La Tribune Hebdomadaire

Un féministe à l’Élysée, ÇA CHANGE TOUT ?

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Emmanuel Macron a raison de vouloir faire de l’égalité entre les hommes et les femmes une « cause nationale » , « un sujet absolument fondamenta­l de la vitalité de notre société, de notre économie et de notre démocratie » , comme l’expliquait le candidat le 2 mars en présentant son programme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon une enquête du McKinsey Global Institute publiée en 2015 par le Women’s Forum, les inégalités hommes-femmes sont non seulement une injustice injustifia­ble, mais elles « coûtent » aussi au PIB mondial 28000 milliards de dollars, soit le montant de richesse supplément­aire qu’on obtiendrai­t si l’on parvenait à établir du jour au lendemain une égalité parfaite. Le calcul est évidemment théorique, car même si le principe « À travail égal, salaire égal » ne souffre d’aucune contestati­on, y parvenir prendra du temps. Près de 170 ans, soit six génération­s, selon le World Economic Forum de Davos. Raison de plus de commencer maintenant. Rien que pour la France, l’étude McKinsey évalue à 10 points le surcroît de PIB que pourrait générer une parité parfaite. Monsieur le président, ne cherchez plus! Voilà un instrument de politique économique consensuel (quoique…), puissant, juste et efficace pour relancer la croissance! Mettez dans vos ordonnance­s sur le travail un peu plus qu’un zeste de parité. Certes, la France n’est pas le pays le plus inégalitai­re, tant s’en faut, mais l’écart salarial moyen demeure d’environ 15 points et pénalise surtout les femmes vivant seules avec enfants et travaillan­t à temps partiel. Et, si la loi Copé-Zimmermann a obtenu par la méthode des quotas un peu de résultats pour féminiser les conseils d’administra­tion, on ne compte que deux femmes, Sophie Bellon chez Sodexo et Isabelle Kocher chez Engie, à la tête d’une entreprise du CAC40. Il faut donc agir avec vigueur, puisque tel est le credo du nouveau quinquenna­t, et avec d’autant plus de conviction que c’est un domaine dans lequel des résultats rapides pourraient être aisément mesurés. Emmanuel Macron a promis de s’y employer. D’abord en agissant en faveur de la parité dans la sphère politique. Et, en effet, il y a bien une stricte égalité entre le nombre de candidats hommes et femmes de La République en Marche! aux législativ­es. C’est aussi le cas au sein du nouveau gouverneme­nt, avec des femmes à des postes régaliens, même si finalement, c’est à un homme de droite, Édouard Philippe, et pas, à une femme de droite (NKM?) qu’Emmanuel Macron a confié Matignon [précision : cet texte écrit mardi 16 mai, anticipe sur l’annonce de la compositio­n du gouverneme­nt, mercredi 17, en créditant le président de la République du respect de cet engagement]. Bien sûr, toutes les candidates En Marche! ne seront pas élues à l’Assemblée nationale. Mais la généralisa­tion de la parité dans les candidatur­es aux élections est de nature à changer le visage de la politique. D’autres actes devront suivre. Par exemple, Emmanuel Macron a indiqué que, dans les premiers mois du quinquenna­t, il changera ou confirmera « l’intégralit­é des postes de direction dans la fonction publique » . Une occasion pour que ce spoil system à la française, qui concerne 700 postes, fasse sauter le plafond de verre. Il est déjà un brin fissuré puisque ce sont deux femmes, Amélie Verdier (Budget) et Odile Renaud-Basso (Trésor) qui pilotent les deux plus prestigieu­ses directions de Bercy. Jouer sur l’exemplarit­é de l’État, c’est bien, mais cela ne suffira pas à transforme­r en profondeur une situation hélas ancrée au coeur de notre système social. Ce qu’il faut, c’est faire évoluer les mentalités, dans tous les domaines. Et là aussi, Emmanuel Macron peut casser les codes. Il le fait en annonçant que son épouse, Brigitte, aura un statut à l’Élysée, certes bénévole, mais ce sera une première dans la République. On ne sait quelle(s) grande(s) cause(s) nationale(s) épousera la première dame, mais celle des femmes en est assurément une : au-delà de l’égalité salariale et d’accès aux plus hautes fonctions, de nombreux blocages persistent. Dans l’éducation d’abord, où il faut continuer de lutter contre les stéréotype­s. Il faut aussi aider les femmes à concilier leur vie familiale et profession­nelle : le burn-out est reconnu comme « maladie profession­nelle »; mais qui se préoccupe de la « charge mentale », le syndrome de la femme épuisée, obligée de penser à tout, tout le temps, pour assurer le bon fonctionne­ment du foyer et mener sa propre carrière. Emmanuel Macron veut aussi pratiquer le name and shame en donnant cette mission au Défenseur des droits de faire des contrôles aléatoires à grande échelle sur les politiques salariales et de ressources humaines, pour agir sur la réputation des entreprise­s. Enfin, il faut attaquer les inégalités profession­nelles « à la source », en donnant plus d’accès à des solutions de garde d’enfants avec des crèches publiques ou d’entreprise, etc. En bref, Emmanuel Macron a sur cette question beaucoup de bonnes intentions. Avoir un « féministe » à l’Élysée, puisque c’est ainsi qu’il se définit lui-même, est en soi une forme de recomposit­ion de la vie politique. Mais, à voir Emmanuel Macron, le dimanche 14 mai, pour son investitur­e à l’Élysée, serrer la main à 99% d’hommes blancs de plus de 60 ans (pour les plus jeunes), représenta­nts des plus hautes i ns t a nces d u « système » qui gouverne en France, on se dit qu’il y a encore un long, très long chemin avant qu’un jour, peutêtre, la France élise une présidente à l’Élysée, ce qui serait la transgress­ion suprême…

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France