EN MARCHE AUSSI, les syndicats et le patronat !
On entre enfin dans le dur. Emmanuel Macron et le gouvernement Philippe ont engagé les consultations sur le contenu des réformes sociales qui seront proposées après l’été. Le chef de l’État, qui maintient son intention d’agir vite, par ordonnances, a pu tester à cette occasion les lignes rouges que les syndicats de salariés refusent de voir franchies. Celles-ci sont connues. La question n’est pas tant la procédure des ordonnances – même Jean-Claude Mailly reconnaît qu’il y a eu de « bonnes » ordonnances, comme celle sur la cinquième semaine de congés payés! – que leur contenu et la capacité des partenaires sociaux à se faire entendre par l’exécutif. La CGT reste avec Philippe Martinez sur une ligne dure, en réfutant toute idée d’assouplissement du Code du travail. FO et la CFDT sont sur une approche plus pragmatique, mais réclament que des garde-fous soient posés sur la négociation dans l’entreprise et le rôle protecteur des accords de branche, par exemple. On reste pour l’instant dans la posture classique, avec un patronat qui réclame plus de souplesse et des syndicats méfiants, pour lesquels il n’a pas été démontré que plus de liberté pour licencier favorise l’embauche. Le contexte social du moment, avec des dossiers emblématiques comme Whirlpool, Vivarte, GM&S, Tati, ne facilite pas les choses, même si le gouvernement fait tout pour jouer les pompiers avant les législatives. En réalité aujourd’hui, le gros des licenciements passe par d’autres voies que les grands plans sociaux : depuis 2010, le nombre des ruptures conventionnelles dépasse celui des licenciements économiques avec une proportion qui va du simple au double, voire plus certains mois. Dire que le marché du travail n’offre pas de flexibilité est donc faux. La seule vraie question, c’est la flexisécurité, ou plutôt quelles flexibilités supplémentaires en échange de quelles nouvelles sécurités. Emmanuel Macron l’a dit pendant la campagne : dans une époque de grandes mutations économiques et industrielles, on ne peut pas toujours protéger les emplois, à n’importe quel prix. Mais on doit toujours protéger les personnes et agir non seulement pour que ceux qui sont licenciés soient correctement indemnisés, mais aussi et surtout pour leur offrir une nouvelle chance, par une offre de formation renforcée. Tenir ce discours de l’adaptation à la mondialisation et à l’arrivée des nouvelles technologies n’est pas facile politiquement, mais c’est plus nécessaire que jamais alors qu’une nouvelle vague de mutations déferle avec la robotisation des usines, l’intelligence artificielle, etc. De sorte que la question posée, aux syndicats comme au patronat, sera d’ouvrir un vrai dialogue sur les moyens d’accompagner les mutations du travail. Emmanuel Macron, qui a réussi, par son élection, à enclencher une recomposition du paysage politique, le sait bien : le même aggiornamento est nécessaire dans le monde de la démocratie sociale et du paritarisme, où là aussi des rentes de situation se sont fossilisées. C’est pour cela qu’il propose de nationaliser l’Assurance chômage et de donner à l’État un rôle moteur comme acteur de la solidarité pour sortir de ce qu’il considère comme une hypocrisie française. En proposant d’aller plus loin dans la flexisécurité à la française, Emmanuel Macron force la main aux partenaires sociaux pour qu’ils révisent leur logiciel et sortent eux aussi des hypocrisies, pour venir à la table de la négociation avec l’objectif d’une obligation de résultat. Qu’importe s’il y aura au début un constat de désaccords. L’important est surtout que l’État, les syndicats et le patronat entrent dans ce dialogue tripartite et parviennent à définir ce que doit être la sécurité sociale du xxie siècle : des droits universels, plus de formation tout au long de la vie pour les salariés, en échange de moins de barrières à l’entrée et plus de simplicité pour les entreprises, et notamment les TPE et PME qui sont le véritable gisement pour la création d’emplois. Dans les échanges à venir, le rôle du patronat est essentiel. La principale critique portée contre la flexisécurité, c’est le décalage entre le premier et le deuxième terme de l’équation. Comme on l’a vu dans les pays qui l’ont adopté, la flexibilité l’emporte souvent sur la sécurité. En gros, il est plus facile de licencier pour les entreprises et les salariés, même très qualifiés, ne se voient proposer que des emplois low cost dans les métiers de services : mini-jobs à l’allemande, contrats zéro heure au Royaume-Uni. Ces critiques, inspirées de l’expérience, expliquent la défiance des Français contre ces solutions qualifiées de libérales, et la résistance des syndicats pour préserver un modèle social plus protecteur. Ce qu’il faut, c’est proposer « en même temps », pour parler comme Emmanuel Macron, de la flexibilité et de la sécurité. Et la meilleure des sécurités, c’est de permettre la montée en gamme de l’économie française, afin que les salariés, mieux formés, trouvent des emplois qualifiés et correctement rémunérés. La négociation qui s’engage ne consiste pas à régler des curseurs ni à céder à on ne sait quel oukase de Bruxelles. Non, le sujet majeur, c’est la refondation de la démocratie sociale en France. Elle aussi a bien besoin de se mettre « en marche », afin d’adapter le pays à des changements inévitables. Les Français le savent bien : on n’arrêtera pas la mondialisation à coups de frontières (et surtout, cela empêcherait nos entreprises, et donc nos emplois d’en bénéficier); de même, on n’arrêtera pas la marche vers les progrès technologiques. Mais, en revanche, on peut s’organiser pour tirer le meilleur de ces évolutions : en menant une politique fiscale qui attire les investisseurs; en mettant le paquet sur l’éducation et la formation. C’est une responsabilité pour l’État, mais aussi pour tous les partenaires sociaux. Le fait d’avoir nommé ministre du Travail Muriel Pénicaud, ancienne DRH chez Danone, et ancienne patronne de Business France, et autour d’elle une équipe de pros de la négociation sociale, est plutôt de bon augure pour que le gouvernement agisse en ce sens. Si le paritarisme veut survivre, c’est aussi à lui de se mettre en mouvement pour tirer les conséquences des mutations technologiques. Le Medef a proposé aux syndicats un séminaire de travail sur le sujet. Plutôt que d’entrer dans une confrontation autour du droit du travail, voire, comme certains l’annoncent, de vivre une nouvelle déflagration sociale comme notre pays en a le secret, avec de longues semaines de grèves comme celles qui ont émaillé la discussion de la loi El Khomri, peut-être serait-il plus constructif d’entrer dans le détail de la flexisécurité, de voir le Medef mettre sur la table un fonds pour accompagner la formation dans les TPE-PME, pour accélérer leur passage au numérique et la montée en gamme de l’entreprise France. Bref, au-delà des postures convenues, il y a peut-être mieux à faire, pour une fois, qu’un troisième tour social qui ne ferait que faire perdre encore plus de temps à un pays qui procrastine et retarde depuis trop longtemps le moment de regarder la vérité en face.