La Tribune Hebdomadaire

LOI TRAVAIL

VITE ET FORT DÈS L’ÉTÉ… PAR ORDONNANCE­S

- JEAN-CHRISTOPHE CHANUT @jcchanut

La réforme du Code du travail, voilà un sujet qui a l’art de déclencher les passions. Que l’on se rappelle, pour s’en convaincre, la violence des débats qui ont agité en 2016 l’adoption de la loi El Khomri. C’est même ce texte qui a aggravé la fracture idéologiqu­e qui traverse le Parti socialiste. Et sur ce projet de loi, Manuel Valls, alors premier ministre, a dû « dégainer » l’article 49-3 de la Constituti­on pour le faire adopter sans vote... En 2017, la réforme du Code du travail figurait encore dans les programmes des deux finalistes pour l’élection présidenti­elle, mais de manière totalement antagonist­e. Marine Le Pen proposait purement et simplement d’abroger la loi El Khomri. D’une façon plus générale, elle faisait davantage confiance à la négociatio­n de branche qu’à la négociatio­n d’entreprise. On la savait également favorable au statu quo sur la question des 35 heures. Le son de cloche était totalement différent chez Emmanuel Macron. Le candidat d’En Marche ! voulait, à l’inverse de sa concurrent­e, approfondi­r la loi El Khomri. L’ancien ministre de l’Économie avait de la constance. On se souvient, en effet, que lors de son passage à Bercy, il avait milité pour que la loi El Khomri « libère » encore davantage le marché du travail, en réformant de façon plus drastique le Code du travail. Emmanuel Macron avait ainsi regretté que le 14 mars 2016, Manuel Valls avait décidé de réformer le projet de loi initial de Myriam El Khomri, afin de le rendre « acceptable » par les syndicats réformiste­s, CFDT en tête.

ANNULER LES CONCESSION­S DE VALLS

Dans son programme présidenti­el donc, le leader d’En Marche! reprenait plusieurs des dispositio­ns qui avaient été sacrifiées pour obtenir la paix sociale. Ainsi, Emmanuel Macron veut instaurer « un plafond et un plancher pour les indemnités prud’homales pour licencieme­nt sans cause réelle et sérieuse (hormis les cas de discrimina­tion, de harcèlemen­t, etc.) », de manière à ce que les entreprise­s connaissen­t exactement le risque encouru. On se souvient qu’il s’agissait là d’un des points clés du projet de loi El Khomri, première mouture. Il a été supprimé. Il est donc simplement resté un barème incitatif (pas obligatoir­e donc) qui fixe entre 1 et 22,5 mois le montant des dommages et intérêts versés à un salarié abusivemen­t licencié, en fonction de son âge, son ancienneté et de sa difficulté à retrouver un emploi. À cet égard, ce barème indicatif prévoit déjà moins que les dispositio­ns actuelles du Code du travail. En effet, ce dernier indique qu’un salarié travaillan­t dans une entreprise de plus de dix salariés et ayant deux ans d’ancienneté est assuré d’obtenir six mois de salaire minimum en cas de licencieme­nt abusif. Or, le barème « indicatif », ne prévoit plus que 3 ou 4 mois pour un salarié dans une situation identique... Emmanuel Macron président, le barème fixant un plafond et un plancher deviendrai­t donc obligatoir­e. Mais rien ne dit que c’est l’actuel barème indicatif qui sera repris à l’identique. Dans son programme, Emmanuel Macron voulait aussi revoir les règles du dialogue social. D’abord, il voulait généralise­r à toutes les entreprise­s une dispositio­n de la loi « Rebsamen » de 2015 permettant de créer une « délégation unique du personnel » dans les entreprise­s de 50 à 300 salariés. Cette « DUP » permet de regrouper le comité d’entreprise et les délégués du personnel, voire le comité hygiène-sécuritéco­nditions de travail (CHSCT). Mais la propositio­n phare du leader d’En Marche ! concernait la primauté absolue accordée aux accords d’entreprise. Là aussi, il comptait aller plus loin que la loi El Khomri qui, en matière d’accords sur le temps de travail, permet déjà à un accord d’entreprise de déroger à un accord de branche. Et ce, même si l’accord d’entreprise s’avère moins avantageux pour les salariés que l’accord de branche – par exemple sur le taux de bonificati­on des heures supplément­aires –, c’est ce que l’on appelle la remise en cause du « principe de faveur ». Emmanuel Macron souhaite étendre cette règle à tous les domaines, dès lors que l’accord conclu au niveau de l’entreprise est majoritair­e, c’est-à-dire qu’il a été conclu par des syndicats représenta­nt au moins 50% des salariés. Mais si l’accord est minoritair­e (signé par des syndicats représenta­nt seulement 30% des salariés), Emmanuel Macron propose de donner à l’employeur la possibilit­é d’organiser un référendum auprès des salariés. Et si le « oui » l’emporte, alors l’accord sera validé... même sans l’accord des syndicats majoritair­es. C’est aller un pas plus loin que la loi El Khomri qui autorise déjà cette technique du référendum... mais en réservant cette initiative aux seuls syndicats, la refusant à l’employeur, au grand dam des organisati­ons patronales. Voilà un point du programme Macron qui risque d’effarouche­r les organisati­ons syndicales, qui ne manqueront pas de l’accuser de vouloir « contourner le fait syndical ».

L’ÉTÉ SERA CHAUD

On notera que, formelleme­nt, Emmanuel Macron ne devrait pas remettre en cause la référence à la durée hebdomadai­re légale de 35 heures. En revanche, il propose de rétablir l’exonératio­n de cotisation­s sociales sur les heures suplémenta­ires. Une mesure instituée par Nicolas Sarkozy en 2008 et supprimée par François Hollande en 2012. Il faut avoir à l’esprit que la mesure Sarkozy, selon des calculs de l’Institut Montaigne, avait un coût très élevé pour les finances publiques : le montant des exonératio­ns de charges sociales sur les « heures sup » s’élevait en 2011 à 3,1 milliards d’euros, dont 2,4 milliards pour les exonératio­ns salariales et 700 millions pour les exonératio­ns patronales. L’été risque donc d’être chaud, car Emmanuel Macron, désormais président de la République, a annoncé qu’il compte mener cette réforme du droit du travail via des ordonnance­s, afin d’aller vite. Et ce, selon ses propos, après une « rapide » concertati­on avec les organisati­ons patronales et syndicales. Pour cette raison, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, a déjà demandé aux instances de son syndicat d’être prêtes à rentrer rapidement de vacances pour organiser la riposte...

Priorité aux accords d’entreprise dans tous les domaines

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Le Code du travail devrait être largement remanié : Emmanuel Macron avait milité pour que la loi El Khomri « libère » davantage le marché du travail.

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