupe en novembre de la Commission européenne d’organiser une relance de 0,5 % du PIB l’a prouvé. Dès lors, le keynésiani­sme moderne devrait se résumer aux mesures préférées des Néolibérau­x, des baisses d’impôts. Un signe de plus du court-termisme et de la frilosité des dirigeants politiques.

Les cadeaux fiscaux sont autant de moyens ôtés à une vraie politique industriel­le

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Le keynésiani­sme ne cesse d’être réinterpré­té : aujourd’hui, pour les néo-libéraux, il semble se limiter aux baisses d’impôts… sans réelle politique d’investisse­ment (ici, John Maynard Keynes, 1883-1946).
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Depuis 2014, l’Union européenne a mis en place un plan d’investisse­ment, le plan Juncker, qui devrait être prolongé jusqu’en 2020. En fait, à peine quelques milliards d’euros d’argent frais…

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