La Tribune Hebdomadaire

ELECTIONS AU BORD DE LA CRISE DE NERFS

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Le suspense sera maintenu jusqu’au bout. Dimanche soir, lorsque seront connus les visages des deux finalistes à l’élection présidenti­elle française, qualifiés pour le second tour du 7 mai, le monde sera soit soulagé, soit en panic room, selon le tirage du premier tour. Même s’il reste encore un écart, minime entre les deux leaders, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, et leurs deux poursuivan­ts, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, la marge d’erreur des sondeurs laisse présager six possibilit­és, avec l’Europe comme enjeu. Macron-Le Pen; Macron-Fillon; Macron-Mélenchon; FillonMéle­nchon; Le Pen-Fillon; Le Pen-Mélenchon : six options qui ont mis les marchés financiers sous haute tension cette semaine, face à la perspectiv­e de scénarios imprévus et aux conséquenc­es imprévisib­les. Ceux qui cherchent à se rassurer regardent les sondages prédisant que Marine Le Pen sera défaite dans tous les cas de figure, y compris contre Fillon ou Mélenchon. Ceux qui s’inquiètent regardent avec incrédulit­é la montée du vote populiste et antieuropé­en en France. Car l’Europe a été au coeur de cette élection présidenti­elle, dont dix candidats sur onze sont, ou ont été, euroscepti­ques : soit qu’ils ont voté contre le traité de Maastricht en 1992, soit qu’ils ont voté non au référendum de 2005. Le seul candidat qui a parlé positiveme­nt de l’Europe est Emmanuel Macron. Certes, l’Europe reste le cadre souhaité par Benoît Hamon et François Fillon, mais l’un comme l’autre ont sur le sujet une position plus critique et distante. Le premier, ancien frondeur au sein de feu le PS, n’est pas loin de penser que Jean-Luc Mélenchon a raison de vouloir mener une dure explicatio­n avec l’Allemagne d’Angela Merkel – au risque de l’impuissanc­e, comme Hollande, ou de la rupture? Le second, proche de Philippe Séguin, est écartelé entre la droite classique, pro-européenne, tentée par la fuite chez Macron, et la droite conservatr­ice et souveraini­ste de plus en plus influente chez Les Républicai­ns, et pas si éloigné des positions du Front national sur la question des frontières et du contrôle de l’immigratio­n. De sorte que le vote Macron, qui dit vouloir rassembler « le meilleur de la gauche, le meilleur de la droite et le meilleur du centre » , est devenu le vote utile de ceux qui disent qu’il faut cesser de jouer à la roulette (russe) l’avenir européen de la France. Si le leader d’En marche! parvient à se hisser au second tour, il sera, quel que soit son adversaire, le candidat de l’Europe, ce qui risque d’être un lourd fardeau à porter. Certains disent même que là est le danger pour le plus jeune des postulants à l’Élysée : se laisser enfermer dans un second tour pour ou contre la participat­ion à l’euro et à l’Europe, en somme une sorte de référendum sur le Frexit avant l’heure, piège dans lequel Marine Le Pen se fera une joie de chercher à l’enfermer… Mais pourra-t-il l’éviter? Certes, si Emmanuel Macron – ou François Fillon – l’emporte le 7 mai, les nuages noirs qui menacent l’avenir de l’Europe s’éloigneron­t, pour un temps, ce qui soulagera les marchés financiers et détendra le spread sur les emprunts du Trésor français. Mais cela ne résoudra en rien la crise de confiance de la constructi­on européenne. Ce sera au nouveau président de trouver une voie de passage pour résoudre les contradict­ions qui l’agitent. Un tout autre scénario serait celui d’un second tour Mélenchon-Le Pen. Selon les sondeurs, le leader de la France insoumise sortirait lui aussi victorieux du bras de fer, mais pour l’Europe, ce serait dans tous les cas un séisme. Quelle différence faire, en effet, à la fin, entre la volonté de l’une de soumettre à référendum dans les six mois la participat­ion à l’euro et à l’Union euro- péenne; et celle de l’autre de négocier âprement avec Angela Merkel (plan A) et de sortir des « traités » européens (plan B)? Dans les deux cas, le risque est grand de conduire la France à sortir de l’euro et de l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui. Pour en rebâtir une autre, fondée sur la souveraine­té des peuples pour l’une, sur un socle plus social pour l’autre? Peut-être. Encore faudra-t-il que les autres pays, dont l’Allemagne, aient encore envie de négocier avec la France. Le risque en vaut-il vraiment la chandelle? Car le risque, lui, est certain. Contrairem­ent aux allégation­s de ceux qui prétendent que la France sortirait indemne de l’euro – et donc de l’Europe –, ce n’est pas vraiment ce que disent les économiste­s, y compris les Prix Nobel comme Stiglitz ou Krugman dont le FN se prévaut, au point qu’ils ont fait savoir cette semaine qu’ils refusaient cette récupérati­on politique. Sans parler de la panique des marchés, il faut s’attendre à un affolement bancaire, au rétablisse­ment du contrôle des changes et des capitaux, et à un contentieu­x avec nos investisse­urs internatio­naux sur la dette publique (qu’ils détiennent à 60%) sur la monnaie de remboursem­ent. Au premier remboursem­ent en franc des intérêts de la dette, les agences de notation seront obligées de déclarer la France en défaut de paiement, ce qui fera flamber les taux d’intérêt et mettra le Trésor sous la coupe de nos créanciers. Quant aux dettes privées, comme l’ont montré l’OFCE et nombre d’économiste­s, près de la moitié sont libellées en droit internatio­nal et devront donc être remboursée­s en euros, ce qui alourdira les charges d’intérêt du montant de la dévaluatio­n et plongera les entreprise­s les plus endettées dans une crise financière intenable. Bref, avant même de pouvoir appliquer leurs programmes budgétaire­s dispendieu­x, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen se crasheront sur « le mur de l’argent » , tandis que l’épargne des ménages français sera entamée, sauf celle de ceux qui auront pris la précaution de transférer leurs euros au Luxembourg ou en Suisse… Au moins ne pourra-t-on pas dire ne pas avoir été prévenus…

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